Thierry Fiorilli

Quand respecter la loi rend stupide

Thierry Fiorilli Journaliste

C’est une histoire qui fait sortir de ses gonds. La justice belge fait savoir à une femme qu’elle a trois mois pour récupérer le dernier objet appartenant à son mari : la corde avec laquelle il s’est pendu, sept mois plus tôt. « C’est le règlement », répète Annemie Turtelboom. Sans vergogne.

En janvier, à Jurbise, un homme s’est suicidé. Drame et début de deuil pour la famille, qui ne s’en remettra jamais, évidemment. Conséquences judiciaires habituelles : le médecin constate le décès, la justice conclut sur les causes, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une mort dite naturelle. Procédures administratives classiques : déclarations à signer, objets à récupérer (alliance, montre, lunettes…). Pour l’épouse de cet homme, en août dernier, ultime étape « officielle » : un courrier, lui signalant qu’elle peut contacter le service d’accueil des victimes. Motif : « objets saisis par les autorités judiciaires ». A défaut, au bout de trois mois, comme la loi le stipule, ils deviendront propriété de l’Etat.

Il s’agit d’un objet, dans ce cas précis. La corde avec laquelle l’homme s’est pendu.

On imagine l’état de sa veuve, sept mois après la tragédie. Au point que la bourgmestre de Jurbise, Jacqueline Galant, députée fédérale MR, consternée par ce courrier, par cette démarche administrative, interpelle Annemie Turtelboom, la ministre Open-VLD de la Justice, en commission de la Justice, cette semaine. Réponse de la ministre : tout a été fait sous la dictée et dans le respect de la loi (qui date de 1998).

Merci de votre question, au revoir. Autre chose ?

On peut considérer cette histoire comme un petit fait divers. On ne doit pas. Parce qu’il est l’illustration de la bêtise et l’inhumanité qui naissent toujours de la psychorigidité des gens et des règlements. Aujourd’hui encore donc, « parce que c’est la loi », une ministre couvre un acte borné de son administration. Informer cette femme qu’elle peut venir récupérer la corde avec laquelle son mari a mis fin à ses jours, et dans les trois mois, c’est donc normal puisque c’est ce qui est prévu. C’est évident, puisque c’est écrit dans un texte qui fait référence. C’est même à applaudir ,puisque c’est dans le respect des règles et Dieu sait si plus personne ne les respecte, ces règles.

Dans le chef de Turtelboom, qui restera dans l’histoire belge comme l’une des ministres de la Justice s’étant mis à dos le plus de monde (gardiens de prison, médecins dans les prisons, traducteurs jurés, avocats, magistrats…), rien d’étonnant : elle est au tact et à la considération des individus ce que Mars est à la Terre : étrangère. Dans le chef de celle ou celui qui n’a pas pris la décision, à son niveau, de ne pas envoyer ce courrier à l’habitante de Jurbise, d’évidemment considérer que personne, nulle part, jamais, ne souhaiterait « récupérer » ce genre « d’objets saisis par la justice », c’est sidérant. On s’indigne du moindre manque d’égard pour l’autorité, la justice, la chose publique, mais on marche au pas derrière le règlement. Comme un troupeau de vaches vers l’abattoir.

Encore bravo au zélé! Et merci, madame la ministre. Tout le monde est très fier de vous.

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