Thierry Fiorilli

Pourquoi il faut montrer College Boy, le clip d’Indochine

Thierry Fiorilli Journaliste

Le clip de College Boy, l’une des chansons du dernier album du groupe français Indochine, pourrait être interdit aux moins de 16 ans par le Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Parce qu’il serait trop violent. Débat passionné, évidemment. Mais dépassé..

Le film est esthétiquement superbe. En noir et blanc, avec des ralentis qui font danser la violence, celle qui est retenue comme celle qui est exprimée. L’histoire est simple : dans un collège haut de gamme, avec uniformes à l’anglaise, vestons, cravates, cheveux bien peignés, jupe sous le genou, chignons serrés et visages élégants, un étudiant est la cible de presque tous ses homologues. Les autres ferment les yeux (le clip les affuble même d’un bandeau, comme à colin maillard), y compris lorsqu’ils filment les tortures, avec leur smartphone), se bouchent les oreilles, détournent la tête. De cible, l’étudiant devient proie. Parce qu’il est homosexuel. Donc, hors cadre, hors norme, hors groupe. Comme toujours, comme presque partout, l’exclusion ne suffit pas. Il faut l’humiliation, le harcèlement, la moquerie, la cruauté, les coups.

Dans le clip, ça débouche sur la crucifixion et la mitraillade. La mort, donc. Même si la toute dernière image montre la jeune victime, sur sa croix, en sang, relever la tête et murmurer « merci ».
Merci à ses tortionnaires, qui ont fini par abréger son calvaire ? Merci aux témoins, les autres étudiants, les enseignants, les parents, les policiers, les religieux, qui ont laissé faire ? Peu importe. Merci de m’avoir fait payer mes différences.

On peut décréter qu’Indochine veut provoquer. On doit rétorquer alors que le groupe n’a plus besoin de ça depuis belle lurette : il vend ses albums comme des petits pains et remplit les salles partout où il passe. On peut estimer que ce n’est pas à Nicolas Sirkis et les siens à dénoncer les maux de notre quotidien. On doit répondre que c’est ce qu’ils font, avec romantisme, naïveté et faux airs rebelles depuis trente ans, à destination d’un public toujours plus large, en termes d’effectifs et de générations, et que ça n’a jamais réellement dérangé jusqu’ici (ça agaçait ou faisait sourire ceux qui ne sont pas fans du groupe). On peut considérer que le réalisateur du film, le Québécois Xavier Dolan, n’aurait pas dû montrer le sang, la mise en croix, les balles qui criblent le corps.

On doit réagir en rappelant qu’il n’a jamais fait jusqu’ici dans l’eau de rose (ses films précédents, plus colorés, abordent chaque fois des thèmes difficiles, dont l’homosexualité vécue comme une honte, une tare, un délit). Et, comme il répète lui-même, « dire que ça encourage la violence est complètement stupide. Est-ce vraiment plus violent que tous les films qui arrivent sur nos écrans tous les jours, ? Il n’y a pas d’ambiguïté dans le message de non-violence du clip. On est immédiatement dans l’empathie avec le personnage. Pour moi, la société fonctionne selon le concept de la meute. On en fait partie ou pas. Et c’est très difficile de s’y opposer, d’être contre un ensemble de personnes. Quand on voit tous ces clips aux scénarios racistes, violents, dégradants notamment pour les femmes, cela me paraît absurde que celui-ci soit censuré. »

« On a voulu envoyer une alerte à la jeunesse », martèle Xavier Dolan. « On voulait envoyer aux jeunes une illustration logique et concrète de la violence dont ils sont victimes, acteurs ou observateurs. Si l’on comparaît la violence distillée par les manifestations (contre le mariage des personnes de même sexe) et celle de mon clip, mon clip est un conte pour enfants. »

On ne peut pas lui donner tort. On ne peut qu’espérer que personne, face à « College Boy » et surtout face aux réalités de la « vraie vie », aujourd’hui presque plus qu’hier, n’enfilera encore de bandeau pour ne pas voir ce qui se déroule d’intolérable, chez lui ou juste à côté. Et plaider pour que, à l’école, à la table familiale (là où il y a encore table et famille), dans le vestiaire, dans le groupe, on ne se limite pas à laisser regarder des images, réelles ou fictives, de chair et d’os ou virtuelles, mais qu’on en discute, avant, pendant et après. Pour qu’elles n’encouragent plus uniquement la détresse, la haine et l’irresponsabilité.

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