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Pourquoi De Wever se prend pour Luther

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le leader N-VA s’est identifié au célèbre moine allemand qui a mis le feu à l’Eglise et brisé son unité, voici cinq siècles. Ce n’est pas un hasard.

Anvers, 2 février 2014, grand-messe de la N-VA. Bart De Wever : « Je suis ici, et je ne puis faire autrement. Je me réfère à la réponse de Luther à la diète de Worms en 1521. Voilà ce que Luther a répondu au pouvoir traditionnel qui exigeait de lui qu’il renie sa croyance, sous peine de jeter sur lui l’anathème. Ne pas plier exige de la conviction et du courage. Nous sommes réunis ici, avec cette conviction et ce courage. Celui qui ne veut pas changer nous diabolisera. Comme Luther jadis, ceux qui aujourd’hui sont assis sur un trône feront tout pour nous faire brûler par le peuple comme hérétiques. »

Entre l’apôtre flamand du Verandering, du Changement, et le grand mystique réformateur du XVIe siècle, le courant passe au travers des siècles. Voici leurs similitudes.

Mystiques angoissés

Martin Luther se persuade que seules la foi et la grâce divine sauvent. Des crises mystiques et morales entament la joie de vivre de ce sanguin, amateur de plaisirs terrestres comme l’atteste son embonpoint.

Bart De Wever a volontairement perdu sa rondeur physique et sa bonhomie et il a gagné en posture pénétrée par un sens aigu du devoir, comme habité par une mission de toute évidence peu banale. Ce combat vaut bien une touche mystique. « Mon speech était un peu messianique », confessait le président de la N-VA à l’issue du congrès anversois.

Réformateurs entêtés

Dépravation, corruption des moeurs, trafic d’indulgences pour le rachat des péchés, rites sclérosés. L’Eglise et son business font honte au moine augustin Luther. Sa révolte le pousse à se dresser contre « la rouge prostituée de Babylone » qui persiste à se vautrer à Rome. Il met le feu à la toute-puissance catholique et vient à bout de son unité.

Paresse, assistanat, transferts financiers injustifiés, clientélisme. La Flandre ne cesse de pester contre les vices qu’elle impute au système belge, contre les errements qu’elle reproche à la « Wallonie rouge ». De Wever incarne l’homme providentiel qui se dresse face aux francophones incorrigibles, prêt à mener la Belgique au schisme s’il le faut.

Rois de la com’

Octobre 1517 : Luther placarde sur les portes d’une chapelle de Wittenberg une condamnation du négoce d’indulgences. Le retentissement de ses 95 thèses est immédiat aux quatre coins de l’Allemagne. Miracle de l’imprimerie, nouvelle technologie de la communication. Luther saisit les ressources qu’il peut en tirer pour court-circuiter la censure des élites. Il mise sur des pamphlets courts, imprimables en un ou deux jours. Découvreur de formules qui font mouche et de l’image qui frappe, adepte du parler vrai et simple, doué d’un esprit d’à-propos, non dénué d’humour moqueur, le moine use de l’allemand pour se faire comprendre du plus grand nombre.

Mai 2012 : Dans un billet d’humeur qu’il consacre aux « médias, danger pour la démocratie », De Wever explique que « lorsque Luther cloue ses prises de position sur la porte de l’église de Wittenberg, toute l’Allemagne les lit dans les quinze jours. Le pouvoir de la langue de l’élite, le latin, était ainsi défié par les langues populaires qui pouvaient se développer grâce à l’imprimerie. Cela signifiait la démocratisation de la vie publique. »

Persécutés jusqu’au-boutistes

Luther se met à dos l’Eglise, puis Charles Quint, l’empereur très catholique qui voit d’un très mauvais oeil ce facteur de division en Allemagne. Mais il refuse de se rétracter, est excommunié et poursuit son combat.

Un martyr comme De Wever les aime. « Oui, nous sommes en effet des hérétiques, nous sommes en effet dangereux », a-t-il tonné lors de son « speech messianique. »
Apôtres du travail et de l’effort

Le sens de l’effort, c’est le core business de la vision de Luther : « L’homme doit s’abrutir par le travail pour rester écarté de toute tentation. Pour le protestant, le repos dans la possession est inopportun, car le travail est précieux. Chaque heure soustraite au travail ne concourt pas à la gloire divine. »

Ni aux intérêts matériels de la Flandre, chers à Bart De Wever.

L’intégralité du dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

les avis de Pascal De Sutter, psychologue politique, Bruno Colmant, économiste, Monique Weis, chercheuse au Centre interdisciplinaire des religions à l’ULB, Jean-Edouard Spenlé, germaniste. comment son régime a préparé De Wever au pouvoir.

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