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Pourquoi Di Rupo ne lâche pas Didier Bellens

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Vulnérable ou intouchable ? Le patron de Belgacom est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Même s’il snobe les parlementaires, il a rempli sa mission : faire rentrer un maximum d’argent dans les caisses de l’Etat. Sur le dos des consommateurs ?

Plus vite Didier Bellens, 58 ans, rentrera dans sa tanière, mieux le gouvernement d’Elio Di Rupo s’en portera. Le 17 octobre, la prestation goguenarde du bonhomme restera dans la mémoire des parlementaires de la commission de l’Infrastructure. Ils ont attendu, effarés, les explications du patron de Belgacom sur les prémisses de la vente d’un immeuble bruxellois de Belgacom à une société lui appartenant (Immobel). « Il me semblait sur une autre planète, résume le député Ronny Balcaen (Ecolo). Sa défense est assez particulière quand il dit qu’il n’y a pas de conflit d’intérêt dès lors qu’il n’y a pas eu vente. Il a affirmé qu’Immobel n’avait pas déposé d’offre. Dans le document du comité d’audit, il est explicitement dit qu’Immobel participe à l’appel d’offres sur ce bâtiment ainsi qu’à un autre, au Meir à Anvers. » A regarder ce grand fauve éprouvé, beaucoup se sont dit qu’il était ailleurs, voire autiste, malgré la présence à ses côtés de Jean-Charles De Keyser, l’ancien patron de Belgacom TV devenu conseiller stratégique, et de Sandrine Nelissen-Grade, directrice et conseillère exécutive du CEO de Belgacom, une jeune femme des beaux quartiers bruxellois qui a de l’influence sur lui et, facteur non négligeable en Belgique, où tout grand patron rêve d’être anobli, qui a ses connexions avec le Palais.

Cette prestation surréaliste n’est pas un cas isolé. L’histoire dure depuis dix ans et Elio Di Rupo y a largement contribué. Le bilan Bellens est aussi le bilan Di Rupo, même si le PS, aujourd’hui, prend ses distances. « Belgacom, c’est tout sauf du business ». Le propos émane d’un expert wallon des télécoms. Il se vérifie à toutes les étapes de la saga Bellens.

Etait-il socialiste, l’est-il devenu ? « Lui, socialiste ? Ni socialiste ni autre chose, s’esclaffe un ancien cadre de Belgacom. Il a trop de mépris pour les hommes politiques. Bellens et Di Rupo n’ont rien en commun. Bellens a peu d’amis et très peu de liens avec un monde politique qui lui est étranger ». La députée Karine Lalieux (PS) proteste aussi : « Je n’ai jamais vu Bellens à un congrès ni au boulevard de l’Empereur. Je traite les télécoms depuis treize ans et on ne m’a jamais dit que je devrais rencontrer Bellens pour qu’il me dise ce que j’ai à dire, jamais ! » Dans le Standaard du week-end dernier, Paul Magnette, président du PS, en rajoute : « Rien dans sa présentation ou son comportement n’en fait un socialiste. Peut-être Bellens est-il un libéral caché… »

De fait, dans la tourmente actuelle, le MR et l’Open VLD lui laissent le bénéfice du doute. Le style est contesté, mais pas le fond, sous réserve de ce que donnera l’enquête judiciaire pour corruption passive dans laquelle Bellens est inculpé depuis 2011. C’est sa casserole la plus sérieuse, celle qui risque d’éclabousser indirectement le chef du gouvernement. Le patron de Belgacom est soupçonné d’avoir vendu à prix d’ami un immeuble montois de l’ancienne RTT à Edmée De Groeve, qui fut la femme de confiance d’Elio Di Rupo dans divers conseils d’administration publics avant d’être condamnée pour escroquerie et détournements de fonds. Pour le reste, motus.

Ancien ministre des Finances, Didier Reynders sait à quel point les finances du pays sont dépendantes des rentrées de Belgacom : près d’un milliard par an, dividendes et impôts compris. De plus, le MR n’est peut-être pas le mieux placé pour donner des leçons. Le comité d’audit qui a absous prestissimo Didier Bellens du soupçon de conflit d’intérêt dans l’affaire Immobel a également blanchi Michel Moll, proche de Bellens et ancien administrateur MR chez Belgacom, pour ses activités de consultant en faveur de l’opérateur télécom chinois Huawei, suspecté de se livrer à des activités d’espionnage.

Belgacom n’en a pas encore fini avec Didier. Les pontes du gouvernement ont fait leurs comptes. Le contrat de Bellens prévoit qu’en cas de départ anticipé en 2013 (le terme est début 2015), l’entreprise devrait lui verser deux ans de salaire : un an pour l’année 2014 qu’il n’aurait pas prestée et encore un an pour le dédommager de sa clause de non-concurrence. Trop cher. Il sera prévenu du « renom » éventuel et probable de l’Etat à la moitié de l’année 2014, soit après les élections.

On dit cependant Bellens fatigué de son job et en partance pour les Etats-Unis, où il aurait des propositions. D’ici là, il doit préserver ce qui peut l’être de son « capital réputationnel ». C’est aussi l’intérêt de Belgacom, dont le cours de l’action en Bourse est scotché au comportement, fût-il absolutiste, de Bellens (l’action Belgacom a grimpé de 4% quand le CEO était étrillé par les médias et les députés).

Malgré l’exaspération qu’il suscite dans le monde politique, le Bruxellois est crédité d’un bon bilan. Ce financier étourdissant (« en deux minutes, il peut reconnaître un bilan pourri ou maquillé », selon un ancien cadre) a fait de Belgacom une entreprise moderne, peu endettée, qui a évité les dérapages de la plupart des télécoms européens.

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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