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Prison :  » Il faut regrouper les détenus dangereux « 

Les directeurs de prison réclament une classification des détenus, comme cela se pratiquait il y trente ans. Marc Dizier, directeur de la prison de Verviers et vice-président de l’association francophone des directeurs de prison, s’explique.

Les directeurs de prison réclament une classification des détenus. Pourquoi ?

Marc Dizier : La politique pénitentiaire actuelle prévoit de disséminer, dans tous les établissements, les détenus dangereux. Sont ciblés : les prisonniers violents, ayant déjà commis une prise d’otage pour s’évader, ou les condamnés pour terrorisme, par exemple. Le danger potentiel est ainsi réparti un peu partout. Cela suppose un régime sécuritaire strict dans tous les établissements, alors que cette dangerosité ne concerne qu’une petite minorité de la population carcérale. Ces régimes sécuritaires sont, en outre, très coûteux tant en matériel qu’en personnel. Or la majorité des détenus ne posent pas de problème pour les agents pénitentiaires.

Que demandez-vous, dès lors ?

Une classification des détenus, telle qu’elle a existé en Belgique jusqu’au milieu des années 1970 et qui a été abandonnée après les émeutes de Louvain-Centrale où étaient regroupés, à l’époque, les prisonniers dits les plus dangereux de Belgique. Aujourd’hui, la répartition est la suivante : les détenus préventifs sont incarcérés dans l’arrondissement où l’instruction de leur dossier a lieu et les condamnés sont généralement enfermés près du lieu de résidence de la famille pour faciliter les visites. Il y a donc un mélange intégral des genres, soit différents types de détenus auxquels il faut adapter le régime carcéral. Ce que nous voulons, c’est un regroupement de détenus, sur la base de critères de personnalité et de dangerosité. Il y aurait un établissement au nord et un au sud du pays.

Etes-vous suivi par les gardiens dans votre revendication ?

Bien sûr, les agents sont demandeurs. Maintenant, je ne suis pas certain que beaucoup d’agents voudraient travailler dans les établissements de haute sécurité. Il faudra prévoir des structures adéquates. Nous ne demandons pas des prisons à l’américaine ni des boulets aux pieds des prisonniers. Mais, dans nos établissements, il y a un certain nombre de détenus connus pour lesquels un régime pénitentiaire normal n’est pas adapté.

Pensez-vous être écouté par les politiques ?

Le problème est que les politiques et une bonne partie de l’administration ne connaissent pas le terrain pénitentiaire. Ils n’ont jamais mis les pieds dans une prison. Un peu comme les gens qui dirigent le milieu médical ou scolaire n’ont plus vu d’hôpitaux ou d’écoles depuis des décennies. Quand bien même un responsable de prison accède à l’administration, il perd de vue l’évolution du milieu carcéral. Et je peux vous dire que la population pénitentiaire actuelle est très différente de celle que j’ai connue à mes débuts en prison, il y a vingt-deux ans. Pour cette raison de déconnexion par rapport à la réalité, nous ne comprenons pas que les directeurs de prison soient systématiquement écartés de toute réflexion sur leur propre métier et sur la politique carcérale.

Comment expliquez-vous qu’on ne vous écoute pas ?

Je crois que nos idées dérangent. Nous ne prônons pas nécessairement des mesures sécuritaires comme des détecteurs de métaux à l’intérieur des prisons. Nous ne sommes pas favorables à la construction de nouvelles cellules ou alors à condition qu’on ferme d’anciennes cellules. Augmenter la capacité pénitentiaire ne servira à rien. Il vaut mieux d’abord améliorer les conditions de détention. Etant directeur à la prison de Verviers, je sais de quoi je parle.

Y a-t-il trop de détenus en prison ?

Bien sûr. Il est temps que l’ensemble du système judiciaire réfléchisse à une sanction pénale qui ne soit pas systématiquement celle de l’incarcération. La prison, qui a remplacé la peine corporelle au 18e siècle, a été un progrès social. Mais, depuis ses origines, la prison n’a pas rempli ses objectifs de réinsertion sociale. On doit penser la pénalité autrement. Il faudra évidemment toujours des lieux où maintenir les criminels dangereux à l’écart de la société, mais ces gens-là représentent à peine 10 % de la population carcérale. Le vrai défi est de concevoir une société qui se fonde sur l’intérêt de l’individu et non sur l’intérêt économique. Et je ne tiens pas un discours de gauche. Je ne vote d’ailleurs même pas de ce côté-là. Mais il faut bien se rendre compte que la majorité des détenus sont des pauvres, à la fois sur le plan social et intellectuel. Mieux vaut essayer de les enrichir en les scolarisant et en les formant.

Comment expliquez-vous la montée de la violence en prison ?

Il y a plusieurs facteurs. L’amélioration des moyens de sécurité passive explique sans doute les prises d’otage. Pour le reste, la violence est principalement due à la promiscuité grandissante à cause de la surpopulation. De plus en plus de détenus présentent des problèmes à caractère psychiatrique : ils devraient bénéficier d’une autre prise en charge. Beaucoup ont aussi de moins en moins d’espoir de s’en sortir parce que les durées de détention sont de plus en plus longues et les libérations anticipées sont accordées de plus en plus difficilement.

Entretien : Thierry Denoël

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