Quand Tintin fait allusion aux institutions belges et aux valeurs de notre Constitution
Ces allusions peuvent être parfois surprenantes. Relecture des albums mythiques avec les lunettes d’un constitutionnaliste.
Inépuisable, l’oeuvre d’Hergé ! A l’apparente simplicité des aventures de Tintin répond une multitude d’essais et de thèses philosophiques, psychanalytiques, ethnologiques, socio-politiques, historiques et autres. Cette fois, c’est un juriste qui s’y colle. Pour une conférence au Cercle de Wallonie, le député fédéral Francis Delperée a relu les albums mythiques avec ses lunettes de constitutionnaliste. Et il y a découvert des allusions aux institutions belges et aux valeurs de la Constitution. Tintin est, selon lui, un guide et un témoin sur les questions qui touchent aux trois mots clés de La Brabançonne, » Le Roi, la loi, la liberté « .
Le Roi ? » Tintin est sans nul doute le chantre de la monarchie constitutionnelle, répond Delperée. Le Sceptre d’Ottokar en est l’exemple le plus manifeste. » Une perle figure aux dernières pages de l’album, qui semble donner raison au juriste : quand le roi Muskar XII décore Tintin du collier du Pélican noir, il prend soin de préciser que cette décision a été prise » d’accord avec Nos ministres « . » On croirait lire l’article 106 de la Constitution, commente le juriste. Le Roi n’agit jamais seul, même lorsqu’il décerne des titres et des ordres nationaux. »
Les tintinophiles savent à quel point le royaume imaginaire de Syldavie du Sceptre est une Belgique déguisée en pays slave. Une Syldavie bien sympathique, dont la devise exprime le principe de continuité qui caractérise la fonction royale : » Eih bennek, eih blavek « , formule dérivée de » Hier ben ik, hier blijf ik « ( » J’y suis, j’y reste « ).
Muskar XII : « J’abdiquerai ! »
Son peuple est très attaché à son roi. Mais la Syldavie est aussi démunie que les démocraties occidentales à la fin des années 1930 face à la menace hitlérienne. Le pays de Muskar XII est attaqué par la Bordurie voisine, capitale Szohôd ( » fou » en bruxellois). Muskar est sur le point de perdre sa couronne, au propre comme au figuré : il doit retrouver le sceptre qui lui a été dérobé. Car il convient qu’il l’arbore le jour de la Saint-Wladimir. Une règle issue de la » tradition syldave « , est-il précisé. » Autrement dit, explique Delperée, la Constitution trouve, comme il se doit, ses sources principielles dans l’histoire du pays. »
Privé de sceptre, le roi ne bénéficierait plus de l’adhésion populaire. En ce cas, il n’aurait plus qu’à démissionner. Muskar, qui en est conscient, déclare, non sans panache : » Rassurez-vous, mon cher ministre, le sang ne coulera pas ! J’abdiquerai ! » Le Sceptre d’Ottokar est sorti en album couleur en 1947. Quatre ans plus tard, Léopold III abdique, après des mois de troubles antimonarchiques.
Dupondt : » Au nom de la Loi… »
Tout comme le Roi, la loi est bien présente dans les aventures de Tintin, champion de l’ordre. » On y retrouve, dans la bouche des Dupondt, l’expression « La Loi, c’est la Loi » « , signale Delperée. » Ou encore, la phase » Au nom de la Loi, je vous arrête ! » (Les Cigares du pharaon). » Avec, chaque fois, une majuscule à Loi « , relève le juriste.
Les méchants doivent être châtiés. Pour autant, la justice expéditive est clairement condamnée : » Quand on accuse quelqu’un, il faut des preuves « , assène le capitaine Haddock au cuisinier du Sirius, qui accuse Milou d’avoir volé un poulet (dans Le trésor de Rackham le Rouge). Dans Tintin en Amérique, une scène dénonce les exécutions sans procès : victime d’une erreur judiciaire, Tintin est assailli, en plein Far-West, par des excités du lynchage qui crient : » Je vais le pendre moi-même ! « , » C’est moi qui le pendrai ! « , » Non, c’est moi ! « … Dans Au pays de l’or noir, Tintin informe l’émir Ben Kalish Ezab que leur ennemi, le docteur Müller, agent secret d’une puissance étrangère, est entre les mains de la police. » Je lui ai donné ma parole qu’il serait jugé régulièrement « , prévient le petit reporter au souverain du Khemed. Il s’attire alors cette réplique cinglante : » Par Allah ! que vous êtes compliqués, vous autres Occidentaux ! Nous sommes plus expéditifs, nous ! »
Tournesol : « Je refuse de serrer une main… »
Et les libertés ? Il y aurait beaucoup à dire sur la liberté de la presse. Hergé ne fait pas une confiance absolue à ce qui s’écrit dans les journaux. » Dans Les Bijoux de la Castafiore, l’hebdomadaire Paris Flash fait l’objet d’une critique ironique « , rappelle Delperée. Tintin est-il insensible aux droits de l’homme ? On l’a soutenu. L’album Tintin au Congo, sorti en 1930, est celui qui a déclenché le plus de polémiques. Mais la cour d’appel de Bruxelles a décidé, le 28 novembre 2012, que l’album n’était pas raciste et que son auteur s’était borné à reproduire les stéréotypes véhiculés durant l’époque coloniale. Dans l’album Les Picaros, Tintin (ou Hergé) laisse la parole à Tournesol : à son arrivée à Tapiocapolis, accueilli par l’aide de camp du dictateur local, le professeur » refuse de serrer une main qui foule aux pieds les droits imprescriptibles de la personne humaine « . Pour le constitutionnaliste, » au-delà de son côté prudhommesque, la formule est précise et se retrouve dans les instruments de droit international « .
Un communiste : « Personne contre cette liste ? »
La démocratie suppose aussi le pluralisme. Dans Au pays des Soviets, la première aventure de Tintin, créée en 1929 et qui vient d’être colorisée, l’envoyé spécial du Petit Vingtième dénonce ceux qui n’acceptent pas des élections libres et transparentes et s’inscrivent ainsi délibérément en dehors du champ constitutionnel. C’est la fameuse scène des » élections de soviets « , à laquelle Tintin et Milou assistent dissimulés derrière une palissade.
De même, lorsque le général Alcazar, dans L’Oreille cassée, renverse l’échiquier et interrompt ainsi la partie qu’il joue avec Tintin, il témoigne du mépris de la règle institutionnelle : » Il manifeste sa volonté de se placer hors-jeu pour ne plus être soumis à ses prescriptions, souligne Delperée. L’ordre que privilégie Tintin commence, lui, par l’instauration de l’ordre constitutionnel. C’est la morale de l’histoire. Comment, dès lors, ne pas s’en féliciter ? »
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