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Question(s) Royale(s) : deux manquements déontologiques reprochés à Deborsu

Le Vif

Le Conseil de déontologie journalistique (CDJ) a rendu son avis dans le cadre de la plainte déposée par le Palais royal contre le livre de Frédéric Deborsu, Question(s) Royales(s). Sur deux points, le CDJ estime que le journaliste manque de déontologie. Quatre des six reproches sont déclarés non fondés. Un cinquième est fondé tandis qu’un sixième, le recours à des insinuations, l’est partiellement, informe le CDJ dans un communiqué.

Sur les six reproches déontologiques adressés au livre Question(s) Royale(s), le CDJ en a retenu deux, dont un de manière partielle.

Le Conseil de déontologie considère que « Frédéric Deborsu n’a pas eu recours à des rumeurs, qu’il n’a pas pratiqué le plagiat qui lui était reproché et qu’il n’a pas eu recours à de la fiction ou à des explications romanesques ». Le CDJ rejette également l’argument d’atteinte à la vie privée des membres de la famille royale au-delà de l’intérêt général sauf pour deux cas particuliers : « la nature de la relation entre le Prince Philippe et M. Thomas d’Ansembourg et l’éventuelle procréation médicalement assistée des enfants du Prince Philippe et de la Princesse Mathilde ».

Le CDJ affirme être certain que le journaliste disposait de sources d’informations multiples et vérifiées même s’il ne pouvait pas les citer dans son livre.

Le CDJ donne donc entièrement raison au Palais sur un aspect : en retranscrivant un entretien avec le Roi, Frédéric Deborsu n’a pas respecté l’interdiction de reproduire des informations dites « off the record ».

Enfin, le Conseil de déontologie admet partiellement le reproche de recours à des insinuations dans les deux cas déjà mentionnés. Le CDJ estime à propos de ces passages que « soit un journaliste détient des informations sourcées lui permettant d’affirmer un fait et il l’exprime ainsi, soit il ne dispose pas de telles informations mais il doit alors éviter d’en faire état plutôt que d’émettre des sous-entendus ».

Le Palais royal satisfait

Le Palais royal s’est dit satisfait mercredi de l’avis rendu par le Conseil de déontologie journalistique. « Nous sommes satisfaits que le CDJ, organe représentatif des organisations de la presse francophone, ait retenu plusieurs de nos objections concernant des manquements déontologiques dans le livre de M. Deborsu », note le Palais. « Nous notons par ailleurs que le CDJ a émis plusieurs autres critiques concernant ce même ouvrage », poursuit le communiqué du Palais.

« Mon enquête et mes informations ne sont pas remises en question »

« Ni mon enquête journalistique, ni mes informations, ne sont remises en question », a réagi le journaliste Frédéric Deborsu. « Pour moi, c’est le plus important », a-t-il insisté.

« Ce que je vois dans l’avis, c’est que le CDJ reconnaît que mon enquête a été fouillée, que les informations ont été recoupées, que j’ai travaillé comme je l’avais toujours fait notamment pour le magazine ‘Questions à la Une’. Le CDJ dit bien qu’il n’y a pas de rumeurs dans mon livre », insiste M. Deborsu.

Pour les manquements qui lui sont reprochés en matière d’insinuation et d’atteinte à la vie privée, le journaliste affirme avoir écrit les passages incriminés « de la façon la plus sobre possible ». « J’ai longtemps réfléchi à la manière de rapporter ces informations pour justement ne pas porter atteinte à la vie privée des personnes citées. Mais j’estimais aussi que ces informations étaient intéressantes et que je devais en parler », ajoute Frédéric Deborsu. « Ce que je retire de l’avis du CDJ, c’est que soit je devais en dire plus, soit je ne devais rien dire. Moi, j’ai choisi la solution qui me semblait la plus correcte. »

Pour le non-respect du « off », l’auteur rappelle que d’autres personnes avaient déjà rendu publique une partie de l’entretien. Le livre « Question(s) Royale(s) avait suscité la polémique dès sa sortie en octobre 2012. Après sa publication, Frédéric Deborsu avait été mis à l’écart de l’antenne de la RTBF pendant un mois et envoyé au service de documentation. Il avait ensuite pris une pause-carrière de trois mois avant de réintégrer en mars l’émission ertébéenne « On n’est pas des pigeons ».

