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Qui sont les ministres les plus et les moins transparents ?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Pour obtenir la composition d’un cabinet ministériel, il faut se lever tôt… Avec Cumuleo et Anticor, Le Vif/L’Express a soumis nos ministres à ce simple exercice de transparence, qui peut permettre de traquer des conflits d’intérêts. Voici les résultats en couleurs. Pas brillant. Certains de nos ministres ont-ils des choses à cacher ?

Qui travaille dans les cabinets ministériels ? Voilà une question élémentaire que le citoyen lambda est en droit de se poser. D’autant que, via le bulletin électoral qu’il glisse dans l’urne, il accorde sa confiance aux ministres censés mener la politique pour laquelle ils seront choisis. Il paraît logique que l’entourage direct des ministres – leur  » cellule stratégique  » – fasse l’objet d’un minimum de transparence.  » Or, ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui, constate Marie Goransson, chargée de cours à l’ULB (1). La transparence des cabinets reste un problème. Qui sont les conseillers, attachés et experts des ministres ? Mais, surtout, que font-ils exactement ? On sait que ces gens travaillent aussi à la réélection de leur ministre. C’est la problématique de l’affaire du cabinet Milquet…  » On se souvient que, lorsqu’elle était à l’Intérieur, Joëlle Milquet avait embauché huit nouveaux collaborateurs six mois avant le scrutin de 2014, tous candidats CDH aux élections locales dans des communes où la tête de liste humaniste concentrait sa campagne pour être élue à Bruxelles.

Cumuleo n’est pas le seul à le penser. Le Groupe du vendredi a élaboré, en 2014, une  » Charte pour plus de déontologie dans les cabinets ministériels « . Ce groupe de réflexion rassemble vingt jeunes, avocats, économistes, consultants, médecins, académiques, certains ayant d’ailleurs été conseillers ministériels (2). Leur charte propose, entre autres, de rendre publics les noms et fonctions des membres des différents cabinets ministériels, mais aussi leurs mandats et activités rémunérées, ainsi qu’une indication du temps consacré à ces activités.  » Un ministre ne peut être compétent sur tout. Ses conseillers ont un réel pouvoir politique. La transparence à l’égard de ces gens de pouvoir qui ne sont pas élus est essentielle « , martèle Laurent Hanseeuw, un des rédacteurs de la charte.

Le parcours du combattant

Le 15 juillet 2016, Christophe Van Gheluwe a adressé un courrier à tous les ministres – du gouvernement fédéral, des Régions wallonne et bruxelloise, de la Fédération Wallonie-Bruxelles – pour leur demander de lui fournir une liste complète de leurs collaborateurs (nom, prénom, fonction), y compris ceux qui, depuis le début de la législature, ont quitté le cabinet. Rien d’autre. Pour appuyer sa demande, il se référait à la législation sur la publicité de l’administration. Une quinzaine de textes légaux règlent l’accès à l’information auprès des autorités administratives. Ce devoir de transparence est même inscrit dans la Constitution belge, à l’article 32, qui spécifie qu’il ne faut pas justifier d’un intérêt particulier pour faire valoir ce droit. Les seules restrictions touchent à la sécurité, au secret médical et au respect de la vie privée.

Jugeant la démarche pertinente, et vu les réactions contrastées et les résistances de pas mal de nos ministres (malgré les rappels envoyés par Christophe Van Gheluwe), Le Vif/L’Express a décidé de s’associer à Cumuleo pour cette enquête. Fin novembre, il a, à son tour, adressé un courrier aux ministres récalcitrants, à savoir : ceux qui n’avaient pas répondu, ceux qui avaient répondu que la requête était à l’étude, sans plus donner de suite, ceux qui avaient transmis des informations partielles (soit la liste des collaborateurs actuels mais pas ceux qui sont partis). Le courrier du Vif/L’Express en a convaincu quelques-uns. D’autres ne nous ont même pas répondu.

