David Abiker

Quand les cathonautes voteront lors du conclave 2.0

Ou quand la communication moderne aura eu raison des secrets du Vatican.

Par David Abiker

Il était le benjamin des 119 cardinaux entrés en conclave le 10 mars 2043 pour choisir un successeur à Jean-Paul III. Toute sa vie spirituelle, il avait espéré ce moment, comme l’apex de sa carrière ecclésiastique. D’abord, parce qu’il s’était engagé très tôt pour l’ordination des femmes et le mariage des prêtres, finalement autorisés par le concile Vatican IV, quinze ans plus tôt, mais surtout parce qu’il avait été l’un des premiers à proposer que le conclave soit filmé et les droits cédés à la RAI. Pour 57 millions d’euros. Nommé à la tête de la section des affaires générales, il en avait lâché l’idée dans une interview au Corriere della sera. Il défendait aussi la fin du secret de l’élection du pape en invoquant l’attachement des fidèles à la transparence, ainsi que leur volonté de participer à la vie de l’Eglise. Ses propos avaient créé un tollé avant de s’imposer comme une évidence.

En ce mois de mars, alors que le scrutin peinait à désigner un nouveau pape, la présence de webcams dans la chapelle Sixtine, actionnées de l’extérieur par la régie du Vatican, choquait à peine les derniers brontosaures du traditionalisme. Mais ce qui excitait aussi bien les médias que les sites de paris en ligne était la consultation électronique des catholiques du monde entier, via une procédure de vote en ligne ultrasécurisée. L’idée en revenait à Benoît XVI, qui l’avait formulée dans un document versé aux archives secrètes de l’Eglise, déclassifié vingt ans après sa mort. Le benjamin du conclave de 2043 l’avait reprise à son compte dans une tribune intitulée « Benedictus le numérique ». Le conclave était donc filmé, accessible aux « cathonautes » en streaming sur le site du Vatican avant le vote. Par deux fois déjà, une fumée noire s’était échappée de la cheminée, tandis que quatre lumières rouges monumentales s’étaient allumées sur le balcon de la façade de Saint-Pierre de Rome. Il en aurait fallu quatre bleues pour que l’Eglise apostolique et romaine rende public le nom de son nouveau chef. En attendant, l’institution avait comblé son retard technologique, grâce à lui. Il photographia ses collègues et posta leurs portraits sur Faithbook : en dessous se multipliaient les « likes ». C’est néanmoins via Twitter qu’avant le premier tour de scrutin il avait rappelé le serment des cardinaux : « Je prends à témoin Notre Seigneur Jésus-Christ, qui me jugera, que j’élirai celui que je crois devoir élire devant Dieu. » Le camerlingue avait pourtant donné des consignes strictes : « Ce n’est pas parce que la presse titre « Paul 7.0″ qu’il faut tweetter nos débats ; nous sommes symboliquement coupés du monde ! » Certains membres du collège cardinalice avaient souri à l’évocation de cet anachronisme.

De ce conclave 2.0, il avait rêvé, petit garçon, le 12 décembre 2012, en découvrant, sur YouTube, Benoît XVI tweetter pour la première fois. Quand vint le troisième tour de scrutin, Son Eminence remplit son bulletin d’une écriture non reconnaissable, le leva solennellement et vota. Les autres firent de même, suivi par 500 millions de catholiques, dont les suffrages en ligne pondéraient celui du collège. Cette fois, quatre lumières bleues illuminèrent la place Saint-Pierre, tandis qu’une fumée blanche apparut sur les écrans du monde entier.

S’ensuivit une panne de réseau mondiale qui dura jusqu’à Pâques. Aucun ingénieur n’est parvenu à l’expliquer à ce jour, mais certains prélats ont leur petite idée.

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