Avec son spectacle, Véronique de Miomandre veut redonner de la légitimité et de la dignité aux prostituées. © MATHIEU GOLINVAUX

Prostitution : « Je suis fière de donner du plaisir aux hommes »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Elle est conteuse et prête sa voix à des prostituées. Son spectacle Sous les néons du désir est juste, drôle, tellement percutant qu’il déborde de la scène pour interpeller jusqu’aux politiques. Rencontre.

Ne vous fiez pas à la particule de son nom. Véronique de Miomandre n’est pas comtesse mais conteuse, avec un joli répertoire de légendes et d’histoires du bout du monde. Elle ne fixe personne de haut. Elle vous regarde droit dans les yeux, avec entrain. Les siens se plissent quand elle sourit. Et elle sourit beaucoup. Sauf lorsqu’elle évoque la peur des filles qu’elle a rencontrées pour son dernier spectacle. Des prostituées du quartier nord de Bruxelles et de l’Alhambra.  » Ici, c’est pas un conte de fées, a annoncé l’une d’elles à la conteuse. C’est plutôt la braguette magique. Et si t’as perdu ta pantoufle à minuit, c’est que t’es bourrée…  »

Le ton était vite donné, comme dans Sous les néons du désir (1) où la tirade fait mouche auprès du public. Mais cet humour camoufle des sentiments de désespoir, de honte, d’angoisse surtout.  » La peur est la première chose que j’ai perçue quand je suis descendue dans les carrées en m’improvisant dame de compagnie, se souvient Véronique. C’est une peur permanente, justifiée par de réels risques. Il y a des clients violents, drogués, des hommes qui ont la hargne, l’envie de se venger contre la société et retournent cette colère contre ces femmes à leur merci.  »

La conteuse le dit aussi sur les planches, dans sa robe rouge et ses talons aiguilles, en prêtant sa bouche et son corps aux prostituées qu’elle a patiemment persuadées de se confier :  » Les clients qui ne jouissent pas, c’est les plus dangereux ! De toute façon, quand ils se déshabillent, je fais toujours attention à ce qu’il n’y ait pas un couteau qui traîne…  » Alors, pour prévenir les mauvais coups, les filles font tout pour amadouer leurs visiteurs.  » Elles les enrobent avec la voix, rassurante, maternelle, pour que la violence ne puisse pas sortir « , nous explique la comédienne.

La prévention dépasse même la carrée.  » Une prostituée moldave m’a raconté faire semblant d’être violée par un client qui n’a des orgasmes qu’en simulant un viol. Tu fais comme si tu avais peur et moi je ne te ferai pas mal, lui a-t-il intimé. Cela fait des années que ça dure. Imaginez ce que ce gars-là serait devenu si cette fille n’avait pas accepté de jouer ce rôle dégradant. Peut-être un violeur en série. Quoi qu’on en dise, il y aurait davantage de violence sans prostituées dans les grandes villes.  »

Le voilà, le fil rouge. Le respect, la dignité des prostituées qu’on traite de tous les noms, qui sont socialement ostracisées, à qui le ministre Pascal Smet (SP.A) comparait grossièrement Bruxelles dans une interview à Politico fin 2017.  » Quand ta mère est bouchère, fils de pute est une injure, quand ta mère est une pute, fils de pute est une réalité.  » C’est à partir de cet extrait d’une brochure de l’Espace P, une asbl qui accompagne les prostituées, que Véronique de Miomandre a commencé à travailler son conte.

Il n’y a pas que le sexe

 » Ces filles se sentent toujours jugées, observe-t-elle. Elles n’ont pas honte de ce qu’elles font, elles ont honte du regard des autres, des femmes, des enfants et des hommes. Quand elles quittent leur carrée, elles se changent et reprennent leur vrai nom, comme si elles sortaient de scène après avoir joué un rôle, celui que l’homme attend d’elles. Et, dans leur vie « civile », elles craignent de croiser un client.  »

Beaucoup ont perdu des amies après leur avoir avoué se prostituer. Certaines ont dû changer leur enfant d’école après avoir témoigné à visage découvert dans un média.  » Oui, je fais ce spectacle pour qu’on les comprenne, qu’on arrête de les juger, parce qu’elles méritent un immense respect plutôt que l’opprobre collective, glisse la conteuse. Non seulement elles travaillent dans la peur, mais elles remplissent aussi une fonction sociale. Beaucoup d’hommes viennent chez elles pour parler. Il n’y a pas que le sexe.  » Une des filles a livré à Véronique :  » Quand on demande quel est mon métier, je dis assistante sociale. Je ne mens pas.  »

Une autre :  » Moi, je dis que je fais des petits ménages en noir. C’est vrai, on aide à ce que des ménages tiennent. Des hommes me confient que leur couple aurait cassé depuis longtemps si je n’étais pas là.  » Et, dans le spectacle, cette parole à propos des clients qui n’ont pas d’autre choix que d’aller chez une prostituée :  » Parfois, ils sont trop timides, parfois ils sont trop moches, parfois ils sont malades ou même handicapés. Mais tous ont besoin d’être touchés, d’être aimés. Moi, je suis fière de donner du plaisir aux hommes et de branler des queues parce que, derrière chaque queue, il y a un homme avec des émotions.  »

C’est crûment dit, mais empreint d’une imparable authenticité.  » J’aime les appeler les dames-lumière dans mon conte, explique la comédienne. Elles allument les néons et offrent cette lumière aux hommes qui viennent chez elles avec leur désespoir et leur noirceur parfois. Ça leur prend beaucoup d’énergie de s’allumer comme ça…  » Qu’on ne s’y méprenne pas, Sous les néons du désir n’est pas un plaidoyer pour la prostitution. Ce sont des paroles de travailleuses du sexe, agencées avec justesse, humour et humanité, par Véronique de Miomandre et son metteur scène Max Lebras.

En cela, le spectacle dépasse largement les planches. Il contient un message implicite à l’égard des politiques qui manquent singulièrement de cohérence, eux qui chassent les filles de l’Alhambra à Bruxelles-Ville, ferment des carrées à Saint-Josse ou ouvrent un Eros Center à Seraing. Allez comprendre ces gestions différentes de la prostitution…  » Et si on donnait de vrais droits aux prostituées ? interpelle la conteuse. Cela contribuerait à changer leur image. Elles exercent tout de même un métier, avec un savoir-faire, des prix et une régularité dans les prestations. Si on arrêtait l’hypocrisie ?  »

A la fin de son conte, Véronique lit une lettre qu’un fils de prostituée a adressée à sa mère :  » Je ne te juge pas, je t’accompagne désormais. On se prostitue tous, mais de plusieurs façons. Il y en a de petites, sans sexe et sans bruit.  » La comédienne renchérit :  » Accepter toutes les compromissions pour garder son travail, par exemple, est aussi une forme de prostitution.  » Quelqu’un pour jeter la première pierre ?

(1) Sous les néons du désir : à L’Os à moelle, à Bruxelles, les 15, 16 et 17 novembre ; au centre culturel du Roeulx, le 22 novembre ; au Palace, à La Louvière, le 18 mars 2019.

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