Qui sont les ministres les plus et les moins transparents ?
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Aujourd’hui, six mois après la demande initiale de Cumuleo, nous publions le palmarès de la transparence des différents ministres du pays. Soulignons d’emblée qu’il n’a pas été nécessaire de s’adresser aux cabinets flamands. En effet, tous les 31 décembre, le parlement flamand publie la liste complète des membres des différents ministères – y compris ceux qui les ont quittés au cours de l’année écoulée – en spécifiant leur fonction et leur régime de travail. Les listes des années précédentes sont également consultables. Ce qui place l’ensemble des ministres du gouvernement flamand en tête de notre palmarès, vu qu’ils jouent la transparence spontanément.

GOUVERNEMENT MICHEL : EN ORDRE DISPERSÉ

Lorsque Le Vif/L’Express a rejoint Cumuleo et Anticor dans leur prospection à travers la jungle des cabinets, on ne peut pas dire que le vert dominait la toile du gouvernement fédéral. En quatre mois, seuls 5 ministres sur 18 avaient fourni la liste complète de leurs collaborateurs, actuels et anciens. Ceux-ci avaient pris le temps, dépassant le délai légal de trente jours maximum prévu par la législation pour qu’une administration accède à la sollicitation d’un citoyen. Mais ils l’avaient néanmoins fait.

Dans l’ordre chronologique, les plus transparents sont donc : le CD&V Kris Peeters (Emploi), le 23 août ; le MR Didier Reynders (Affaires étrangères), trois jours plus tard ; le CD&V Pieter De Crem (Commerce extérieur), mi-septembre, juste avant le début de sa formation à Harvard et après avoir d’abord répondu qu’une liste détaillée de collaborateurs n’existait pas au sein du cabinet ; le MR Charles Michel (Premier ministre), le 22 septembre ; le ministre MR Willy Borsus (Classes moyennes), début octobre.

Un ministre ne peut être compétent sur tout. Ses conseillers ont un réel pouvoir politique

Il faut préciser qu’après trente jours, Cumuleo avait saisi la commission d’accès aux documents administratifs (Cada), au niveau fédéral. L’avis, fort sommaire, que celle-ci a rendu le 5 septembre 2016 s’est révélé négatif pour Cumuleo, considérant que les documents en possession d’un cabinet ministériel ne sont pas des documents administratifs. Dans sa réponse, Charles Michel a souligné, grand seigneur, qu’il accédait néanmoins à la requête… Soulignons aussi que les réponses se sont accélérées après l’affaire Goldstein, révélée le 9 septembre dernier.

Le quatrième pouvoir a-t-il de l’influence ? Fin novembre, le courrier du Vif/L’Express a, en tout cas, eu son petit effet, puisque quatre ministres supplémentaires se sont pliés à l’exercice de transparence en rendant la liste complète de leurs collaborateurs (présents et passés), depuis le début de la législature. Il s’agissait de la ministre de l’Energie, Marie-Christine Marghem (MR), du ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), qui n’avait rien répondu à Cumuleo auparavant, de la ministre de la Santé, Maggie De Block (Open VLD), qui n’avait envoyé qu’une liste des collaborateurs actuels, et du ministre des Pensions Daniel Bacquelaine (MR) qui nous a précisé que, vu l’avis de la Cada, notre demande n’était  » pas légale et donc pas recevable « , mais qu’il envoyait tout de même la liste complète  » pour éviter toute suspicion « . Grand seigneur, lui aussi.

Dans la catégorie  » peut mieux faire  » (orange), on retrouve six ministres qui ont renseigné à Cumuleo les noms des membres actuels de leur cabinet, pas ceux qui les ont quittés. Il s’agit des Open VLD Alexander De Croo (Coopération, Télécoms) et Philippe De Backer (Fraude sociale), ainsi que des N-VA Jan Jambon (Intérieur), Johan Van Overtveldt (Finances), Steven Vandeput (Défense) et Elke Sleurs (Politique scientifique). A noter que certains, comme Jambon, Vandeput et De Backer ont simplement renvoyé vers le site Web officiel du ministre. Au cabinet Jambon, une conseillère a appelé Christophe Van Gheluwe pour lui expliquer :  » On ne va quand même pas travailler pour des personnes qui font des demandes pour le plaisir de faire des demandes.  »

