Pas un mot sur le décumul, ni sur la limitation des mandats, ni sur les mandats privés : le nouveau gouvernement wallon ne révolutionne pas la gouvernance. © Melanie Wengler/Isopix

Pour les élus francophones, le renouveau politique, c’est pas pour demain

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

« L’homme politique nouveau doit naître », écrivions-nous le 8 juin dernier. Qu’en pensent les principaux concernés ? Pas que du bien : plusieurs propositions d’experts en matière de gouvernance ne trouvent pas grâce aux yeux des élus.

Un joli cache-misère, cet accord de nouveau gouvernement wallon. Suppression de l’effet dévolutif de la case de tête ! Cadastre des mandats publics ! Panels citoyens ! Consultations populaires régionales ! Plafonnement des rémunérations des dirigeants des structures publiques ! Une véritable exhibition de bonne gouvernance… décrétée, en réalité, sous la précédente législature. Quelques touches bien orange-bleu, tout de même. Fin des suppléances, création d’une circonscription régionale, installation d’une commission de déontologie, interdiction d’engager des membres de sa propre famille dans son cabinet. Notez bien, pas d’embaucher celle de ses copains ou de faire employer la sienne… Mais pas un mot sur le décumul. Pas un mot sur la limitation des mandats. Pas un mot sur les mandats privés. Pas un mot sur ce qui a alimenté les scandales. Et l’indigestion citoyenne. Un joli cache-misère. L’homme politique nouveau attendra.

Le 8 juin dernier, Le Vif/L’Express publiait son  » portrait-robot « . Un signalement dessiné suivant les recommandations de politologues, constitutionnalistes et philosophes. Avis de recherche aux propositions qui répareraient la panne démocratique actuelle. Sept avaient été épinglées : contact accru avec les citoyens, tirage au sort, contrôle des élus, limitation du nombre de mandats, limitation des mandats dans le temps, rémunérations et réforme des partis.

Utopie ? Autant poser la question aux premiers concernés. Les 242 élus francophones (fédéral, Sénat, parlements wallon et bruxellois, Fédération Wallonie-Bruxelles) et présidents de parti ont reçu un tableau. D’accord, pas d’accord ? Cent nonante l’ont rempli, un taux de réponse de 79 %. Ce n’était pas gagné : le taux de réponse spontanée ne dépassait pas les 20 %. En même temps, 21 % semblent toujours s’en ficher comme de leur premier mandat. Bien qu’un gouvernement ait implosé entre-temps, rendant la thématique de la bonne gouvernance encore plus actuelle. Les édiles déclarent en vouloir davantage. Mais pas n’importe comment.

Tirage au sort : hors de question

Et certainement pas via le tirage au sort. Sans doute la mesure la plus étonnante avancée par les experts. Si un citoyen lambda choisi au hasard peut juger un prévenu aux assises, pourquoi ne pourrait-il pas – partiellement – gouverner ? Hors de question, répliquent massivement les politiques (jusqu’à 90 %). Ni via le tirage au sort des membres du Sénat, ni d’une partie des parlements, ni en créant une nouvelle assemblée populaire ou en utilisant les votes blancs. Rien de rien. Ce serait  » un danger pour la démocratie représentative « , une option  » dénuée de légitimité « .  » Quid en cas de mauvaise pioche ?  » s’interroge une humaniste.  » Il serait déraisonnable de voir arriver dans une assemblée des gens incompétents « ,  » qui n’accepteraient le poste que pour le salaire « , craignent deux libéraux.  » Le citoyen, prolonge un socialiste, n’est pas toujours le gardien de l’intérêt général mais souvent celui des intérêts de son « devant de porte ».  » Un point commun avec beaucoup d’élus…

70 % des élus sont contre l’interdiction des mandats à titre privé

Une exception : tirer au sort pour constituer des panels citoyens (chargés de débattre sur des thématiques sociétales puis de remettre des recommandations), c’est  » oui  » à 84 %. Un  » moyen adéquat  » (dixit le MR) qui  » ancre le travail politique dans les réalités vécues  » (selon un PS).  » Pourvu que la décision finale revienne aux élus « , insiste-t-on (toutes couleurs confondues). Seul le PTB est contre, pour avoir  » observé que les recommandations sont très souvent ignorées, comme les avis des différentes commissions qui existent déjà « .

