François Brabant

PTB, c’est pas gagné

François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Foin d’emballement : si la gauche de gauche a le vent en poupe, ses chances de compter plusieurs députés après le 25 mai demeurent minces.

« A chaque élection, son lot de surprises », répétait souvent l’ancien Premier ministre Wilfried Martens. « En politique, c’est toujours l’inattendu qui arrive », aimait professer André Cools, quand il présidait le Parti socialiste. Le social-chrétien flamand et le socialiste wallon avaient raison. Pour preuve, depuis quinze ans, l’imprévu a jailli à chaque scrutin. 1999 : le succès des écologistes rend caduc un accord entre socialistes et libéraux. 2003 : il s’en faut d’un fifrelin pour que les mêmes écologistes ne soient pas rayés de la carte parlementaire. 2004 : Steve Stevaert et les socialistes flamands affolent les compteurs. 2007 : Yves Leterme, à la tête d’un cartel qui unit le CD&V et la N-VA, rafle 800 000 voix. 2009 : Jean-Marie Dedecker et l’improbable liste à son nom se posent comme le facteur X des élections régionales. 2010 : les indépendantistes flamands deviennent, avec 27 sièges à la Chambre, la première force politique du Royaume.

Ces secousses-là, personne n’avait prédit leur amplitude. Elles doivent rendre modestes les observateurs de la chose politique : ce qui va se produire le 25 mai prochain demeure un mystère pour tous. Elles doivent aussi rendre confiants les électeurs : rien n’est inscrit dans les astres, et par leur vote, ils peuvent, au choix, renverser la table ou décider le statu quo.

Ceci posé, mouillons-nous. Puisque surprise il y aura, tentons d’imaginer ce qu’elle sera. Les bookmakers, ces jours-ci, sont nombreux à tabler sur une percée de l’extrême gauche, de la gauche radicale, de la gauche de gauche – les termes sont nombreux, mais tous désignent les mêmes forces politiques, plus rouges que le PS et/ou plus vertes qu’Ecolo.

Il y a cent motifs qui poussent à imaginer une nette progression de cette gauche-là aux élections régionales, fédérales et européennes du 25 mai. Petite liste non exhaustive : les couleuvres avalées par le PS au gouvernement fédéral (durcissement de l’accès aux prépensions, dégressivité accrue des allocations de chômage, expulsions de sans-papiers en hausse…), le positionnement flou d’Ecolo sur l’axe gauche-droite, les licenciements à tire-larigot dans l’industrie wallonne (ArcelorMittal, Saint-Gobain, Caterpillar, AGC et autres), et last but not least, l’éloignement entre les syndicats et les partis de gauche traditionnels. Daniel Piron, secrétaire général de la FGTB-Charleroi, était présent hier à la conférence de presse organisée par le PTB : c’est un fait politique nouveau. Que le parti marxiste ait confié, pour les élections régionales à Liège, sa tête de liste à Frédéric Gillot, délégué syndical chez ArcelorMittal, c’est aussi une donnée importante à prendre en compte.

Mais, à l’inverse, au moins quatre éléments invitent à relativiser fortement les chances de succès de la gauche radicale.

Primo : la robustesse du Parti socialiste. La formation d’Elio Di Rupo et de Paul Magnette, au pouvoir sans discontinuer depuis vingt-cinq ans, est pour ainsi dire insubmersible. Elle compte des militants par dizaines de milliers, présents dans chaque rue de Wallonie – et c’est à peine une image. Quel avenir pour la Belgique ? Quels emplois demain ? Le contexte d’incertitude qui prévaut aujourd’hui est le même, exactement le même, que celui qui avait donné le ton de la campagne électorale en 2010. A l’époque, celle-ci s’était soldée par un raz-de-marée socialiste. « Un pays stable, des emplois durables. » Tout indique que le slogan qui avait conduit le PS vers le sommet voici quatre ans fera encore mouche cette fois-ci.

Deuxio : les lois cruelles de l’arithmétique électorale. Même si le PTB engrangeait demain 5 % des voix partout en Wallonie, ce qui représenterait un bond considérable par rapport à ses scores de 2009 et 2010, il n’obtiendrait pas un seul député, ni à la Chambre, ni au parlement wallon. En région liégeoise, là où la gauche radicale est la mieux implantée, il lui faudrait obtenir plus de 6 % sur l’ensemble de la province pour décrocher l’un des 15 sièges fédéraux à pouvoir, et près de 8 % à l’échelle de l’arrondissement pour conquérir l’un des 13 sièges régionaux en jeu. La mission n’est pas impossible, mais la marche est haute. Partout ailleurs en Wallonie, la taille réduite des circonscriptions entrave fortement les rêves du PTB. A Charleroi, par exemple, la population élira 9 parlementaires régionaux. Il faudrait que l’ex-formation maoïste recueille plus de 10 % des suffrages pour y obtenir un élu.

Tertio : le probable morcèlement de l’offre politique de gauche qui se présentera à l’électeur. Aux côtés du PTB, qui a déjà fait connaître un grand nombre de ses candidats, deux autres partis alternatifs devraient se lancer dans la bataille électorale : le mouvement Vega, emmené par Vincent Decroly, dont l’assemblée de fondation se tiendra ce samedi 1er février à Charleroi, et le Rassemblement R, soutenu par Paul Lannoye, l’un des pères fondateurs d’Ecolo. Les leaders de Vega et du Rassemblement R sont actuellement en pourparlers. Peut-être se présenteront-ils sous la même bannière le 25 mai. Mais, même dans ce cas de figure, il reste probable que les électeurs attirés par une gauche plus dure se divisent entre Vega et PTB, ce qui pourrait annihiler leurs espoirs de représentation parlementaire. Un bémol, toutefois : aux élections d’octobre 2012, l’élection d’un conseiller communal Vega n’avait pas empêché plusieurs élus PTB de faire irruption sur la scène locale. Mais le contexte liégeois, très particulier, est-il transposable à plus grande échelle ? Probablement pas.

Quarto : l’air du temps. Il est favorable à la droite. Des pans de plus en plus larges de la population demandent une politique plus ferme en matière d’immigration, des impôts plus bas, un contrôle accru des chômeurs, une plus grande répression face à la délinquance. La société se droitise et s’individualise : cette tendance lourde ne favorise évidemment pas ceux qui défendent un projet à gauche toute et un collectivisme bien trempé. D’autant qu’en Belgique francophone, avec le PS, Ecolo et le CDH, il y a déjà embouteillage à gauche et au centre-gauche.

Faut-il en conclure qu’il n’y aura aucun député PTB et/ou Vega dans les prochaines assemblées parlementaires ? Nenni, valet. Rappelez-vous : Martens, Cools. En politique, l’imprévu peut toujours arriver.

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