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Pourquoi le flexi-travailleur est rarement wallon

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le flexi-job est une  » success story  » à ce jour exclusivement flamande. Arrondir ses fins de mois en bossant pour environ 10 euros/l’heure ne décolle pas dans l’Horeca wallon et bruxellois. Et c’est logique.

Flexi-job : possibilité pour le patron d’une exploitation hôtelière, d’un café ou d’un restaurant, de disposer rapidement de personnel à un prix démocratique. Opportunité pour un travailleur déjà occupé à au moins 4/5e dans un emploi principal, d’arrondir ses fins de mois par un job payé 9,69 euros/heure (minimum légal.)

Nouvel agent dopant à l’emploi lancé par la suédoise (N-VA-MR-CD&V-Open VLD), sur l’insistance particulière des libéraux flamands enchantés de soutenir avec vigueur le pouvoir d’achat des travailleurs et de soulager des petits patrons accablés de charges et de tracasseries (ah, cette maudite « caisse blanche »…)

Nouvelle mise au travail décriée par la gauche syndicale et politique, qui y voit, en vrac : une manière honteuse de précariser les travailleurs, d’engendrer une main-d’oeuvre au rabais et de légaliser insidieusement le travail au noir. « Sans création nette d’emploi », prolonge l’économiste Philippe Defeyt (Ecolo).

Inaugurée voici tout juste un an, la flexibilité bon marché, ciblée sur l’Horeca, souffle le chaud au nord et le froid au sud. Elle a connu un départ en trombe en Flandre, un faux départ en régions wallonne et bruxelloise. Moralité, au bout de trois mois de mise à l’épreuve : 9.584 flexi-travailleurs recensés en Flandre, à peine 203 en Wallonie et 69 à Bruxelles. 97% des flexi-jobs créés lors du premier trimestre 2016 l’ont donc été en Flandre, selon le bilan livré par le Secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude sociale.

Plus communautairement contrasté que ça, tu meurs. Ledit Secrétaire d’Etat, l’Open VLD Philippe De Backer, veut croire à un éveil wallon et bruxellois. Prétend percevoir un frémissement, sans avancer de chiffres. Optimisme à confirmer.

En attendant, les pistes s’additionnent et les sources se recoupent pour justifier un écart aussi criant dans l’application d’une formule fédérale qui ne plaît qu’en Flandre. Tout concourt à y assurer son succès, convient le cabinet du ministre des Classes moyennes et des Indépendants, Willy Borsus (MR) : « Pour pouvoir décrocher un flexi-job dans l’Horeca, il faut déjà avoir un emploi (au moins à 4/5e) dans un secteur, n’importe lequel. Or, le taux d’emploi est plus élevé en Flandre qu’en Wallonie et à Bruxelles. » Le succès appellerait le succès, en somme.

Et puis l’Horeca en Flandre, c’est du lourd : deux fois plus d’établissements (13.840) qu’au sud du pays (6.960) et un gros filon touristique à la Côte belge (2.880 flexi-jobs recensés en Flandre occidentale au premier trimestre.) On pourrait objecter que le Luxembourg et Bruxelles ne sont pas non plus dépourvus d’atouts touristiques et que l’Horeca y a aussi toute sa place : la « belle province » n’enregistrait pourtant que 17 flexi-travailleurs au premier trimestre et la région-de Bruxelles-Capitale, on l’a dit, 69.

Une mesure fédérale pour deux marchés de l’emploi

La frilosité wallonne et bruxelloise doit bien cacher autre chose. Matthieu Dewèvre, de l’Union des classes moyennes, pointe « une certaine prudence » de l’Horeca wallo-bruxellois à franchir le pas. La faute à des incertitudes sur le plan salarial (prime de fin d’année, heures sup’, avantages sociaux) en attente d’être levées. La décision syndicale, CSC, FGTB et CGSLB confondus, de contester la légalité du flexi-job sous plusieurs aspects devant la Cour constitutionnelle, achèverait de refroidir les ardeurs du secteur : « Nous n’avons pas encore cherché à promouvoir ce type de travail, vu les implications qui pourraient résulter de la décision qui sera rendue sur le recours déposé par les syndicats. Cette insécurité est source de démotivation », confirme le président d’HoReCa Wallonie, Thierry Neyens.

« Horeca Vlaanderen » ne s’embarrasse pas de ce genre d’états d’âmes : la fédération « soutient très activement le système et en fait une grande promotion auprès de ses affiliés », relève encore Willy Borsus, impatient de pouvoir étendre les bienfaits du flexi-job au commerce, tant le ministre se félicite du « rebond bienvenu » qu’il dit constater dans l’Horeca. Flamand.

L’enthousiasme n’est pas toujours contagieux. Au chevet de l’emploi wallon, la ministre régionale Eliane Tillieux (PS) se dit « attentive » mais « dubitative. » Qui dit flexibilité dit insécurité. Les travailleurs déjà les plus vulnérables s’en passeraient volontiers.

« On ne peut exclure la dimension culturelle du phénomène », souligne Philippe Defeyt, « ce n’est pas la première fois qu’une mesure adoptée au niveau fédéral profite à une région du pays plus qu’à une autre : l’allègement du coût du travail de nuit était ainsi taillé sur mesure pour servir les intérêts de l’industrie automobile flamande. »

Le flexi-job : une approche foncièrement de droite qui peine à s’acclimater dans des régions où le coeur penche encore majoritairement à gauche. Une formule avant-gardiste, puisque très « con-fédérale. » Tout ce que la N-VA aime.

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