Gérald Papy

Poutine, du pain et des jeux

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La première des élections qui désigneront cette année les maîtres de trois grandes puissances internationales ne ressemblera en rien aux deux autres. Point de bataille électorale acharnée à Moscou comme en France ou aux Etats-Unis, les Russes connaissent d’ores et déjà leur « nouveau » président : Vladimir Poutine.

Il sera élu ce dimanche 4 mars ou, ce qui serait déjà exceptionnel, lors d’un second tour. Ainsi va la Russie, colosse aux pieds d’argile (une population de 145 millions d’habitants à peine, face aux géants indien et chinois) qui ne s’est pas encore défait du pouvoir autoritaire ayant marqué son histoire contemporaine, sous les tsars ou sous les secrétaires généraux du Parti communiste.
Porte-parole du Mouvement des réformes démocratiques au début des années 1990, Vladimir Fédorovski voit d’ailleurs en Vladimir Poutine un héritier de Iouri Andropov, le dirigeant de l’Union soviétique de 1982 à 1984, parce qu’ « il renoue avec la tradition autoritaire de la Russie » après l’épisode Boris Eltsine : « Poutine a instauré un système oligarchique, avec un simulacre d’opposition parlementaire qui ne compte que d’anciens membres du KGB ou des communistes complaisants » (lire Le Roman du siècle rouge, coécrit avec Alexandre Adler, éditions du Rocher).

De cette « démocratie contrôlée », les illusionnistes de Moscou ont donné une démonstration à la fin de 2010 lorsque le protégé Dmitri Medvedev, devenu président en 2008 face à l’impossibilité constitutionnelle d’un troisième mandat consécutif de Poutine, a semblé s’émanciper du maître, revendiquer des accents plus libéraux et briguer la fonction présidentielle. Une chimère… Un an plus tard, Poutine, Premier ministre, était prié par… Medvedev de postuler à nouveau à la présidence au nom du parti Russie unie.
Mais les autocrates ont souvent le réflexe paranoïaque de vouloir trop en faire même quand cela ne s’avère pas nécessaire. En décembre 2011, les fraudes organisées par le pouvoir lors des élections législatives ont pour la première fois ébranlé l’image d’un Poutine insubmersible, héraut de la puissance nationale retrouvée.

Les manifestations répétées qui s’en sont suivies et les coups tordus dignes du KGB dont ont été victimes les leaders de la contestation (lire notre enquête en page 62) sont, pour certains, le début de la fin de l’hégémonie poutinienne. Depuis sa prison sibérienne, l’ancien président du groupe pétrolier Ioukos et opposant au Kremlin Mikhaïl Khodorkovski ose pronostiquer dans une tribune libre ( Le Monde du 28/02) que les classes moyennes russes éduquées, qui représenteront dans dix ans la majorité de la population, « demanderont leur place dans un système démocratique et pluraliste et n’accepteront pas qu’on la leur refuse ».

Ainsi Vladimir Poutine, qui a assis sa longévité politique sur la manne gazière et pétrolière, favorisant, il est vrai, une élévation du niveau de vie et l’émergence d’une classe moyenne étendue, périrait par là où il s’est construit. Les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi sacreraient alors en 2014 son apothéose politique. A moins qu’ils ne représentent déjà sa tombe, au vu du fiasco financier mâtiné de corruption que les spécialistes prédisent à leurs organisateurs (lire en page 17). Ainsi va la Russie, loin de la démocratie.

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