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Près d’un an après Publifin, qui a été touché, et qui a réussi à éviter les balles ?

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Il y a près d’un an, le coup de fusil Publifin affolait la faune politique liégeoise. Certains spécimens sont passés entre les balles, d’autres ont été touchés sans être tout à fait abattus. Petite promenade récapitulative en forêt, parmi les bécasses, les cerfs et les loups.

La saison de la chasse est ouverte. Le spécimen le plus prisé, cette année, avait déjà passé un rude hiver, privé de son hibernation médiatique adorée. L’été lui avait rendu un peu de répit pour lécher ses plaies. Puis, revoilà l’automne et ses coups de fusil d’autant plus retentissants que, d’ici un an, débutera une autre traque d’arrière-saison, celle des électeurs. Empailler ce gros gibier serait un trophée rêvé. Alors, Valérie De Bue a dégainé dans L’Echo, le 26 septembre dernier.  » Stéphane Moreau doit partir. On pourra aller jusqu’à le licencier.  » La nouvelle ministre MR des Pouvoirs locaux doit prouver que son parti et elle savent tirer. Même désarmé de toute législation ad hoc. Même si la bête poursuivie se révèle perversement futée, jusqu’ici toujours planquée dans sa tanière contractuelle. La battue pour l’en déloger coûterait au minimum 1,2 million d’euros.

Mais qui abattre d’autre ? Ces  » ploucs « , ces  » lampistes « , ces bécasses coupables de s’être emplumées sans broncher au sein des comités de secteur ?  » Ils ont déjà assez souffert « , les défend-on de part et d’autre. Plusieurs ont déjà été flingués par la dépression. Pas au point d’en démissionner : sur les 30 élus épinglés, un seul – le socialiste Claude Emonts – s’est politiquement sacrifié. Un autre – l’humaniste Raphaël Amieva Acebo – entendait renoncer à son mandat de conseiller communal à Crisnée. Il a changé d’avis,  » avec un peu de recul et à froid « , justifiait-il dans L’Avenir. Un troisième – le libéral Maxime Bourlet – avait été incité, par son leader pourtant bien aimé, Daniel Bacquelaine, à  » chercher du travail en dehors de la politique « . Il est resté président du CPAS d’Awans et, aux dernières nouvelles, conseiller au cabinet dudit ministre des Pensions. Certains, peut-être, ne se représenteront pas aux communales d’octobre 2018.  » Ceux qui le veulent, en tout cas, devront avoir remboursé ! « , clame un ténor principautaire. On ne sait jamais, que le citoyen aurait la mémoire tenace.

Ainsi a évolué la faune liégeoise, près d’un an après l’éclatement du scandale Publifin. Beaucoup d’animaluspoliticus ont sauvé leur peau. Quelques-uns ont succombé. Tout dépend de l’espèce.

Dominique Drion (à gauche) n'a pas voulu quitter le clan CDH, mais a dû démissionner de certains de ses mandats.
Dominique Drion (à gauche) n’a pas voulu quitter le clan CDH, mais a dû démissionner de certains de ses mandats.© BRUNO FAHY/BELGAIMAGE

La harde orange désorientée

Ainsi, dans la famille des pelages orangés, le mâle dominant ne domine plus personne. Il n’a pas été banni de la harde. Plutôt, Dominique Drion n’a pas voulu la quitter, et le mâle encore plus puissant que lui, un sanglier solitaire bastognard, n’a que mollement tenté de l’y forcer. Alors ses congénères l’ont laissé terminer sa législature comme conseiller dans la forêt provinciale. Dépourvu de l’influence que lui conférait jadis sa puissance. Mais pas de tous les mandats dont il aimait tant se rassasier. Il ne goûte plus à Nethys, Publifin, Resa, EDF Luminus. Il a démissionné du Travailleur chez lui, filiale de Publifin, mais en reste… conseiller. Il n’a pas lâché ses postes d’administrateur chez Publilec, Socofe et Ogeo Fund.

Son clan peine à lui trouver un successeur. Vinciane Pirmolin, qui l’avait déjà remplacé comme président d’arrondissement des humanistes liégeois, a été reconduite malgré son implication dans les comités de secteur. Mais elle reste un leader effacé. Alda Greoli, la  » nettoyeuse  » envoyée par le président Lutgen, aime se définir comme un gaz.  » Quand il n’y a pas beaucoup d’air, je me contracte. Quand l’espace est grand, je me dilate.  » La place à prendre à Liège est béante. Pourtant non, merci, la ministre de la Santé et de la Culture n’est guère intéressée. La députée Vanessa Matz se serait bien vue se déployer, mais des problèmes de santé l’obligent au retrait. Que Benoît Lutgen ait chassé le PS du territoire wallon n’a rien arrangé.

 » Le CDH est mort « , répète-t-on chez les pelages rouges. Eux aussi ont été criblés d’impacts. Mais ils s’appliquent à cicatriser. Deux des cinq grands cerfs ont été excommuniés. André Gilles ne brame plus. Aigri, abattu, conscient de sa propre fin, il ne garde  » que  » huit mandats (1), dont surtout celui d’administrateur chez Nethys en guise de consolation. Sans doute plus pour longtemps. Les épois tentaculaires de Stéphane Moreau effraient toujours. Mais moins qu’avant. Il conserve plusieurs amis au sein de la harde, ceux qui restent redevables du temps où il était envoyé, tous bois en avant, parce que les autres n’entendaient guère se battre.  » Quand les choses seront calmées, il retrouvera une influence « , considère Marc Bolland, bourgmestre de Blegny.

