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PS et CD&V, les partis rebelles

Le Vif

Le PS wallon a bombé le torse contre l’Union européenne. Le CD&V a crispé la suédoise. Des rébellions saines. Mais qui en disent long sur la nervosité des partis. Et sur l’avenir du pays.

C’est un double bras de fer qui marque le réveil de la gauche face à la droite, dominante au gouvernement fédéral. Le rejet par la Wallonie du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (Ceta), dans l’état actuel du texte, et la rebuffade du vice-Premier Kris Peeters (CD&V) en marge de l’élaboration du budget, pour exiger une taxation des plus-values, ont ceci en commun de bousculer l’ordre établi depuis la naissance de la suédoise, il y a deux ans. De marquer une rupture.

Inspirées par des malaises internes, respectivement au PS et au CD&V, ces frondes font trembler sur leurs bases l’Europe et la majorité fédérale. Et bouleversent l’agenda politique des prochains mois. Même si un résultat positif, rapport de force oblige, est loin d’être acquis. Et même si ce n’est pas sans danger, à terme, tant cela nourrit les aspirations confédérales de la Flandre radicale.

De saines protestations

En vérité, il y a pourtant quelque chose de sain à voir les lignes bouger de la sorte alors que nous sommes dans le « ventre mou » de la législature. Oui, la démocratie a encore son mot à dire. Non, les députés ne sont pas que des presse-boutons. Et oui, les entités fédérées utilisent pleinement leur autonomie au coeur d’un système qui comporte, déjà, des caractéristiques confédérales.

La « petite » Wallonie a ainsi placé son nom sur la carte du monde en décidant de bloquer – temporairement du moins – le traité commercial négocié depuis sept ans par l’Union européenne avec le Canada. Le vote du parlement wallon, vendredi 14 octobre, est survenu au lendemain de celui du parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, tandis que la Région bruxelloise temporise en raison des difficultés qu’un tel vote pourrait provoquer au sein de sa majorité bilingue.

« C’est tout sauf un mouvement d’humeur », indique le ministre-président wallon Paul Magnette (PS). Outre le caractère secret des négociations, la Wallonie reproche à ce traité de tirer vers le bas les normes sociales et environnementales, de limiter la capacité des gouvernements à réguler ou encore de menacer certains secteurs, comme l’agriculture. Le PS préfère un « isolement diplomatique » à une rupture profonde avec le peuple. « La voix des citoyens et l’analyse de fond ont été entendues », se réjouit Arnaud Zacharie, secrétaire générale du CNCD – 11.11.11, coupole des organisations de développement. Résultat ? Un branle-bas de combat européen. Et une remise sur le métier de la déclaration interprétative du traité. « Ce combat difficile, signale Magnette, nous vaut de nombreuses pressions et des menaces à peine voilées. S’il faut annuler le sommet entre l’Europe et le Canada, je le regretterai. Mais c’est un moment de vérité politique. » « Je suis fier que la Wallonie tente d’imposer un modèle différent », appuie Christophe Collignon, chef de groupe du PS.

Le « petit » CD&V, loin d’être l’acteur central qu’il fut au niveau fédéral, a lui aussi décidé de taper du poing sur la table. Pour exister. Confronté à une copie budgétaire douloureuse et à un projet de réforme de l’impôt pratiquement ficelé – un projet cher à la N-VA -, les sociaux-démocrates flamands se sont cabrés, en réclamant à la hâte une taxation des plus-values. Une « bouderie » du CD&V avait déjà eu lieu suite à la conclusion du tax-shift, l’été 2015. Cette fois, elle a toutefois mis la coalition en péril durant plus de quarante-huit heures. Résultat ? Peu de choses, il est vrai : un budget à l’ambition fortement critiquée, un report de la réforme de l’Isoc, une promesse de discuter de l’équité fiscale et… un rappel de la promesse, déjà faite dans la déclaration gouvernementale, d’un arrangement pour Arco. Un dossier crucial pour l’aile gauche du CD&V : l’effondrement de la banque coopérative avait grugé 800 000 actionnaires, proches du Mouvement ouvrier chrétien.

« J’ai reçu des félicitations, y compris de la part de gens dont je n’en attendais pas », soulignait après coup Kris Peeters. Lors des débats parlementaires, le CD&V a même été soutenu par l’opposition de gauche. « Nous voulons que la crise serve pour un changement de cap », dixit Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo. Mais on sait d’expérience que vous vous contenterez de peu. » De fait : le CD&V a soutenu sans réserve l’accord conclu au sein du gouvernement.

De moins nobles motivations

Les sources de ces rébellions, aussi saines soient-elles, ne sont pas toutes louables. Elles s’expliquent par la nervosité inhabituelle de deux partis en plein malaise, le PS et le CD&V, qui avaient pour habitude de dominer leur Région de la tête et des épaules, avant de nouer ensemble des compromis au fédéral. Une époque bel et bien révolue.

