© Image Globe / KURT DESPLENTER

Pourquoi De Wever aurait tort de se gêner

Le patron de la N-VA s’est pris de passion pour le supplice chinois qu’il pratique avec un art consommé. Tant que personne ne quitte la table en la renversant pour siffler la fin de la partie, il peut continuer à faire souffrir le pays. Les mains libres.

C’est encore non, toujours non, ou alors à la rigueur mais sans aucune garantie… Chiffonner sans ciller la note d’un formateur royal, au bout d’un an de crise politique : il fallait oser. C’est bien là le fond du problème : le leader de la N-VA ne voit pas de raison de changer une formule qui gagne.

La Flandre politique reste à ses pieds Hors N-VA, point de salut. Un an d’impasse politique et strictement rien de neuf sous le soleil du nord. Le paysage politique flamand reste sous la coupe de son grand vainqueur au scrutin fédéral de juin 2010. Cette domination stérile et nuisible pour l’avenir du pays laisse les nationalistes flamands sur leur nuage. Ceux qui tentent de les ramener sur terre s’y cassent les dents. De Wever et ses troupes se marrent en douce : se faire taxer d’irresponsables à la solde des riches par les Verts de Groen ! Mais où vont-ils chercher çà ? « Même pas peur » de cette gauche flamande incapable de faire autre chose que de prêcher dans le désert. Et les libéraux flamands s’y mettent à leur tour : leur président Alexander De Croo n’appelle-t-il pas à se passer de la N-VA pour négocier avec les francophones ? L’Open VLD peut toujours y aller, il risque de se sentir bien seul. Sans un CD&V « coucouche panier », au pied du puissant De Wever.

Si tous ces partis ne sont pas contents, libre à eux de rappeler prématurément les électeurs à la rescousse: on verra ce qu’on verra. La N-VA contemple le champ de ruines qu’elle domine de la tête et des épaules. Sur sa droite ? Un Vlaams Belang en pleine déconfiture et frappé à mort par les dissidences, une Liste Dedecker au tapis, et un Open VLD groggy. Plus au centre de l’échiquier politique ? Un CD&V qui ne sait plus à quels saints se vouer. Bien appétissant, tout ce paquet de voix supplémentaires à capter. De Wever ne pousse certes pas à la consommation, mais sent que la solution du pire pourrait aussi lui sourire.

La Flandre citoyenne reste sous le charme Tout l’art consiste à transformer une posture de blocage en un label de qualité. Paralyser pour prétendre mieux progresser : le tour de force continue de faire mouche. Jusqu’à faire pardonner au leader de la N-VA la chute brutale d’un formateur de gouvernement. « De Wever n’a pas seulement rejeté la note Di Rupo, il l’a aussi présentée comme nuisible aux Flamands. Ce qui lui permet de transformer une attitude a priori antipathique en une attitude très sympathique », observe Jean Faniel, politologue au CRISP.

Le tour de passe-passe ne s’improvise pas. La machine à conditionner les masses flamandes tourne à plein régime : les lieutenants de De Wever quadrillent la Flandre, battent la campagne pour entretenir le moral et la combativité des militants ou des sympathisants. Avis à la populace : ce n’est pas De Wever le problème ou l’homme du chaos. Ce sont les autres. Tous les autres. Les francophones, sourds à ses appels au changement. Les autres partis flamands aussi, qui refusent de suivre l’homme providentiel dans son ambition de vouloir le bien de la Flandre.

La Flandre médiatique reste tenue à l’oeil

De Wever en fait une des clés de sa stratégie et de sa réussite : jouer et se jouer des médias. Entendez : la presse du nord du pays, la seule qui compte encore à ses yeux. Cet hyper- chatouilleux de la com’ réagit au quart de tour quand cette presse flamande est trop unanime à froncer les sourcils. Après avoir réduit en bouillie la note Di Rupo en conférence de presse, De Wever rappelle les journalistes. Les néerlandophones sont seuls admis à connaître le fond de la pensée du maître de Flandre. L’homme est soucieux de rompre le charme laissé par le formateur PS qu’il vient de traiter si brutalement. « Le travail de Di Rupo avait été accueilli plutôt positivement par la presse flamande. Sa destruction virulente n’était pas très bonne pour l’image de De Wever. Sa tentative de rectifier le tir n’a pourtant pas beaucoup aidé », décode Dave Sinardet, politologue à l’Université d’Anvers. Que Di Rupo ne soit pas sorti grandi de l’analyse servie par De Wever a achevé de troubler les esprits. « On sent monter une inquiétude parmi les commentateurs de médias flamands », estime Dave Sinardet. Mais dès le 11 juillet, jour de fête et de liesse flamande, De Wever reprenait le beau rôle, au nez et à la barbe du ministre-président flamand Kris Peeters (CD&V).

La Flandre patronale reste foncièrement solidaire

Avant d’asséner le coup de grâce, le terrain est chaque fois préparé, balisé par les alliés objectifs du dirigeant N-VA. Chacun dans son rôle. Le spectre patronal flamand a encore une fois joué le sien : d’emblée très critique, pessimiste sur le fond du travail de Di Rupo. Trop peu de responsabilisation financière aux Régions, trop peu d’économies pour assainir le budget, trop d’argent pour Bruxelles sans refonte de sa gestion. Cette note méritait un début de discussion mais restait à des années-lumière de la révolution copernicienne réclamée par la Flandre. « La N-VA dit tout haut ce que tous les autres partis flamands pensent tout bas ! », assène Ben Weyts, un des proches de De Wever. Pas faux. Entre le « tsunami d’impôts » version De Wever et « l’avalanche fiscale » façon De Croo : cherchez la différence.

Au final, le travail du formateur francophone passait fort mal dans les milieux qui comptent en Flandre. C’est un patron flamand à la fibre belgicaine, le baron Paul Buysse, qui l’admettait en livrant au « Soir » sa déception de ce dernier rendez-vous manqué : « Nous étions déçus par la note (…) Le « non » de la N-VA est assez fondé et assez détaillé. Pour eux, ce n’était pas facile de dire « non ». Ils ont suivi leurs convictions. » De Wever n’aurait pas mieux dit. Mais lui, il a agi. Et son électorat applaudit. Séduit par cette ardeur d’avance qui fait la différence. Qui permet à De Wever de maintenir l’écart, voire de le creuser.

Pierre Havaux

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