Un grand  » oui « , aussi, à l’organisation de consultations populaires (95 %), déjà existantes mais fort peu utilisées. Unanimité moins grande mais majorité tout de même (64 %) pour la création d’un institut d’évaluation des choix technologiques où citoyens, experts et représentants de la société civile remettraient un avis sur les décisions politiques qui engagent la société sur le long terme. Bien que beaucoup soulignent que les organes d’avis pleuvent déjà et qu’il ne faudrait pas que cela devienne un  » machin  » aussi supplémentaire qu’inutile.

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Oui (mais) aux référendums

Ça passe aussi de justesse pour les référendums (60 %). Honnis du PS et de DéFI, mais adorés des autres partis. Oui mais à condition de prévoir des seuils de participation. Oui mais en évitant certaines matières, comme le budget ou les thématiques éthiques. Oui mais sans que cela revienne à exprimer un mécontentement à l’égard de la classe politique. Oui mais sans rallumer le feu communautaire belge. Oui mais gare aux populismes et aux manipulations médiatiques. Oui mais s’ils sont d’initiative populaire… Tellement de  » mais  » qu’il ne faut guère s’étonner de ne rien retrouver à ce sujet dans le programme gouvernemental MR-CDH.

Celui-ci prévoit bien, en revanche, de diminuer de 10 % les salaires des ministres. Tant mieux : dans notre sondage, 68 % entendaient conserver les rémunérations actuelles (sauf chez Ecolo et au PTB), tout en revalorisant les traitements les plus faibles (60,5 %), comme ceux des conseillers communaux et des bourgmestres des petites communes.  » Un coût que la société doit assumer, qui contribuera à une gestion plus professionnelle « , prédit une Ecolo. La baisse des plus hauts émoluments (présidents de la Chambre et du Sénat, fonctions spéciales…) pourrait permettre d’en financer une partie : 96 % sont favorables à une diminution de ces  » résidus de l’histoire que plus rien ne justifie  » (Ecolo, toujours). Des cures d’amaigrissement ont déjà été décrétées, mais plusieurs voudraient qu’aucun salaire  » spécial  » ne puisse à l’avenir dépasser celui du Premier ministre, voire celui d’un député lambda.

Pas de majorité pour le décumul

Beaucoup glissent cette phrase, au passage :  » Si le décumul se concrétise, il ne faut pas baisser les rémunérations des parlementaires.  » Encore faudrait-il qu’il se concrétise. Seuls 48 % se déclarent en faveur de la version  » intégrale « , où un élu = un mandat exécutif, point. Avec de grandes disparités entre les partis. Le MR le blackboule, le PS se tâte, CDH, Ecolo, DéFI et le PTB le réclament.

Quasi personne ne veut, en revanche, interdire les mandats à titre privé (70 % contre). Les justifications varient. Certains classent dans cette catégorie les activités professionnelles parallèles auxquelles ils ne veulent pas renoncer. D’autres évoquent ces postes (privés ou parapublics) occupés par des politiques  » à titre personnel « , dont Publifin et le Samusocial ont révélé les effets pervers. La solution ne serait pas de les interdire ( » au risque de se couper des réalités de terrain « , répète-t-on), mais bien de les déclarer et de traquer les conflits d’intérêts. Par contre, 81 % souhaitent restreindre le nombre de mandats liés à une fonction et 88 % considèrent que ceux-ci doivent être exercés gratuitement.

Limiter le nombre de mandats, OK. Quant à leur durée… Le décumul temporel, instauré en France par Emmanuel Macron (trois postes et puis s’en va), n’a pas la cote. Seuls 34 % y sont favorables. Tant pis pour le renouvellement. Les gens en ont marre de voir tout le temps les mêmes têtes ? Qu’ils votent pour quelqu’un d’autre !, répondent massivement les élus. Sur le mode  » les élections, ça sert à ça « . Aux présidentielles hexagonales, peut-être. Mais chez nous, avec le poids des circonscriptions, des coalitions, des partis, des cases de tête, tout ça…

Rendre des comptes : 50-50

Puis, un scrutin au bout de cinq ou six ans, un peu léger, comme moyen de pression. Donner aux citoyens davantage de contrôle : une piste privilégiée par les experts. Qui mettaient sur le tapis l’instauration d’assemblées publiques, devant lesquelles les élus viendraient rendre des comptes à intervalles réguliers. Pour quelles raisons ils votent telle loi, sur quels dossiers ils bossent, ce qu’ils proposent… Bof : 50 % des édiles sont séduits. Ceux qui ne le sont pas clament que les parlements servent déjà à ça, que le législatif contrôle l’exécutif et que les documents sont publics. Certains suggèrent que les débats soient mieux retransmis sur le Net, d’autres épinglent ce rôle censé revenir à la presse ( » mais si ça pouvait permettre d’expliquer mes actes à la place des journalistes, pourquoi pas ! « , titille l’un). Un libéral imagine une obligation de publier un rapport annuel d’activité à la Cour des comptes, que chacun pourrait consulter.

