Ettore Rizza

Procès Sadia : vers une nouvelle réforme de la cour d’assises ?

Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

Un observateur venu tout droit de Mars ou de Vénus pourrait s’en étonner, mais les choses vont ainsi.

En Belgique, comme d’ailleurs dans d’autres pays européens, seules des personnes bardées de diplômes en droit et dotées d’une solide expérience juridique peuvent dire si, oui ou non, un voleur de mobylette doit être puni. En revanche, n’importe qui ou presque peut juger un meurtre ou un assassinat. Comme celui de Sadia Sheikh, cette jeune Pakistanaise victime d’un « crime d’honneur » en 2007 à Lodelinsart et dont le frère, la soeur, le père et la mère ont été condamnés en décembre dernier. La Cour de cassation vient de réduire à néant la condamnation des parents, qui devront donc subir un nouveau procès d’assises. En cause, notamment, une mauvaise motivation du jury. Ce sont des choses qui arrivent. Et qui risquent de se reproduire souvent.

Pourquoi ? Pendant deux siècles, le système de la cour d’assises reposait sur une aimable fiction : le peuple est infaillible. Vox populi, vox dei. Lui seul, donc, peut se prononcer sur les crimes les plus graves. Et puisque le peuple entier ne saurait se déplacer de procès en procès, le législateur a décidé qu’il serait représenté par douze citoyens, jury populaire dont la qualité principale est d’avoir été sélectionné soigneusement au hasard.

Ces principes fondateurs, issus de la Révolution française, entrainaient notamment deux corolaires : 1° le verdict d’un jury ne saurait être remis en question devant un autre jury. Introduire la possibilité de faire appel de son verdict, cela reviendrait à demander au peuple de corriger le peuple. Absurde ; 2° le jury n’a pas à expliquer sa décision, fruit de l' »intime conviction » de la majorité de ses membres. Comment exiger que des profanes motivent leur avis en droit ?

En janvier 2009, par son « arrêt Taxquet », la Cour européenne des droits de l’homme a fait voler en éclats cette construction logique séculaire. Priée de revoir sa copie, la Belgique a adopté en hâte une réforme de la procédure d’assises, obligeant désormais le jury à motiver son verdict. Même avec l’aide de trois magistrats professionnels, on ne cesse de le constater, la chose est plus facile à dire qu’à faire. Car la motivation intervient après le verdict. L’exercice consiste donc à essayer de plaquer une logique juridique sur ce qui reste un vote majoritaire. Cette solution brinquebalante a permis de sauvegarder l’institution du jury populaire. Même si à chaque procès cassé, elle sape un peu plus la fiction sur laquelle repose tout l’édifice : le peuple, décidemment, n’a pas toujours raison.

E.R.

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