Place du Luxembourg, un des coeurs européens de la ville où aiment se retrouver les employés des institutions. © Peter Hilz/BELGAIMAGE

Pour les expatriés qui y vivent, Bruxelles n’a pas la cote

Le Vif

Mal gérée, encombrée, et polluée. Peu séduits par son apparence, ils vantent tout de même sa qualité de vie et son calme… au point parfois d’en tomber amoureux !

D’ordinaire si mouvementé la semaine, le rond-point Schuman tourne comme au ralenti ce samedi après-midi. Le gris du ciel se distingue à peine de celui du Berlaymont, au pied duquel des familles et des groupes d’amis visitant Bruxelles se prennent en photo.  » On a l’impression d’être au coeur du pouvoir « , commente un touriste français, jetant un regard maussade vers l’imposant bâtiment qui abrite la Commission européenne. Son épouse renchérit :  » C’est une bonne image du déficit démocratique que renvoie l’Union européenne.  » Le constat est dressé, implacable. Et il n’est pas que le fruit d’impressions formulées à la hâte par quelques touristes curieux. Si on tend l’oreille du côté des expatriés européens installés à Bruxelles, les critiques de cet  » Euro-Bruxelles  » sont encore plus corrosives :  » impersonnel « ,  » bureaucratique « ,  » froid « … Bref,  » une horreur « .

Bruxelles, capitale européenne, ce sont quarante mille employés au sein des institutions, dix mille lobbyistes et plus de mille journalistes. Une présence européenne qui procure près de 15 % du PIB bruxellois. Pourtant règne cette impression parmi les expatriés que la ville ne valorise pas suffisamment son statut de capitale européenne.  » Bruxelles est la deuxième place d’influence dans le monde après Washington, rappelle Daniel Guéguen, un lobbyiste européen installé depuis près de trente ans à Bruxelles. Or, on dirait qu’elle s’en fout, qu’elle laisse faire !  »

Depuis son bureau, à un jet de pierre du Parlement, Daniel Guéguen s’emporte contre le quartier européen. Sa gestion est  » un désastre « , son urbanisme  » abominable  » et les relations entre Bruxelles et les institutions européennes  » une catastrophe absolue « . S’il s’échauffe autant, c’est parce qu’il aime Bruxelles et l’Europe et qu’il craint que cette architecture bureaucratique ne fasse  » la promotion de l’euroscepticisme.  »

Gareth Harding, conseiller politique britannique installé depuis vingt-quatre ans à Bruxelles, a signé plusieurs articles critiquant, lui aussi, le quartier européen et ce qu’il symbolise.  » Mettez-vous à la place de diplomates, politiciens ou journalistes qui arrivent à Bruxelles dans une gare sale, embarquent dans un métro qui fonctionne mal pour finalement arriver dans ce quartier de blocs de béton affreux, lance-t-il avec aplomb. C’est ça l’image de l’Europe qui est envoyée au monde !  »

Gareth Harding, conseiller politique britannique, dénonce l'aspect peu accueillant de la ville pour les diplomates en visite.
Gareth Harding, conseiller politique britannique, dénonce l’aspect peu accueillant de la ville pour les diplomates en visite.© AURORE BELOT/belgaimage

Klaxons et livraisons aux heures de pointe

Moins sévère, Lorenzo Consoli estime que la ville représente plutôt bien l’Europe dans sa  » gestion de la différence et de la complexité « .  » On ressent ici un sens de la démocratie accomplie, une grande liberté  » note ce journaliste italien spécialiste des affaires européennes. Le tout dans une  » petite capitale  » pas trop stressante…  » Sauf dans le trafic !  » fulmine-t-il soudain.

Le trafic : l’autre point noir de Bruxelles. Avec l’urbanisme, les embouteillages bruxellois incarnent pour les expats européens ce  » bordel  » intrinsèque à la ville.  » Travaux perpétuels sur la voirie, collecte des déchets et livraisons pendant les heures de pointe : tout cela est indigne d’une capitale européenne « , regrette Lorenzo Consoli. Là encore, le quartier européen, ce  » lieu de passage impersonnel « , concentre tous les maux. La rue de la Loi est pointée du doigt : ses voitures qui roulent au pas et balafrent le quartier à coups de phares, de klaxons et de gaz d’échappement.

Pour équilibrer le débat, Gareth Harding précise : Bruxelles est responsable mais elle partage ce lourd fardeau avec les institutions européennes car  » ce sont elles qui ont permis la construction d’immenses parkings souterrains au lieu de favoriser le vélo et les transports en commun. Ce faisant, elles ont contribué à la congestion et la pollution d’une ville déjà congestionnée et polluée.  »

Le vent commence pourtant à tourner dans le quartier européen : des logements et commerces fleurissent un peu partout et les travaux qui labouraient son sol depuis près de dix ans sont enfin achevés. Mais il y a un risque :  » Que Schuman devienne l’un de ces « ghettos riches » pour expatriés « , glisse un eurocrate, conscient du manque d’interactions entre la sphère européenne et la société bruxelloise.

Pour Jimmy Jamar, le chef de la Représentation de la Commission européenne en Belgique, la réalité n’est pas si tranchée :  » La plupart des fonctionnaires aiment Bruxelles : ils font leur carrière ici, certains continuent à y vivre après. J’en connais même qui se sont présentés aux dernières élections communales.  » Ce Belge réfute l’idée d’une  » bulle  » déconnectée et souligne que la Commission s’est engagée à favoriser les liens entre ses fonctionnaires et la ville, via un service encourageant le volontariat :  » Chaque fonctionnaire a droit à une journée de congé par an pour être bénévole dans une association locale.  »

A l’image d’une Europe imparfaite

Originaire de Suède, Maria a posé ses bagages d’étudiante à Bruxelles. Aujourd’hui fonctionnaire à la Commission depuis dix-sept ans, elle dit adorer cette capitale qu’elle trouve  » vibrante « . Le goût du local, elle l’a : Maria est investie dans un contrat de quartier, elle a renoncé à la voiture et même au privilège de l’Ecole européenne, préférant, avec son mari, scolariser ses enfants dans une petite école d’Uccle, à quelques minutes à pied de la maison.  » C’était très important pour nous que nos enfants se sentent chez eux ici, qu’ils aient l’identité et parlent les langues du pays dans lequel ils sont nés.  » Pour elle, comme pour nombre d’expatriés,  » qualité de vie « ,  » taille humaine « ,  » nourriture et culture  » forment le trio gagnant de la capitale.

De l’autre côté du spectre, la bureaucratie, la mobilité et l’urbanisme bruxellois continuent d’exaspérer ceux pour qui la ville n’est pas à la hauteur de son statut. Mais en creusant, Bruxelles apparaît finalement pleinement à l’image de cette Europe qu’elle représente. Une Europe imparfaite, critiquable… Mais aussi hétérogène, riche et complexe. Une ville, comme l’Europe, qu’on aime critiquer et dont on oublie parfois les bons côtés.

Par Clara Van Reeth.

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