Gérald Papy

Poutine imperator car personne ne voulait mourir pour la Crimée

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le maître du Kremlin a remporté une première partie en Crimée. Mais il le payera à terme en perte de crédibilité et d’influence.

La crise de Crimée est loin d’être close. Mais un chapitre important s’est refermé depuis dimanche avec le référendum-plébiscite pour le rattachement à la Russie, sa validation par le Parlement de Simferopol et l’adoption du décret russe confirmant l’union. Trois enseignements peuvent être tirés de la plus grave crise dans les relations russo-occidentales depuis la guerre du Kosovo.

1.Le dossier de Crimée est promis à rejoindre les conflits gelés de l’histoire contemporaine. Seuls quelques alliés de la Russie s’autoriseront à reconnaître le rattachement de la presqu’île ukrainienne à la Fédération de Russie. L’urgence est que les droits des minorités (pro-ukrainiens parmi lesquels les Tatars musulmans) soient respectés. Le défi est que la Russie assure à la population criméenne le niveau de vie dont elle bénéficiait ou celui dont elle aurait bénéficié après un rapprochement avec l’Union européenne. Le désenchantement pourrait donc à terme succéder à l’exaltation de l’autodétermination parmi les Russes et russophones de Crimée.

2.La faiblesse des réactions au coup de force de Vladimir Poutine démontre, s’il le fallait encore, que personne en Occident n’était prêt à mourir pour la Crimée. Certes le référendum sur le rattachement avec la Russie tel qu’il a été organisé bafoue le droit international parce qu’il s’est tenu en violation de la Constitution ukrainienne, dans un contexte dépourvu de répression de la part de Kiev et sous la pression d’une occupation étrangère. Mais il ne fait pas de doute qu’une majorité des 2 millions d’habitants aspirait à une sécession avec l’Ukraine et à un rapprochement avec Moscou. L’histoire de la péninsule (plus longtemps territoire russe et devenue ukrainienne en 1954 quasi par accident) affaiblit les arguments en faveur d’un lien inaliénable avec l’Ukraine. Bref, la sécession de la Crimée et son « annexion » par la Russie sont des actes graves, inquiétants, dangereux. Mais, cyniquement constaté, le dossier était trop faible et trop controversé pour justifier une guerre avec la Russie.

3.Il n’en reste pas moins que les relations entre la Russie et les pays occidentaux sont entrées dans une phase excessivement troublée qui ne restera pas sans conséquence. Une sorte de « guerre froide » dans un contexte diamétralement différent. Le caractère mesuré des sanctions américaines et européennes indique que la partie occidentale ne veut pas hypothéquer la reprise d’un dialogue. Et pour cause, de la proportionnalité, réelle ou ressentie, des sanctions, dépendra la poursuite de la coopération avec la Russie sur des dossiers aussi cruciaux que le nucléaire iranien, le conflit syrien ou les partenariats orientaux de l’Union européenne et de l’Otan.

Si Vladimir Poutine peut entretenir le sentiment qu’il a gagné une première partie en Crimée, rien n’indique qu’il raflera la mise. Après tout, l’Ukraine a d’autant plus de raisons aujourd’hui de coopérer avec l’Union européenne. Et la Russie va perdre sur le théâtre international une crédibilité que Vladimir Poutine avait eu beaucoup de mal à restaurer. Cela devrait le faire réfléchir sur une éventuelle fuite en avant. S’il attise d’éventuelles ambitions sécessionnistes dans l’est à majorité russophone de l’Ukraine il aura vraiment franchi une ligne rouge qui entraînera – ou devrait entraîner – une réaction occidentale autrement plus virulente. Loin de l’attentisme américain et des tergiversations européennes observés face au coup de force de Crimée.

G.P.

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