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Procès Wesphael : l’écueil des traductions

La juge et les enquêteurs brugeois doivent défendre leur travail avec le handicap linguistique et, donc, la présence de traducteurs, qui ne vont pas assez vite ou pas assez dans la subtilité.

La cour d’assises jette ses derniers feux à Mons. Le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), envisageant, en effet sa suppression pure et simple. Dans cette hypothèse, l’affaire Wesphael sera l’un des derniers grands procès à l’ancienne, déployant sa temporalité dramatique sur trois semaines, permettant aux avocats de déployer leur pugnacité et leurs effets de manche et au jury populaire de se former une opinion.

Toutefois, les premiers pas du procès Wesphael ne plaident pas en faveur de cette institution, souvent décrite par ses adversaires comme dispendieuse et chronophage, mais défendue par ses supporters, jusqu’à présent les plus nombreux, comme le dernier lieu où s’exerce le pouvoir direct du citoyen et dont les verdicts ramènent très souvent une forme de paix sociale.

Passé la lecture de l’acte d’accusation et de l’acte de défense, le deuxième jour du procès Wesphael s’est promené superficiellement dans les méandres du dossier, au gré de l’audition de la juge d’instruction de Bruges, Christine Pottiez, et des enquêteurs de la PJF venus exposer le résultat de leurs investigations. Leur comparution se poursuivra ce mercredi, ce qui leur permettra, peut-être, de valoriser leur travail. Car, d’emblée, s’est dressé l’obstacle de la langue. On sait que l’enquête s’est déroulée en néerlandais, que les auditions de Bernard Wesphael ont été réalisées en néerlandais, avec l’aide d’un traducteur assermenté (alors que l’inverse eut été légalement possible), que le dossier a dû ensuite être traduit avec les difficultés que l’on sait : une traduction tellement exécrable qu’elle a dû être recommencée, reportant le procès de sept mois.

Aujourd’hui, la difficulté inverse se présente : la juge et les enquêteurs brugeois doivent défendre leur travail avec le handicap linguistique et, donc, la présence de traducteurs, qui ne vont pas assez vite ou pas assez dans la subtilité. A plusieurs reprises, la juge Pottiez s’est vue rappeler le principe de l’oralité des débats par le président de la cour d’assises, Philippe Morandini, car elle plongeait trop souvent son nez dans ses papiers. Les imprécisions dans l’expression, les reprises, les temps morts de la traduction ont ralenti le débat, si bien que peu d’éléments nouveaux ont émergé par rapport à l’acte d’accusation lu intégralement lundi.

Sauf que l’avocat général a commencé à montrer le bout du nez en interrogeant l’accusé sur ce qui pourrait être tenu pour de menus mensonges ou oublis, mais qui va construire, par petites touches, un tableau conforme au jugement du psychiatre Hans Hellebuyck sur la propension à mentir de Bernard Wesphael. Comme on joue souvent sur les mots (« coup » pour « gifle », « reconnaître Oswald au téléphone par son style et non à sa voix »), le Liégeois peut encore se permettre de se plaindre haut et clair: « La traduction de mes interrogatoires est purement lamentable. » Mais il reste sans explication sur une consultation de sa boîte vocale à un moment du 31 octobre 2013, à 21h28, où il était censé s’être endormi, après la « crise » violente de Véronique Pirotton.

La meilleure défense, c’est l’attaque. Vers la fin de la journée, Me Mayance a déstabilisé la juge d’instruction. D’abord, en lui faisant reconnaître qu’elle avait placé Bernard Wesphael sous mandat d’arrêt sur la base, notamment, d’un rapport verbal du médecin légiste, Geert Van Parys, et non d’un rapport écrit. Sous-entendu, avec légèreté. Il lui fait aussi dire que la première mention de la présence d’un sachet en plastique près de la tête de la victime ne reposait que sur le témoignage du réceptionniste. La juge riposte. Ce qui l’a amenée à inculper Wesphael était l’incompatibilité entre ses déclarations et les premières constatations : « Les lésions au nez, aux lèvres, les éraflures au genou, sur le cuir chevelu, le désordre de la chambre… Cela n’avait rien à voir avec le sac plastique », tente-t-elle de se défendre. Elle n’est pas davantage à son aise quand l’avocat fait ressortir qu’elle n’a jamais renoncé à la qualification d’ « assassinat » (meurtre avec préméditation) dans son mandat d’arrêt, quand bien même cette piste ne menait nulle part : « C’était indicatif », dira-t-elle. Ce serait un comble qu’un procès qui doit durer trois semaines s’éteigne, comme la journée d’hier, sous l’effet de la brièveté et du décousu des interventions, dans un bourdonnement de traductions frustrantes. Pas la meilleure illustration du principe d’oralité…

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