Nicolas Baygert

Quel « nous » pour les francophones ?

Nicolas Baygert Chargé de cours à l'IHECS et maître de conférences à l'ULB

La « deweverisation des esprits » se confirme. Et le Sud se cherche une identité. Sur fond de plan B.

La vision confédéraliste propre à Bart De Wever s’érige en réalité historique, boostée par une pléthore de sondages plaçant la N-VA au plus haut. Charles Picqué exhume le plan B des francophones et les astrologues de la presse écrite prédisent déjà la date d’abdication d’Albert II. La Belgique n’aurait globalement plus la cote. Les Diables rouges ne constitueraient eux-mêmes qu’un soin palliatif pour une Belgique en phase terminale. Aussi le belgo-scepticisme est un filon qui marche, alimentant éditos et messes cathodiques dominicales, et donnant lieu à un brainstorming généralisé sur l’horizon francophone post-2014.

Précisément, suite au nation-branding flamand mené avec succès ces dernières décennies, le couperet de 2014 provoque une fuite en avant vers la constitution d’un nouveau « nous » francophone – un sprint identitaire (préventif) vers le confédéralisme : paradoxe d’un nation-branding visant à offrir un vernis de respectabilité au plan B – au cas où. Mais ce processus se heurte à plusieurs obstacles.

Alors que la RTBF entame une nouvelle saison de The Voice Belgique, VTM diffusera sa seconde édition de The Voice van Vlaanderen. La titraille flamande n’étonne plus – marketing identitaire oblige. L’emballage « belge » est lui symptomatique d’un wishful thinking autour d’une « Belgique résiduelle » (sans les Flamands) : l’émission ertébéenne visant essentiellement les candidats issus de la Communauté française – rectifions : de la « Fédération Wallonie-Bruxelles ». Parlons-en de cette Fédération : la Belgique, nouvelle terre des matriochkas, s’offre le luxe d’une fédération dans une fédération existante. L’appellation FWB – au demeurant anticonstitutionnelle – est désormais matraquée dans le champ médiatique, le logo tricolore s’impose peu à peu dans les prospectus. La Fédération offre même du rêve : un « Coq de cristal » (jadis remis in extremis à un Jean-Paul Belmondo, dubitatif).

En parallèle, rappelons que la Région wallonne dépensa près de 500 000 euros pour son étude McKinsey sur la « marque Wallonie ». Là aussi, Rudy Demotte, double ministre-président, projette du symbole à tout-va. Exemple : la récente remise des Mérites wallons. « A l’heure où nous sommes appelés à exercer de plus en plus de compétences et d’autonomie, ces médailles prennent un sens plus profond encore » , dixit Demotte. Le plan B serait donc avant tout un plan Branding. Pourtant, celui-ci exige que l’on tranche d’abord entre deux entreprises de nation-branding en concurrence : destin régional ou communautaire ?

Le plan B se heurte à un troisième obstacle : l' »identité socialiste », qui court-circuite la genèse d’une identité territoriale dépolitisée, indispensable pour susciter l’adhésion de tous. En effet, là où le philosophe Jean-François Lyotard suggérait un déclin des « grandes narrations » dans leur capacité à structurer l’espace social et les comportements, le socialisme wallon fait figure d’exception. Mort de « Papa », mort de « Dieu », le PS n’en reste pas moins structurant dans la construction identitaire de bon nombre de Wallons, socialistes avant tout.

Et pendant que les référents identitaires s’entrechoquent sans réellement donner sens, peut-être serait-il indiqué de réinvestir pragmatiquement dans l’unique « Lovemark » à portée internationale, à savoir la Belgique.

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