Koen Geens, ministre de la Justice (CD&V) © BELGA

« Qu’un éboueur gagne moins qu’un banquier n’est pas logique, c’est juste comme ça »

Le Vif

« Ce qu’il y a de difficile avec l’argent, c’est qu’il n’y a pas de logique. Certains trouvent surprenant que des éboueurs, dont la fonction est essentielle, gagnent moins que des banquiers. Nous essayons de l’expliquer par des concepts comme le marché, mais la vérité c’est qu’il n’y a pas la moindre logique. C’est tout simplement comme ça. » Ces paroles viennent de Koen Geens qui était jusqu’à l’année dernière ministre des Finances.

Geert Schuermans a interviewé pour son livre ‘Een jaar in de wereld van de ongelijkheid’ (un an dans le monde de l’inégalité) des politiques et des personnes influentes. Son livre est disponible cette semaine en néerlandais. Extraits.

Depuis que le livre de Piketty est sorti, il semble que l’inégalité soit à nouveau devenue un sujet d’actualité. On voit partout ce concept, mais d’où vient cet intérêt sociétal ?

Geens: Je ne pense pas que ce soit nouveau. Nous vivons tous dans un monde matériel. Tout ce qui a rapport avec l’argent intéresse les gens. Avant, on avait les nobles et maintenant on a les stars. En soi cette idolâtrie n’a rien de mal, sauf si elle est source de trop grande frustration. On a besoin d’argent pour être heureux, mais on ne le devient pas si on en a trop. C’est un sujet difficile parce que justement tellement irrationnel. Les gens peuvent être choqués par le salaire de certains banquiers, mais sont tout de même prêts à payer des sommes faramineuses pour aller voir un match où les joueurs gagnent souvent encore plus que les banquiers.

Comment expliquer cela ?

J’ai appris à ne pas y chercher une logique. Mais peut-être que cela a à voir avec l’identification. Les gens aiment voir ceux qui sont partis de nulle part réussir. L’argent est un signe de succès.

Les politiciens voient-ils les inégalités enfin comme un problème ?

Ce que les politiciens sentent surtout, c’est quand cela dépasse les bornes. Ils ont compris que des salaires trop élevés étaient inacceptables d’un point de vue sociétal. Mais, honnêtement, il n’y a pas tant de salaires exubérants en Belgique.

Êtes-vous pour un développement de notre système de redistribution des richesses ?

Je choisis notre capitalisme corrigé bien avant n’importe quelle forme de communisme, même si cela signifie qu’il y aura toujours des inégalités. Ceci dit, je pense que ceux qui ont moins devraient recevoir plus. La plupart des Belges, s’ils remontent sur une ou quatre générations, constateront qu’à un moment, l’État l’a aidé à devenir ce qu’il est aujourd’hui.

Vous rejoignez donc le postulat que plus d’égalité est mieux pour tout le monde ?

Oui, c’est du bon sens. Bien sûr la sécurité doit aussi être assurée par d’autre moyen, mais si j’ai assez pour famille, je serai moins tenté de voler mon voisin. Une société a besoin de beaucoup de cohésion sociale pour fonctionner. Si nous choisissons de laisser grandir les inégalités, l’équilibre risque d’être rompu et entraîner des problèmes dans son sillage. Ce n’est pas sain lorsque, disons le quart des personnes les plus pauvres, ne va plus voter parce qu’il pense que cela ne sert à rien. Mais heureusement nous n’en sommes pas là.

Que pensez-vous d’une taxe sur le capital ?

Il existe beaucoup de façon dont les autorités pourraient redistribuer l’argent. La taxe sur le capital est l’une de celles-là. Ce n’est qu’une cerise sur le gâteau. Il serait bien plus judicieux d’affiner le système de taxation pour répartir la pression sur la population.

Pourquoi pensez-vous que l’idée de la taxe sur le capital est aujourd’hui de retour ?

C’est parce qu’on a l’impression que les richesses sont plus concentrées qu’avant. Pourtant avant, seules quelques personnes étaient riches et leur capital était essentiellement fait de biens. Aujourd’hui de plus en plus de gens ont des richesses sous forme de capital.

Et donc, c’est une bonne idée de taxer le capital ?

Je peux comprendre qu’on se pose la question. Il ne manque pas de preuve que les richesses en capital grandissent plus vite que les richesses sous forme de bien. Cela entraîne une plus grande fracture entre les gens qui ont et ceux qui n’ont pas. Seulement, même Thomas Piketty dit qu’un gouvernement national ne peut lever seul cette taxe. C’est un vrai problème pour les politiques d’aujourd’hui . Construire un système de taxation juste est tout sauf facile. Mais il y a de l’espoir. Aux États-Unis, on remarque de plus en plus que la fraude et le crime sont souvent liés. On se trouve donc devant une révolution. Si les Américains sont naturellement contre les impôts, ils aiment néanmoins une collecte juste. Ils ont mis les Suisses à genoux en transmettant les données fiscales. C’est le signe que de nombreuses avancées sont prévues.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire