Raoul Hedebouw, député et porte-parole du parti du PTB. © Belga

 » Qui peut dire qu’interdire le voile permet l’intégration ? « 

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le monde politique francophone reparle de laïcité de l’Etat. Le PTB est discret dans ce débat.  » Pourtant, on est preneurs ! « , s’écrie Raoul Hedebouw, député et porte-parole du parti de la gauche radicale.  » On a cette étiquette socio-économique qui fait qu’on nous demande peu notre avis sur d’autres thématiques.  » Dont acte.

Le Vif/L’Express : Le DéFI veut inscrire la laïcité dans la Constitution, beaucoup au MR le voudraient, et certains au PS aussi… Et le PTB, il se tait ?

Raoul Hedebouw : Je m’étonne très fort du timing du débat, qui est déjà politique en soi. Notre priorité, c’est de lutter contre le terrorisme. J’ai l’impression qu’il y en a d’autres qui préfèrent se chatouiller pour éviter ce débat fondamental. Cette simultanéité entre le phénomène terroriste et la problématique de la laïcité en Belgique impliquerait une causalité, et je ne suis pas d’accord avec cette analyse. On a eu le même débat à Liège autour des lieux de culte sur les lieux de travail. Le PTB n’est pas pour, mais je m’étonne de la simultanéité du timing. Cette simultanéité joue le jeu des extrémistes, djihadistes, salafistes ou de droite, qui voudraient se focaliser sur l’ensemble d’une communauté par rapport au terrorisme. Le PTB a beaucoup de choses à dire sur la laïcité, mais on a tout intérêt, en matière de lutte contre le terrorisme, à se concentrer sur d’autres choses. Nous avons un plan en six points, notamment pour cibler les recruteurs et les prêcheurs de haine. Le phénomène du terrorisme est lié à ces réseaux-là, il faut les casser. C’est là que l’on doit mettre des moyens. Or, le gouvernement fédéral diminue le nombre de juges d’instruction…

La neutralité ou la laïcité de l’Etat ne relèvent pas pour vous de ce socle commun de valeurs dont Denis Ducarme (MR) aspire à une définition ?

Je voudrais bien connaître nos points communs avec Denis Ducarme sur ce socle de valeurs. Qu’entend-il par neutralité de l’Etat ? La transaction pénale, par laquelle les gros richards peuvent racheter leurs procès, c’est ça la neutralité de l’Etat ? S’il veut débattre de ça, moi, je suis d’accord ! Combien d’ouvriers sont juges, ou patrons d’une institution importante, aujourd’hui en Belgique ? Si on veut parler de neutralité de l’Etat comme ça, nous sommes preneurs. Malheureusement, ce n’est pas ce débat-là que veut avoir Denis Ducarme…

Les questions soulevées sont surtout celles des signes d’appartenance religieuse…

Parlons-en! Quand on parle des signes ostentatoires, on va interdire les tee-shirts Coca-Cola ou la marque Chevignon ? J’ai l’impression que ce n’est pas de ça que le monde politique veut parler… Et que derrière le débat de la laïcité, chez des gens comme Denis Ducarme, on vise une seule religion, qui est l’islam. Et c’est ça le problème. Soyons très clairs : le PTB, d’obédience marxiste, est pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Mais on ne peut pas dissocier le combat laïque du combat contre le racisme. C’est la grande différence avec le combat ancien des socialistes et des libéraux contre le catholicisme dominant, qui interférait de mille manières avec les intérêts de l’Etat. Aujourd’hui, la religion musulmane n’est pas dominante, bien au contraire, et est celle de populations victimes de discriminations. Tous les rapports le disent : la Belgique est un des pays les plus discriminatoires en Europe. Si on veut avoir un débat sur le fait religieux dans nos sociétés, on doit aborder la question du racisme, qui est devenu un tabou !

