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Que gagne vraiment un homme politique ?

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Les hommes et femmes politiques, en Flandre comme en Wallonie, sont actuellement sur la sellette concernant les montants parfois astronomiques de leurs mandats. Dernière victime en date : le président de la Chambre et chef de groupe N-VA au conseil communal de Gand. Siegfried Bracke a, en effet, annoncé ce mardi qu’il quittait son poste de membre du conseil consultatif de Telenet. Mais que gagnent au final les personnalités politiques de notre pays ? Des journalistes du Morgen ont essayé de le savoir en Flandre et la réponse est plutôt complexe.

En Flandre, l’affaire Publipart a fait ses premières victimes à Gand. Groen a réclamé la transparence sur les montants touchés par Koen Kennis, l’échevin anversois de la Mobilité et des Finances, un proche du bourgmestre d’Anvers, Bart De Wever. Koen Kennis a livré lundi le montant de sa rémunération. Il gagne 7.237 euros nets par mois pour l’exercice de sa fonction d’échevin et d’autres mandats. L’intéressé touche environ 3.900 euros par mois en tant qu’échevin. Le reste provient de divers et nombreux mandats: pas moins de 40, dont 17 sont rémunérés. Leur nombre élevé est lié à la structure particulière de certains secteurs, notamment l’énergie où officie Koen Kennis. Plusieurs sociétés à participation publique y sont actives, comme Intermixt, Eandis, etc. « Je m’occupe de cela en continu », a affirmé l’échevin qui a appelé à une simplification des structures.

Siéger au sein d’une intercommunale n’est pas le seul moyen pour un politicien de gonfler son salaire mensuel. Il y a bien d’autres options qui s’ouvrent à lui, tels que des mandats de gestion dans des régies communales, des ASBL provinciales et des entreprises publiques indépendantes.

Le quotidien flamand De Morgen a épluché des centaines de pages de rapports annuels, des listes de mandats et de textes de loi pour essayer de faire la lumière sur la rémunération exacte du politicien flamand en général. Verdict : l’enquête est ardue et assez chaotique…

Tout d’abord, explique le quotidien flamand, il existe des règles claires et transparentes sur ce que gagnent respectivement par mois un échevin, un bourgmestre ou un membre du parlement flamand. C’est la taille de la commune ou de la ville qui définit le montant du salaire. Exemple : Bart De Wever (N-VA) gagne dans une grande ville comme Anvers 132.641 euros bruts par an. Le bourgmestre d’Ypres, Jan Durnez (CD&V), touche, de son côté, dans une ville de presque 35 000 habitants, 82.213 euros bruts précisément. Un échevin gantois est payé 99.481 euros et à Lier, 49.327 euros. Rien de surprenant jusque-là.

Les députés provinciaux – dirigeants d’une province – de leur côté, peuvent prétendre au même salaire annuel qu’un membre du parlement flamand : leur salaire agrémenté de frais forfaitaires arrive à la somme de 112.000 euros bruts. A cela, il faut encore ajouter des dédommagements de déplacement, entre autres.

Les membres des conseils provinciaux et communaux pousseront peut-être des cris d’orfraie en lisant ces lignes. Dans leur cas, ils ne sont en effet pas payés par mois, mais par jetons de présence aux réunions. Leur montant dépend du de la taille de la commune ou de la province et peuvent aller de 50 à 205 euros par réunion, bruts.

La solution : le cumul de mandats

Selon Johan Vande Lanotte (sp.a), il est compréhensible que les membres des conseils communaux essaient de trouver de quoi agrémenter leur salaire de base « peu élevé »: « Pour de nombreux membres de conseils communaux, ces mandats de gestion leur rapportent quelques centaines d’euros par mois. La plupart perdent même de l’argent quand ils voient ce qu’on leur demande dans une commune. Ils doivent être présents à toutes les activités, doivent payer des tournées… », déclare le bourgmestre d’Ostende dans De Standaard.

Un moyen fréquent d’arrondir ses émoluments est donc de siéger dans une intercommunale, mais aussi d’occuper des mandats de gestion dans des conseils d’administration des hôpitaux, des ASBL communales ou provinciales, des entreprises privées-publiques, des coupoles d’écoles…

De Morgen reprend l’exemple de Koen Kennis. Ce dernier gagne sur une année 49.843 euros bruts grâce à ses mandats dans des intercommunales, mais presque autant, soit 46.932 euros, pour des mandants au sein de BAM (Beheermaatschappij Antwerpen Mobiel) PMV ou encore le port d’Anvers et VITO. Ce cumul de mandants n’est pas, en soi, illégal, il est défini par des lois. Ainsi, un mandataire local peut gagner avec ses mandats publics au maximum une fois et demi le salaire d’un parlementaire. Calculé grossièrement, cela peut grimper à 170.000 euros bruts par an. Ce qui est gagné dans le secteur privé est dans ce cas, illimité. Siegfried Bracke (N-VA) gagnait en tant qu’administrateur de Telenet 12.000 euros par an et 2000 euros par réunion (il a annoncé ce mardi qu’il démissionnait). Légal donc. Cependant, des règles plus strictes devraient plafonner les montants alloués est d’avis De Morgen.