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Au courrier du Vif/L’Express de fin novembre, les ministres Jambon et De Backer n’ont pas répondu. La porte-parole de Van Overtveldt a réagi en nous interrogeant sur la raison de notre collaboration avec Cumuleo, puis silence radio. De Croo a fait savoir qu’il nous enverrait une réponse motivée qu’on a attendu jusqu’au de bouclage du Vif. Il nous a envoyé un mail avec la composition complète du cabinet le matin même du jour de parution du magazine. Et Sleurs nous a signifié (en néerlandais) que les membres du cabinet n’étaient pas des mandataires mais des employés pour lesquels s’appliquait le principe de la protection de la vie privée.

Enfin, trois ministres fédéraux se trouvent dans la zone rouge, celle des cancres de la transparence. Le MR François Bellot (Mobilité) n’a envoyé qu’un accusé de réception à Cumuleo. Au Vif/L’Express, il a motivé son refus de transmettre les noms de ses collaborateurs en se référant à l’avis de la Cada et précisant que la liste sur son site officiel (qui ne contenait que trois noms, puis… sept juste au lendemain de notre courrier) serait bientôt complétée. Chez la MR Sophie Wilmès (Budget), dont le site officiel ne renseigne que dix collaborateurs, le chef de cabinet nous a personnellement appelé en justifiant sa réponse négative par l’argument de la vie privée. Il nous a invité à venir voir au cabinet que la ministre n’avait rien à cacher. Sympa, mais ce n’était pas ce que nous demandions.

Le secrétaire d’Etat N-VA Theo Francken (Asile), lui, n’a tout simplement rien répondu, ni à Cumuleo ni au Vif/L’Express. Son site officiel ne reprend que cinq noms. Son bonnet d’âne dans le classement de la transparence (même tous gouvernements confondus) est amplement mérité. D’une manière générale, les ministres fédéraux N-VA sont peu transparents. Aucun ne se classe en vert dans notre palmarès.

C’est d’autant plus curieux qu’en 2013, alors qu’ils étaient dans l’opposition, plusieurs des leurs, dont Liesbeth Homans et Danny Pieters, ont porté un projet de loi visant à élargir aux membres des cabinets ministériels l’obligation de déposer la liste de ses mandats. Ce texte, redéposé en 2015 par un N-VA pour les Régions et Communautés, est plus ambitieux que la simple demande de Cumuleo. Mais de la parole aux actes, il y a parfois de la marge chez les nationalistes flamands…

GOUVERNEMENTS MAGNETTE ET DEMOTTE : LE MINIMUM CONCERTÉ

Au sein des gouvernements wallon et communautaire, c’est l’harmonie totale. Entre les deux exécutifs aussi. Soucieux de donner une image de cohérence, les deux ministres-présidents se sont concertés, entre eux et avec leurs ministres, pour répondre à Cumuleo. D’abord en interrogeant eux-mêmes leur Cada. Les deux commissions d’accès aux documents administratifs – celle de Wallonie et celle de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) – ont, cette fois, émis un avis positif pour Cumuleo, contrairement à la Cada fédérale. Ces jurisprudences divergentes sont le résultat de la pléthore absurde des Cada en Belgique. Celle de la FWB indique même que le gouvernement est bien une autorité administrative et estime que les informations demandées par Christophe Van Gheluwe, y compris les dates de début et de fin d’engagement des conseillers, ne constituent pas des données à caractère personnel protégées par la loi sur la protection de la vie privée.