Le blocage du Ceta par la Wallonie est « un jeu dangereux très clairement inspiré par le PTB », dénonçait lundi le Premier ministre Charles Michel (MR). Ce n’est évidemment pas faux. La force potentielle de la gauche radicale dans les sondages et son omniprésence sur le terrain forcent le Parti socialiste à réactualiser son programme, tout en relayant les aspirations syndicales et associatives avec un discours d’opposition plus dur au fédéral. En se « repliant » sous ses tentes wallonne et bruxelloise l’été 2014, le PS a en outre fait le choix d’une politique différente de celle mise en oeuvre par la suédoise, le fameux « modèle mosan » cher à Paul Magnette, qui mise sur la concertation sociale et des réformes plus douces. Le Ceta était un trop beau symbole pour le mettre en évidence.

Le CD&V, lui aussi, est confronté à une réflexion existentielle. Engagé dans un gouvernement de droite au sein duquel il ne dispose pas du poste de Premier ministre, le parti est tenu à un grand écart permanent. Kris Peeters, ancien président de l’Unizo (patronat flamand) a ainsi défendu une position sur la taxation qualifiée d’un « attentat contre les entrepreneurs »… par l’Unizo lui-même. C’est dire la nécessité pour le CD&V de rassurer syndicat et mutualité chrétien qui voient en lui un (fragile) relais au niveau du gouvernement. « Le CD&V se sent débordé sur sa gauche et durcit sa position », épinglait un mutuelliste chrétien au coeur de la crise gouvernementale. Le parti, qui dominait la politique belge quand il s’appelait CVP, a atteint un plancher historique dans le dernier sondage du Standaard, avec un Groen en forme olympique. Les verts flamands capitalisent sur l’exaspération de l’aile gauche sociale-chrétienne Ceci explique aussi cela.

Le confédéralisme est déjà là

Les positions tranchées du PS et du CD&V ont fait l’objet de vives critiques de l’opposition lors de débats concomitants au parlement wallon et à la Chambre, lundi 17 octobre. Pour le MR wallon, Paul Magnette gouverne au nom de la « peur », les libéraux estimant même que la Wallonie devient « le Cuba de l’Europe ». Pour le PS fédéral, le CD&V est « pathétique » lorsqu’il défend une politique gouvernementale s’apparentant à une « gifle pour les travailleurs ». Des slogans.

Mais cette double tension politique est la démonstration par l’absurde d’une tendance lourde : elle démontre qu’une certaine forme de confédéralisme existe déjà en Belgique. La fermeté wallonne face à un traité international et sa capacité à le bloquer illustrent combien notre système institutionnel a été loin dans l’autonomie des entités fédérées. Dans les cénacles européens, on se demande d’ailleurs comment il est possible qu’une entité représentant moins d’un centième de la population de l’Union soit en mesure de compromettre un accord conclu au plus haut niveau. « L’atteinte à notre réputation est énorme », peste quant à lui le ministre-président flamand Geert Bourgeois (N-VA), la Flandre ayant davantage à perdre de la non-conclusion du Ceta, cette Région assumant 85 % des exportations belges. Quant à la majorité fédérale, au sein de laquelle le seul MR ne représente qu’un cinquième des francophones, elle mène en réalité « une politique qui est bonne pour la Flandre », résumait voici un mois Bart De Wever, président de la N-VA. Le cahier des charges des nationalistes est connu : ils veulent confronter le PS wallon à des réformes fédérales à ce point dures qu’il finira par réclamer lui-même une nouvelle réforme de l’Etat.

En crise elle aussi, la N-VA ne cesse de donner des gages au Mouvement flamand, après le départ de deux députés qui étaient en charge de la réflexion interne sur le confédéralisme. La première formation de Flandre raille la « république soviétique de Wallonie » qui met en péril les intérêts commerciaux de la Flandre. Lors d’un débat avec Filip Dewinter (Vlaams Belang), le secrétaire d’Etat fédéral Theo Francken avait déjà affirmé qu’il était contre le « cordon sanitaire » empêchant l’extrême droite d’arriver au pouvoir. Dans la foulée, Peter De Roover, chef de groupe N-VA à la Chambre, a acquiescé lorsque, à l’occasion d’un débat organisé par le Vlaamse Volksbeweging (VVB), lorsqu’on lui a demandé si son parti réclamerait l’indépendance de la Flandre au cas où il disposerait d’une majorité avec le Vlaams Belang. Des propos « tirés de leur contexte », selon le vice-Premier Jan Jambon. Ce cas de figure semble, en outre, peu crédible.

Les événements des dernières semaines donnent du grain à moudre à ceux qui veulent séparer davantage encore les Régions – mais aussi, soyons de bon compte, à ceux qui veulent redonner de la force au fédéral. « Le confédéralisme belge (NDLR : c’est le terme qu’il utilise) est-il compatible avec l’unité de la politique commerciale commune de l’Europe ? », interroge ainsi Pierre Defraigne, directeur exécutif du centre Madariaga – Collège de l’Europe.

Toutes ces tensions et provocations politiques, des querelles de pouvoir aux ruptures de confiance au sein de la majorité, sont de l’écume en cette mi-législature où la marée monte, déjà, vers les prochaines élections communales, en 2018, fédérales et régionales un an plus tard. Elles confirment cependant que les cartes risquent bien d’être rebattues en 2019. Tout, désormais, semble à nouveau possible.

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