Près d'un an après Publifin, qui a été touché, et qui a réussi à éviter les balles ?

Le Marcourt dominant

Les grands cervidés liégeois ne meurent jamais… Mais ils se terrent, parfois, comme le député-bourgmestre Alain Mathot.  » Il s’est fait hyperdiscret, on ne le voit plus, on ne l’entend plus « , remarque-t-on. Willy Demeyer aussi s’est retiré. De la présidence de la fédération liégeoise du PS et, le 1er novembre prochain, de son poste de député fédéral. De l’après-Publifin, il n’a  » rien à dire « . Le bourgmestre ne s’occupe plus que du terrain liégeois et,  » franchement « , il vit  » bien mieux comme ça  » :  » On ne me croit pas, quand je le dis, pourtant c’est bel et bien vrai.  »

Les épois tentaculaires de Stéphane Moreau effraient toujours. Mais moins qu’avant

De plus en plus commencent à s’en convaincre, même ceux qui craignaient que son successeur à la fédération, l’échevin liégeois Jean-Pierre Hupkens, ne soit qu’une doublure.  » Jean-Pierre est moins l’homme de Willy que ce qu’on a pu en dire, dépeint le député-bourgmestre de Herstal Frédéric Daerden. Il a son autonomie, une forme d’indépendance.  » Il en faut un peu, pour déclamer, lors de son apéro de rentrée, fin septembre, avoir pu  » mesurer l’état délétère de [la] fédération, les luttes intestines qui l’ont minée, le processus de concentration/confiscation du pouvoir qui, sournois et presque inconscient, raréfiait chaque jour un peu plus l’air ambiant « . Le nouveau président a lancé  » les douze travaux de Hupkens « , comme les surnomme le conseiller communal liégeois et nouvel administrateur de Publifin, Hassan Bousetta.  » Il a imposé un important agenda de réformes, internes et externes, en utilisant des méthodes très participatives. Il a, par exemple, instauré toute une série de groupes de travail. Sur l’enseignement, la communication, l’égalité hommes-femmes, la fiscalité…  » Gloire aux militants, qui n’avaient plus reçu tant d’égards depuis longtemps.  » Il est plus dans la recherche de relance d’une dynamique, complète Frédéric Daerden, que dans la stratégie politique pure. « 

Près d'un an après Publifin, qui a été touché, et qui a réussi à éviter les balles ?

Ce volet-là reste l’apanage du dernier des cinq cervidés, Jean-Claude Marcourt. La puissance discrète, du haut de la coupole provinciale du PS. Relais privilégié de l’élan montois Di Rupo. Il ne se salit pas les pattes mais dicte la cadence du troupeau et apparaît à chaque fois que l’événement local s’avère nécessaire. Il avait réussi à échapper à la salve Publifin, mais pas au contrecoup du CDH. Il a très mal vécu la perte du ministère de l’Economie wallonne, bien qu’il reste en charge de l’Enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles. Certains l’imaginent désormais marquer son territoire à Liège. D’autant qu’il le confie, parfois, lorsqu’il sort de son habituelle réserve : terminer sa carrière comme bourgmestre serait un bel aboutissement. Mais il ne croisera sans doute jamais le bois avec Willy Demeyer, pronostiquent plusieurs. Trop loyal, le cerf Marcourt. Pas assez populaire, non plus. Les tapes dans le dos, fort rémunératrices en saison électorale, ne sont pas son genre, lui qui peine à se souvenir du nom des militants.

Depuis l'affaire Publifin, certains ténors liégeois se terrent.
Depuis l’affaire Publifin, certains ténors liégeois se terrent.© DIDIER LEBRUN/PHOTO NEWS

Les loups bleus

Pendant ce temps-là, les pelages bleus rôdent. Flairent la piste qui pourrait les mener au pouvoir. S’organisent pour y parvenir. La louve liégeoise Christine Defraigne a réuni autour d’elle Fabian Culot (Seraing), Gilles Foret (Liège), Thomas Cialone (Ans) et Adrien Croisier (Herstal), quatre louveteaux pour former le  » groupe Légia « . Et montrer que  » la seule alternative crédible, c’est nous « , assène la cheffe de meute.  » Un autre club des cinq, super « , ricanent quelques opposants. Il serait illusoire d’y croire : au MR principautaire, le président provincial Daniel Bacquelaine partage peu le pouvoir. Ce mâle alpha n’est pas ressorti affaibli du scandale Publifin, bien qu’officieusement personne ne doute de son implication. Il validait les évolutions du groupe, plaçait ses pions, recevait les coups de fil de Stéphane Moreau. Mais cela n’a officiellement gêné personne. Le ministre des Pensions est passé entre les déflagrations. Georges Pire fut finalement le seul libéral à avoir été touché. Pas mortellement : il conserve 17 mandats, dont 10 rémunérés (2), alors que son parti l’avait sommé de n’en préserver que trois. Mais sa blessure est inguérissable. Le vieux loup était déjà déclinant.  » Il est maintenant définitivement hors circuit « , confirme Fabian Culot.

A l’orée du bois, alors que braconniers et proies s’agitent, les pelages verts observent. Ils sont peu nombreux, mais prêts à courir vite pour rattraper leur retard. Comme les pelages rouges étoilés au poil luisant, préservé des éclaboussures boueuses qui finissent par tacher à force de traîner dans la forêt. Dans un an, lorsque la saison de la chasse électorale sera ouverte, ils risquent de faire un carton.

(1 et 2) Certains mandats ont peut-être pris fin, mais les démissions n’ont en tout cas pas été officiellement actées au Moniteur belge.

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