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Malgré cela, les ministres des deux exécutifs se sont contentés de fournir, en choeur (à la même date du 3 octobre pour toute l’équipe Demotte), la liste des membres actuels de leur cabinet, pas ceux qui les ont quittés. Le CDH Carlo Di Antonio (Environnement), lui, n’a pas répondu au courrier de Cumuleo. C’est la relance par Le Vif qui l’a convaincu d’envoyer, le 14 décembre, la composition actuelle de son cabinet, comme l’avaient fait ses collègues wallons. Vu la belle unanimité des deux gouvernements, nous avons envoyé, outre celui pour Di Antonio, un courrier à en-tête du Vif/L’Express aux seuls deux ministres-présidents pour leur demander la liste complète des collaborateurs de tous les cabinets. Ni Paul Magnette ni Rudy Demotte ne nous ont répondu…

Nous avons néanmoins eu une explication avec le porte- parole de Magnette, après un forum sur la démocratie organisé à Charleroi par l’Université ouverte, le 15 décembre. Le Premier wallon et Cumuleo y participaient. Lors d’une discussion, Paul Magnette a dénoncé la  » religion de la transparence  » et accusé Cumuleo de nourrir le rejet du politique et le populisme.  » Ce qu’il a voulu dire, c’est que la transparence et les données brutes ne suffisent pas, nous a ensuite exposé son attaché de presse Frédéric Masquelin en nuançant le propos. Il ne s’oppose pas à la transparence, mais cela doit s’accompagner de pédagogie. A défaut, cela contribue au climat antipolitique.  »

Cumuleo et Anticor

Ce sont deux initiatives citoyennes. Sans couleur politique (on a bien cherché, on n’a pas trouvé). Anticor-Belgique est le pendant belge d’Anticor-France, cofondé par le célèbre juge anticorruption Eric Halphen. Avec les lanceurs d’alerte, cette association vise à lutter contre la corruption et à réhabiliter la confiance entre les citoyens et leurs représentants. Elle a contribué à révéler plusieurs gros scandales, notamment avec le site Mediapart. Dans son sillage, Anticor.be souhaite faire de même (www.anticor.be/participer). A la base, il y a quatre projets fondateurs : le bien connu Cumuleo.be (qui publie les mandats de nos politiques) mais aussi Droitderegard.be (met à disposition les ordres du jour des conseils communaux), Voix des locataires (défend les locataires de logements sociaux à Bruxelles, notamment contre l’amiante) et Audit citoyen de nos quartiers (vérifie, via les habitants, l’utilisation de l’argent public destiné à leur quartier).

Quant à la non-communication des noms des conseillers qui ont quitté les cabinets wallons, le porte-parole le justifie par le fait que certains n’ont pas choisi de partir d’eux-mêmes et qu’ils n’ont peut-être pas envie de voir leur nom repris sur de telles listes. Notons que cela n’empêche pas le gouvernement flamand de diffuser ces noms sur le site du parlement, sans que le public ne connaisse la raison des départs… Et Frédéric Masquelin d’annoncer que Magnette publiera désormais chaque année la liste complète des membres de cabinet.  » Il suffira de comparer avec la liste de l’année précédente pour voir qui sont les entrants et les sortants « , conclut-il.

GOUVERNEMENT VERVOORT : LE MEILLEUR ET LE PIRE

En matière de transparence, c’est l’exécutif des extrêmes. Le meilleur et le pire. Et ce, alors que la Cada de Bruxelles, saisie par Cumuleo, a émis un avis très détaillé, favorable au requérant, pour la communication des membres actuels et passés. Sa conclusion :  » L’information revêt un caractère officiel tel qu’elle a dû être publiée à un moment donné de la législature sur le site Internet officiel du gouvernement bruxellois, note la commission, le 12 septembre 2016. Sa communication a posteriori n’est donc pas de nature à porter atteinte à la vie privée des personnes concernées.  »

Résultat : le DéFI Didier Gosuin (Emploi) a réagi comme une fusée. Le 20 juillet, cinq jours après la demande de Cumuleo, il transmettait la liste complète de ses collaborateurs, avec les dates de début et de fin d’entrée en fonction. Ce qui en fait – après le gouvernement flamand – le roi de notre palmarès de la transparence. A un bon mois d’intervalle, il a été suivi par la DéFI Cécile Jodogne (Commerce extérieur) et le SP.A Pascal Smet. La CD&V Bianca Debaets (Coopération et Sécurité routière) et la CDH Céline Fremault (Logement et Environnement) ont, elles, attendu l’avis de la Cada avant de fournir le nom de leurs collaborateurs, actuels et anciens. Pour l’Open VLD Guy Vanhengel (Finances et Budget), il a fallu le courrier du Vif/L’Express pour le convaincre de faire de même. Cela dit, la majorité du gouvernement bruxellois a joué la transparence.

