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Quand l’Etat contourne ses propres lois

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Fûtés, les pouvoirs publics. Ils refilent à des ASBL leur coûteuse gestion informatique. Ni marchés publics à passer, ni fonctionnaires à embaucher, ni TVA à payer. Enquête sur un joli tour de passe-passe.

Il arrive qu’un ministre se révèle visionnaire. 2 juin 1989 : Philippe Busquin, ministre PS des Affaires sociales, sait trouver les mots justes en soufflant les 50 bougies d’une ASBL répondant à la douce appellation de Smals. « Le fait qu’un maillon aussi important de notre système de sécurité sociale reste à ce point dans l’ombre constitue depuis longtemps un paradoxe et un objet d’étonnement. »

La magie du mystère opère toujours. L’honorable vieille dame se porte comme un charme. Que de chemin parcouru depuis sa naissance, en 1939 ! La Société de Mécanographie pour l’Application des Lois Sociales (Smals, en bref) a bien bonifié avec l’âge. Sans jamais faire de vagues. Moins par coquetterie que par goût de la discrétion. Une vertu hautement appréciée en affaires.
Et des affaires, Smals en brasse. Elle s’est trouvée un créneau hyper-porteur : seconder les organismes du secteur social et des soins de santé dans leur gestion de l’information, en leur fournissant l’expertise nécessaire en informatique et en technologie de la communication. Un business en or, exclusivement axé sur la sphère publique.

De fait, Smals est une boutique qui tourne. Ses bilans annuels de santé financière s’en ressentent. Un chiffre d’affaires record et en hausse constante, passé de 135,7 millions d’euros en 2007 à 193,4 millions en 2011. L’emploi à la fête : deux fois plus de personnel en dix ans, 1 500 collaborateurs en 2007, plus de 1 700 en 2012. A 73 ans, la vieille dame n’a pas fini sa croissance.
Son homme fort n’en est pas peu fier. Depuis 2004, Frank Robben a la haute main sur cette boîte d’un genre un peu particulier. Ni administration publique ni société privée. Mais une ASBL, d’envergure, qui évolue et prospère à la faveur d’un schéma de travail « pragmatique et flexible. »

La formule plaît à l’ex-Dehaene boy. Frank Robben, avec le soutien de son patron de l’époque, plombier institutionnel hors pair, a su redonner un nouveau souffle à Smals. « Cette façon d’opérer permet de régler beaucoup de choses de manière informelle », confie au Vif/L’Express ce grand commis de l’Etat fédéral et CD&V. Et ce, sans avoir à s’embarrasser d’un tas de contraintes légales qui pèsent sur l’appareil public et nuisent à la marche rapide des affaires. Comme la loi sur les marchés publics. Comme la procédure de recrutement des fonctionnaires par le Selor. Comme la législation sur l’équilibre linguistique au sein de la Fonction publique. Comme les règles de contrôle en vigueur à l’Etat. Ou comme la TVA exigible pour prestations.

L’ASBL a su capter du beau monde, en guise de clientèle : 83 organismes adhérents en 2011. A commencer par la Sécu au grand complet, soit quinze parastataux. La plupart de leurs patrons (ONSS, Inami, Onem, ONP), y gagnent au passage un siège d’administrateur au sein de l’ASBL. Le client est donc aussi fournisseur. Frank Robben donne le ton : un pied à la tête de la Banque Carrefour de la Sécurité sociale (BCSS) dont il est le fondateur, l’autre pied à la direction de la plate-forme électronique en soins de santé e-Health. BCSS, e-Health : deux utilisateurs intensifs des services de Smals dont Frank Robben est l’administrateur-délégué.

Les entreprises privées du secteur hurlent à la concurrence déloyale, à la distorsion du marché, à la malhonnêteté des pouvoirs publics. Agoria ICT, leur fédération professionnelle, réclame que cesse « cette avalanche sans merci de  »nationalisation TIC » fulgurante. »

Car la success story de Smals est contagieuse. GIAL, IRISteam, Digipolis, etc. : d’autres ASBL ou associations chargées de mission ont investi le créneau des TIC, fournissent leur expertise à des services publics en tous genres, à tous les niveaux de pouvoir.
Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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