En Flandre, le CD&V et puis la N-VA ont de toute façon fermé les portes…

Oui, parce qu’il y a un autre tabou, en Belgique : la place de la religion catholique… Si on veut parler de laïcité, parlons des réseaux scolaires ! Le PTB est pour un seul réseau, public, parce que le marché scolaire en Belgique est une cause de la sélection sociale terrible qui est à l’oeuvre dans notre enseignement. Mais ce n’est pas ça aujourd’hui la priorité. La priorité, c’est favoriser le vivre-ensemble, et lutter contre le terrorisme. Pour ça, il faut résoudre le problème des discriminations. Le facteur principal d’intégration, c’est le travail. C’est pour ça que les vagues migratoires de l’après-guerre se sont faites plus facilement. C’est dans les mines que les travailleurs hongrois, polonais, portugais, espagnols, italiens, ont appris à parler la même langue. Mais aujourd’hui, en Belgique, la population immigrée est pour partie exclue du monde du travail…

Ce qu’on appelle les « petits blancs déclassés » sont une partie de votre public, et on entend parfois chez eux des revendications hostiles à l’immigration, à l’islam, à la diversité en général, non ?

Bien sûr, mais il ne faut pas idéaliser le passé : c’était déjà un défi du monde ouvrier de l’après-guerre. Quand les premiers Polonais ou Italiens sont arrivés chez nous, ce n’est pas que les travailleurs belges ont crié « Génial, on a des collègues polonais qui arrivent ! » Le combat contre le racisme dans la classe ouvrière a été mené par les pionniers du mouvement syndical et politique, socialiste et marxiste. On a encore ce combat à mener. Mais à cette époque-là, ce n’était pas le débat des religions, c’étaient les macaronis et les mangeurs d’ail. Le racisme n’a pas eu besoin de religion pour exister…

Le PTB n’est-il pas pris entre deux feux, entre un public d’origine belge et des électeurs et militants issus de la diversité ?

Nous avons une stratégie de lutte des classes, d’unité : que les 99 % les moins riches s’unissent contre le 1% des plus riches, qui sont la cause des misères économiques et guerrières dans le monde. Effectivement, ce n’est pas toujours facile, mais c’est notre stratégie. Quand on organise notre fête annuelle, Manifiesta, il y a là-bas des sidérurgistes wallons, des mamans portant le foulard, des étudiants flamands, wallons, bruxellois. On veut promouvoir, en paroles et en actions, ce vivre-ensemble. C’est de l’ignorance que vient le rejet. Nous avons, à gauche, cette responsabilité-là. Nous ne devons pas la fuir.

Le PS est un peu divisé sur le sujet, à Bruxelles notamment. Est-ce aussi le cas parmi les cadres du PTB ?

Les tensions sont moins grandes au PTB, qui est un parti où l’idéologie est encore importante… Notre stratégie, c’est l’unité. Ce n’est pas pour rien que la jeunesse immigrée était très présente dans le mouvement des indignés en Espagne. Le combat unifie ! Donc bien sûr que ça oblige parfois à aller à contre-courant, mais c’est inhérent au combat politique. Chez nous, on débat des meilleurs moyens de lutter contre le racisme et contre le communautarisme : on est contre le repli sur soi dans des quartiers qui n’auraient qu’une seule obédience religieuse.

Justement, c’est aussi ce que veulent contrer ceux qui veulent constitutionnaliser la laïcité…

C’est qu’ils ne font pas de travail de terrain… Dans les quartiers les plus paupérisés de Belgique, à Bruxelles, à Liège, à Charleroi, etc., où vivent beaucoup d’immigrés qui peut venir dire qu’interdire un voile permet l’intégration d’une fille ? Ont-ils déjà parlé une fois avec une de ces filles ? Il faut arrêter la politique en chambre ! Aujourd’hui, de nombreuses femmes portent le voile fièrement. Pourquoi ? Parce qu’elles veulent s’affirmer par rapport à une société dans laquelle elles se sentent rejetées, et je dirais même plus : elles le sont, rejetées. Ce n’est même pas une opinion, c’est un fait. La question, c’est : veut-on maintenir cet état de fait ?

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