Lire aussi: Telenet a payé Bracke 12 000 euros bruts par an, ainsi que des jetons de présence

Tout comme au sein des intercommunales, il se révèle assez complexe de connaître exactement le montant des mandats communaux et provinciaux prestés par les hommes et femmes politiques. Ces derniers contournent en effet de plus en plus les règles de cumuls qui font en sorte que certains mandats ne sont pas rétribués. La loi veut ainsi que des bourgmestres et échevins qui siègent dans des structures communales pures, au contraire des membres des conseils communaux, ne soient pas rétribués. Ce qui pousse les communes à changer la structure de certains de leurs organes de gestion pour que leurs administrateurs puissent prétendre à des émoluments.

Exemple concret : si un échevin siège dans une structure communale pure, il ne peut donc pas, selon la loi, recevoir de rétributions supplémentaires. C’est le cas des échevins du port d’Ostende. Mais il y a évidemment des exceptions à cette règle : le port d’Anvers tout comme le port de Gand a changé de structures en passant il y a quelques années d’une société communale indépendante à une société anonyme de droit public. Ces entourloupes peuvent aussi fonctionner pour des structures hospitalières ou des initiatives d’écoles. Ce sont les entreprises, ASBL et autres hôpitaux qui décident alors de leur changement de statut plus favorable pour les personnes qui siègent au sein de leur comité de gestion.

Un danger pour la transparence politique

Interviewé par le quotidien flamand, Johan Ackaert, professeur à l’UHasselt explique: « Dans les années 70, l’organigramme d’une commune était simple. On avait un conseil communal, un CPAS dirigé par le conseil communal et une fabrique d’Église. » Il ajoute : « Maintenant, on a encore un conseil communal et un CPAS, mais tournent autour un tas d’organes. Intercommunales, entreprises communales autonomes, conseils de police, etc…. tous ces satellites concluent des accords entre eux et il en résulte un grand réseau ».

Un danger pour la transparence politique selon l’expert : « La structure du réseau, au contraire que ce qui faisait dans le passé, n’a plus de centre dominant. A l’heure actuelle, un conseil communal n’a plus le contrôle et la gestion de la commune en mains, mais est seulement un de ses organes« , avertit Ackaert. Cette évolution est visible dans toute l’Europe. « La gestion n’est plus réalisée par une autorité locale, mais par toutes sortes d’organisations locales. »

De Morgen cite aussi le cas des structures qui ont besoin de représentants de partis pour fonctionner comme la VRT dont le président est Luc Van den Brande (CD&V) qui est aussi président de Technopolis, le hub technologique malinois. Au sein du conseil d’administration de la société de transport en commun De Lijn, on trouve Marc Descheemaecker (N-VA). Ces postes rapportent souvent de belles sommes à leurs mandataires. A la VRT, un mandataire reçoit une rétribution de 2500 euros bruts par an et de 250 euros par réunion. Dans ce contexte, Koen Kennis a, lui, perçu 15.333 euros bruts par an en tant qu’administrateur de la BAM (Beheermaatschappij Antwerpen Mobiel). Pour siéger au sein de PMV, il touche 21.193 euros…et on peut additionner les différents montants de mandat de la sorte.

En résumé, au vu de ces structures complexes, il est donc très difficile d’évaluer au juste combien un homme politique gagne sur une année. On y verrait déjà plus clair si tous les bourgmestres et échevins faisaient ce que les élus sp.a et Groen ont fait lundi à Gand : révéler leurs revenus au grand public. On y apprend par exemple que Daniël Termont (sp.a), à côté de son salaire annuel de 130.233,18 euros bruts en tant que bourgmestre a touché en 2015 40.421,10 euros supplémentaires en indemnisations pour d’autres mandats prestés. Celui qui gagne le plus chez Groen est Flip Watteeuw avec 94.928, 27 euros de salaire brut annuel en tant qu’échevin et 7.267,64 euros bruts de revenus complémentaires.

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