Printemps arabe ou hiver islamiste ?

Tunisie, Egypte, Libye, les révolutions arabes se sont enchaînées comme une trainée de poudre. Et sans doute n’est-ce pas fini. Quel bilan tirer, deux ans après le sacrifice d’un jeune vendeur ambulant en Tunisie, qui a, involontairement, déclenché tout le mouvement ?

Deux ans après le début de la révolution en Tunisie, il est difficile de tirer un bilan de ce mouvement qui a ensuite enflammé l’Egypte et la Libye. Si la révolution tunisienne est la plus aboutie, c’est aussi grâce au niveau d’éducation très élevé dans ce pays. C’est tout le peuple qui a crié sa soif de libertés et de réformes. Elle est aussi la plus authentique, car réalisée sans intervention étrangère. En Egypte, le mouvement s’est surtout concentré autour de la place Tahrir au Caire. En Libye, le soulèvement d’une partie de la population a été rapidement soutenu par l’intervention de l’Otan, ce qui lui a permis de renverser le pouvoir de Mouammar Kadhafi.
Aucun des pays touché par ces changements de régime n’étant actuellement stabilisé, il est difficile de tirer un bilan univoque. Si la liberté de parole est acquise dans les grandes lignes, il n’en va pas de même pour les conditions de vie, qui ne se sont guère améliorées depuis la chute des dictateurs. Or en Tunisie, elles furent un moteur des premières émeutes. En Libye, la situation aurait même empiré, tant il est vrai que les habitants bénéficiaient d’une sorte de rente sous Kadhafi.

Pris au dépourvu, les Occidentaux, qui ont longtemps soutenu les régimes honnis, ont fini par encourager les mouvements, et même à les accélérer dans le cas de la Libye. La démocratie a donc fini par l’emporter, au prix, dans le cas libyen, d’une déstabilisation du Sahel. En Tunisie et en Egypte, ce sont des partis islamistes qui ont emporté la mise, à l’issue d’élections préparées à la va-vite. Les partis progressistes, eux, sont restés sur la touche, y compris ceux qui incluent en leur sein des nostalgiques de l’ancien régime.
Mais ce soutien à la démocratie s’avère à géométrie variable. Au Bahrein, la contestation lancée par une population majoritairement chiite a été violemment réprimée, et continue de l’être, avec l’aide de pétromonarchies du Golfe, alliées de l’Occident. Par contre, les Occidentaux soutiennent en Syrie le mouvement rebelle, où se mêlent des groupements liés à Al Qaeda, tout en réclamant le départ de Bachar Al Assad. Ce faisant, ils ne font que pousser dans une logique jusqu’auboutiste son régime, allié de l’Iran chiite.
Les révolutions ne seraient-elles encouragées que lorsqu’elles profitent aux sunnites ? Va-t-on vers une recomposition géopolitique (le fameux « arc sunnite ») autour de la Turquie d’Erdogan ? Quelles places alors pour le Qatar et l’Arabie saoudite ? Les enjeux de pouvoir régionaux sont gigantesques. Au-delà de l’aspiration démocratique, le cynisme, la realpolitik, l’hypocrisie, sont au rendez-vous à tous les étages de ces révolutions arabes.

Faut-il avoir peur de l’islamisme ? Mais que recouvre ce terme ? Le mouvement Ennahda en Tunisie n’a rien à voir avec les talibans d’Afghanistan, et les Frères musulmans d’Egypte ne sont pas forcément disciples des théories d’Al Qaeda. Une majorité des citoyens dans les pays « révolutionnaires » sont favorables à un islam traditionnel, mais pas forcément à l’islamisme. Or le risque est de voir les équipes dirigeantes se faire déborder par leurs branches radicales, qui rejettent la démocratie à l’occidentale.

Car le paradoxe est là : on encourage la chute de régimes dictatoriaux et laïcs mais qui assuraient une relative coexistence des minorités, notamment chrétiennes, tandis que la démocratie peut amener au pouvoir des mouvements qui, forts de leur majorité arithmétique, pourraient être tentés d’imposer à tous leur propre vision du monde, forçant les minorités à se cacher ou à s’exiler. Ce qui pourfendrait l’idée même de démocratie.

Pour l’heure, l’acquis principal est là : dans les pays où les révolutions ont abouti à la chute des dictateurs, la démocratie balbutie, mais la parole s’est libérée. En Tunisie et en Egypte, c’est désormais le peuple qui s’exprime et fait part de son mécontentement. L’histoire de ces pays s’écrira désormais avec eux.

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