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Ce n’est pas du tout le cas du ministre-président Rudi Vervoort et de la ministre de la Culture Fadila Laanan, tous deux PS. Ils résistent, malgré l’avis de la Cada. C’est d’autant plus troublant pour Vervoort dont l’ex-chef de cabinet, Yves Goldstein, a récemment été pointé par la presse pour conflit d’intérêts. Les deux socialistes n’ont donc transmis aucune liste et se sont adressés à la commission de la protection de la vie privée pour avoir son avis, en sus de celui de la Cada qui se prononce pourtant déjà sur cette question… On attend toujours. Notons que Laanan n’a même pas répondu au courrier du Vif/L’Express.

Des leçons à tirer ?

En quatre mois, seuls 5 ministres fédéraux sur 18 ont fourni la liste complète de leurs collaborateurs

Cet exercice de transparence qui, visiblement, ne ravit pas nos dirigeants politiques, montre à quel point la gestion des cabinets ministériels continue d’être le fait du prince. Notre palmarès révèle que les résistances restent assez farouches. Même pour ceux qui ont finalement fourni la liste complète des collaborateurs, il a fallu parfois insister lourdement. Beaucoup ont attendu l’avis de la Cada. Les sollicitations de Cumuleo et du Vif/L’Express étaient, pourtant, modestes. Nous n’avons pas demandé, par exemple, la rémunération des conseillers qui, au Royaume-Uni, est rendue publique…

 » On peut comprendre que les cabinettards ne veulent pas être la cible de groupes de pression, mais, in fine, la transparence est une question de culture politique, commente Min Reuchamps, professeur de sciences politiques à l’UCL. Le fait que la composition des cabinets flamands soit plus transparente démontre en tout cas qu’on peut faire les choses autrement et qu’il est nécessaire d’en discuter dans les autres gouvernements.  »

La résistance de nombre de nos ministres est même étonnante dans le climat de méfiance grandissante des citoyens par rapport à leurs dirigeants. Ne pas jouer le jeu de la transparence n’entretient-il pas le soupçon d’opacité, de petits arrangements entre amis, voire de clientélisme ?  » Dans certains cabinets, les emplois administratifs et techniques (NDLR : secrétaires, chauffeurs, traducteurs…) sont encore parfois réservés à des gens de la circonscription électorale du ministre, note Marie Goransson. En Flandre, cela a été réglementé. Le personnel d’exécution n’est plus choisi par le ministre.  » Pour Philippe Pascot, ancien conseiller de Manuel Valls et auteur de Pilleurs d’Etat (éd. Max Milo),  » le manque de transparence alimente le populisme « .

Curieux que nos politiques n’aient pas encore pris toute la mesure de cet enjeu. Surtout en Belgique où les cabinets ministériels sont pléthoriques. Alors que dans la plupart des pays européens, les cabinets ne comptent pas plus d’une poignée de conseillers, les ministres belges peuvent avoir jusqu’à 50 ou 60 collaborateurs. L’ensemble des cabinets des différents gouvernements du royaume emploient environ 2 000 personnes, dont une grande majorité de conseillers politiques.

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Or, comme le souligne le Groupe du vendredi dans sa charte,  » malgré leur place cruciale dans la machinerie démocratique, ces conseillers attirent peu l’attention. Ni celle des médias et du grand public ni même celle du législateur.  » Il est vrai qu’excepté l’arrêté flamand du 24 juillet 2009 qui règle l’organisation des cabinets, la législation en la matière est extrêmement fluette, pour ne pas dire inexistante. Aucun de ces conseillers n’est concerné par l’arrêté royal de 1937 sur le statut des agents de l’Etat ou ne relève de la supervision du Bureau d’éthique et de déontologie administrative.

