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Qui en veut aux enquêteurs carolos ?

Un document administratif a-t-il été arrangé pour mieux accabler les hommes de la cellule de Jumet, chargés des affaires politico-financières ? Alors qu’ils avancent sur un dossier de corruption sensible, ils se trouvent sous le coup d’une instruction judiciaire. Coïncidence ?

Rien ne va plus à Charleroi. La tension est à son comble chez les enquêteurs de la juge France Baeckeland. Les 25 hommes de la cellule spéciale de Jumet, qui investiguent sur les dossiers carolos les plus délicats, n’en reviennent toujours pas : ces hommes détachés de l’Office central de répression de la corruption (OCRC) se retrouvent sous le coup d’une instruction judiciaire et d’une enquête du Comité P, l’organe de contrôle externe des policiers. Tout cela pour ce qui ressemble à une bisbille administrative.

« C’est du jamais vu ! La réaction est totalement démesurée par rapport aux faits reprochés », juge Eddy Lebon, du syndicat Sypol. De là à penser qu’on essaye de déstabiliser ces limiers qui investiguent toujours sur les agissements du PS et qui ont encore de gros dossiers sous le bras, il n’y a qu’un pas. Un tout petit pas…

Une bonne partie des 25 enquêteurs ont désormais choisi le cabinet d’avocat renommé Cambier, à Bruxelles, pour les représenter. Lequel a mis en demeure la ministre de l’Intérieur Joëlle Milquet (CDH) de payer l’intégralité des indemnités de déplacement et de repas des hommes du pool de Jumet. En effet, le remboursement de ces indemnités est bloqué depuis le mois de juin 2011. Pour ces inspecteurs, la note devient salée. Tous risquent, en outre, de se voir réclamer la restitution de montants d’indemnités déjà touchés.

Plus inquiétant, un document administratif interne à la police intégrée a récemment été modifié, sans concertation ni surtout changement de date pour la nouvelle version, ce qui doit normalement être le cas. Cette modification concerne justement le cas des 25 de Jumet. Le changement d’un mot dans l’article 6.3.1.1. du Manuel d’administration financière du personnel policier permettrait de les mettre en cause plus sûrement. « On a l’impression qu’on tente de salir leur image de chasseurs, en les faisant passer pour des braconniers », déplore Eddy Lebon.

De quoi s’agit-il ? On reproche aux enquêteurs d’avoir rentré les mauvais formulaires, soit des F007, pour le remboursement de leurs frais de déplacement et de repas. Selon le Manuel d’administration financière du personnel, le formulaire F007 concerne les notes de frais pour les commissions rogatoires en Belgique. C’est ce qui est prévu lorsque des enquêteurs sont temporairement détachés de leur arrondissement judiciaire, en l’occurrence l’OCRC à Bruxelles, pour travailler dans un autre arrondissement. Il s’agit d’un déplacement de service entre deux lieux de travail.

Dans la nouvelle mouture du Manuel, la notion de commission rogatoire nationale, permettant de rentrer un formulaire F-007, ne se définit plus en fonction de l’arrondissement de l’enquêteur (ici, l’OCRC) mais en fonction de celui de l’autorité judiciaire mandante. Ce qui, pour les hommes de Jumet, change tout. L’autorité mandante étant principalement la juge Baeckeland, à Charleroi, ils n’auraient plus droit au F-007.

Etrange : cette substitution a été effectuée sans que soit datée la version modifiée et sans que le changement ait fait l’objet d’une note de service sur le site du SSGPI, le secrétariat social de la police, comme ce doit être le cas. En fait, la date est restée celle de la version précédente, soit le 3 juillet 2007. Comme si rien n’avait été modifié. Il semble cependant difficile de remettre en cause l’authenticité de l’ancienne version, car celle-ci a été déposée, le 19 février dernier, devant le tribunal de première instance de Bruxelles, dans le cadre d’une action en référé introduite par un enquêteur fiscaliste de Jumet contre l’Etat belge. De plus, cette version a été déposée par l’avocat de l’Etat. Elle paraît dès lors incontestable.

Dans les couloirs du parquet de Charleroi, il se dit que le temps que les enquêteurs passent à se défendre des accusations dont ils font l’objet est du temps perdu pour les enquêtes dans les dossiers carolos sensibles. Or l’important dossier dit des « fonds de pension » de la ville de Charleroi et de l’intercommunale de Santé publique de la Ville de Charleroi (ISPP) est plus brûlant que jamais. Un second volet intéresse particulièrement les enquêteurs.

Thierry Denoël

Dossier complet dans Le Vif/L’Express.

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