Retour sur l’affaire

L’affaire Deborsu démarre en octobre dernier, avec la parution de Question(s) royale(s). Parution repoussée après les élections communales. Explication de son éditeur, Renaissance du Livre : « Considérant l’importance des révélations contenues dans le manuscrit, [nous avons] décidé de postposer la date de parution qui était prévue début septembre pour la décaler au 23 octobre 2012, soit deux semaines après les élections communales. En effet, si la liberté d’expression est un droit fondamental, l’équipe de Renaissance considère qu’il n’est pas responsable d’alimenter un populisme quelconque avant une telle échéance. »

Dans son livre, le journaliste de la RTBF pose dix questions sur la famille royale. Ce sont les réponses qu’il apporte à quatre d’entre elles qui allument la polémique :

1) Pourquoi Albert est-il devenu roi ? Réponse de Frédéric Deborsu, disant se baser sur un entretien qui a eu lieu des années auparavant entre son frère, Christophe, et Albert II : « Le roi a décidé seul de succéder à son frère. Les rumeurs persistantes selon lesquelles Jean-Luc Dehaene a obligé Albert à monter sur le trône pour éviter que ce soit Philippe ne tiennent pas. Albert a décidé seul, en concertation avec Paola. » On reproche au journaliste d’avoir violé le secret du colloque singulier.

2) Pourquoi Philippe et Mathilde se sont-ils rencontrés ? Réponse du livre : s’il ne se mariait, Philippe savait qu’il ne serait jamais roi. Mathilde remplissait tous les critères imposés par le Palais. On les a mariés de force. On reproche au journaliste de ne fournir aucune preuve de ce qu’il avance.

3) Pourquoi Philippe est-il un prince frustré ? Réponse du livre : parce qu’il n’a pas eu de bons parents, qu’il est resté beaucoup très seul, qu’il s’est cherché longtemps une identité, qu’on lui a refusé beaucoup de ce qu’il voulait, qu’on a écarté son meilleur ami, qu’on l’a marié de force, qu’on le contrôle tout le temps dans sa communication. On reproche au journaliste de sous-entendre que Philippe est homosexuel. Et que les grossesses de Mathilde ont été provoquées in vitro. Sans apporter aucune preuve.

4) Pourquoi Albert veut-il abdiquer en juillet 2013 ? Réponse du livre : parce qu’il « souffre d’un cancer de la peau consécutif à une exposition très forte au soleil durant toute sa vie d’adulte. Un de ses amis est formel. Cet ami souffre d’ailleurs du même mal, il me l’a annoncé. » On reproche au journaliste d’affirmer que le roi est gravement malade mais de n’en apporter, encore une fois, aucune preuve.

Le Palais royal publie un communiqué cinglant selon lequel le livre du journaliste de la RTBF contient « de nombreuses informations totalement erronées et injurieuses » puis il saisit le Conseil de déontologie journalistique (CDJ).

La RTBF se désolidarise des propos tenus dans le livre et retire son journaliste de l’antenne en l’envoyant au service documentation pour plusieurs semaines.

Le CDJ se déclare compétent pour l’examen de la plainte déposée par le Palais. C’est une grande première : jamais jusqu’ici il n’avait eu à instruire une plainte visant un livre, et jamais à la requête du Palais royal. Le CDJ passe outre, ainsi, aux arguments de Fréderic Deborsu et de son éditeur La Renaissance du Livre qui estimaient que l’enquête du journaliste de la RTBF n’entrait pas dans ses compétences. Le CDJ annonce donc qu’il se prononcera sur le respect ou non par Frédéric Deborsu des règles déontologiques journalistiques, comme le respect de la vie privée et du secret lié au colloque singulier avec le roi.

Deborsu, lui, explique au Vif/L’Express: « J’ai vingt ans de journalisme derrière moi, durant lesquels j’ai réalisé des enquêtes sérieuses. J’ai agi de la même façon ici. En trouvant des témoins, tous de première main, mais qui ne voulaient jamais qu’on révèle leur identité.

Chaque témoignage a donc été recoupé par des témoins indépendants les uns des autres. Pour
qu’un témoignage soit publié, il devait être recoupé à trois sources minimum. J’ai fait le maximum. Je ne pouvais pas faire plus. Quand on parle de la monarchie, c’est très difficile d’avoir des gens qui parlent ouvertement, ce qui pose d’ailleurs question : y a-t-il de si lourds secrets derrière la famille royale belge que les gens de son entourage n’osent pas parler ? Dans ce livre, je pose des questions et j’y apporte les meilleures réponses possible. »
Pourquoi avoir eu recours à tant d’insinuations ? « Ce ne sont pas des insinuations.

Tout ce que j’avance a été dit par des témoins crédibles, des proches du Palais. Je n’insinue rien. Je dis seulement qu’il y a eu une amitié qui a beaucoup compté pour Philippe. J’écris qu’il a eu à une certaine époque un ami, très proche. Dont on l’a privé ensuite. J’écris que c’est à l’époque où Astrid se prépare à être reine, que ça ne lui pose aucun problème, avec Lorenz en prince consort, que son père met la pression sur Philippe pour qu’il se marie sinon il ne sera pas roi, mais je ne vous donnerai pas les personnes qui me le disent. »

Le livre, lui, se vend comme des petits pains : tirage de 11 000 exemplaires en français, et 5 000 en néerlandais ; 7 000 partent en une semaine. « Nous visons la barre des 15 000 », annonce Renaissance du Livre.

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