Cela pose, une nouvelle fois, la question de la réforme avortée des cabinets qui, en 1999, sous le gouvernement arc-en-ciel, visait à réduire drastiquement la taille de ceux-ci à quelques personnes chargées de jouer les courroies de transmission entre le ministre et son administration.  » Cette réforme faisait partie de grands chantiers destinés à restaurer la confiance dans le politique, après les affaires Agusta et Dutroux, mais elle n’a pas abouti parce que des membres de cabinets étaient à la manoeuvre et négociaient entre eux, analyse Marie Goransson. Finalement, aucun ministre ne s’est révélé prêt à diminuer ses ressources stratégiques.  »

Aujourd’hui, les cabinets sont toujours pléthoriques, voire même encore plus qu’avant même (en Région bruxelloise, le plafond est passé de 46 à 63 membres, en 2014). Et les ministres vont pêcher nombre de leurs conseillers dans le vivier de l’administration, qui continue à payer ces fonctionnaires détachés. Ils prennent évidemment les meilleurs poissons.  » Entre autres problèmes, cela affaiblit l’administration et les ministres ont alors beau jeu de la critiquer pour justifier l’absence de réforme des cabinets « , déplore Marie Goransson. Ce qui explique que les cabinets continuent d’être les instruments ministériels, plus ou moins opaques, reléguant l’administration au rang de simple exécutant.

(1) Auteur de La Réforme des cabinets ministériels (Dossier du Crisp 2254) en 2015.

(2) Le Groupe du vendredi publie régulièrement ses idées sur notre site.

Conflits d’intérêt : tous concernés
Yves Goldstein, ex-chef de cabinet de Rudi Vervoort.
Yves Goldstein, ex-chef de cabinet de Rudi Vervoort.© JONAS HAMERS/BELGAIMAGE

C’est un argument imparable en faveur de la transparence des cabinets ministériels. C’est le but de notre enquête. Connaître l’entourage de nos gouvernants permet de mieux traquer les éventuels conflits d’intérêts. A terme, cela peut avoir des vertus préventives. Ces derniers mois, les exemples de cafouillage dans les cabinets ont été légion et touchent tous les partis, entraînant même parfois une démission retentissante. On l’a vu avec Steven Vanackere (CD&V), aux Finances dans le gouvernement Leterme, dont un des conseillers était membre du conseil d’administration de Belfius. Puis avec Joëlle Milquet, qui a remis son tablier, en 2016, après son inculpation dans le dossier des emplois fictifs de son cabinet de l’Intérieur. La ministre de la Mobilité Jacqueline Galant n’a pas démissionné sur un conflit d’intérêts, mais son successeur, François Bellot (MR), a néanmoins hérité d’un encombrant dossier : celui de l’arrêté « drones » qui impose une formation que peuvent dispenser deux sociétés appartenant à un expert du cabinet (Le Vif/L’Express du 12 décembre dernier). L’ancien chef de cabinet ainsi qu’un conseiller de Johan Van Overtveldt (N-VA) ont, eux, ouvert un bureau d’avocats proposant aux multinationales, début janvier 2016, d’attaquer l’Etat belge dans le dossier des excess profit rulings. Un dossier qu’ils avaient géré lorsqu’ils étaient aux Finances en 2015, ayant alors accès à des informations de première main (Le Vif/L’Express du 8 avril 2016). A Bruxelles, Yves Goldstein a démissionné de son poste de chef de cabinet de Rudi Vervoort (PS) juste après que La Capitale ait révélé qu’il avait caché son mandat de président d’une asbl subsidiée par la Région, alors que la Cour des comptes impose une telle déclaration. Même Ecolo n’échappe pas aux conflits d’intérêts. Sous la précédente législature, Evelyne Huytebroeck, ministre bruxelloise de l’Environnement, a lancé une monnaie alternative : 98 % du budget consacré à cette opération aurait été accordé à un bureau de consultance géré, sans doute encore à la date de la passation du marché avec ce bureau, par un membre du cabinet Ecolo. Une enquête judiciaire est toujours en cours.

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