Une proposition personnelle parmi beaucoup d’autres. En vrac, toutes couleurs confondues : organisation de sondages délibératifs, droit d’initiative citoyenne, développement de budgets participatifs, publication sur le Web de toutes les délibérations d’instances publiques, transparence sur les salaires, formation continue des mandataires, mise en place de panels de  » citoyens témoins  » qui suivraient les débats de société et livreraient leur témoignage sur cette expérience, filmer les conseils communaux, intégrer des cours de sensibilisation à la politique dans les programmes scolaires,  » portes ouvertes  » citoyennes au conseil communal, élire directement les bourgmestres…

Des idées. Puis des actes. Que les partisans du décumul intégral se l’appliquent, que les supporters de la limitation des mandats se restreignent, que les soutiens des assemblées de contrôle les créent, que les adeptes de la limitation temporelle se retirent le moment venu. En attendant que les partis prennent le relais. Renouveau bien ordonné commence par soi-même ?

Les coulisses d’un sondage

Connaissez-vous Jeremy Zeegers ? Nous non plus. Mais on aimerait bien. Après tout, c’est lui qui a rempli le questionnaire qu’au moins vingt élus libéraux ont ensuite renvoyé en leur nom. Transformant parfois l’une ou l’autre tournure de phrase, faudrait pas que le copier-coller du centre Jean Gol soit trop flagrant. Le MR avait battu plusieurs fois le rappel, par mail : « Certains d’entre vous ont été contactés par une journaliste du Vif/L’Express concernant un dossier « bonne gouvernance ». Ci-joint, veuillez trouver les réponses préparées par les conseillers du Parti, sur lesquelles vous pouvez vous baser pour y répondre. »

Chez DéFI, c’est Christophe Verbist, directeur du centre d’études Jacques Georgin, qui a pris la plume. Une députée avait habilement annoncé la couleur. « Voici, suite à de nombreux échanges et débats au sein de mon parti. » Allez savoir qui s’y est collé du côté d’Ecolo mais, pas de doute, le mot d’ordre a circulé et, à lire copies identiques après copies identiques, il a été largement respecté.

Au PS, la consigne est tombée quelque part entre le mercredi 28 juin, 12 h 04 (heure à laquelle une attachée de presse nous a malencontreusement mis en copie d’un mail indiquant « nous n’avons encore rien reçu du parti ») et le jeudi 29, 8 h 22 (heure à laquelle les réponses uniformes ont commencé à affluer). Gilles Doutrelepont, directeur de l’institut Emile Vandervelde, avait mis en garde tous les destinataires socialistes le 14 juin à 19 h 07. « Chères amies, chers amis, Le Vif/L’Express a adressé aux ministres et aux parlementaires une demande de positionnement sur une série de questions relatives à la gouvernance publique […] Nous vous proposerons dans les prochains jours des réponses types pour chacune de ces questions, en phase avec les positions adoptées par le Parti. »

Pauvre Gilles Doutrelepont. Ça n’a pas dû être drôle, de recevoir en retour plusieurs volées de bois vert. Du style « allez vous faire voir, l’IEV n’a plus rien à me dire ». En plus poli. « Il n’a jamais vu un électeur de sa vie !, peste un élu. Je répondrai en mon âme et conscience. » Signe des temps socialistes troublés…

C’est du off ?

Au PTB, la contestation n’est même pas une option. Une seule et unique réponse pour les huit élus. Comme si chacun devait penser uniformément. Seul le CDH a laissé le champ libre à ses ouailles. Ou presque. Il a d’abord fallu le feu vert de Benoît Lutgen, sans lequel une seule élue s’était aventurée à donner suite.

L’espoir d’obtenir des avis individuels était probablement naïf. Il aurait été plus rapide et simple de ne solliciter que les partis. De ne pas envoyer 242 e-mails, de ne pas repasser quasi autant de coups de fil (le taux de réponse spontanée ne dépassant pas les 20 %), de ne pas renvoyer un troisième et ultime rappel avant de ranger les élus dans la catégorie « n’ont pas répondu ». « Je n’aime pas trop cette technique de classement », se vexeront deux édiles. Idem. Mais c’est apparemment la seule qui fonctionne.

L’espoir n’était cependant pas vain. Parmi les 79 % de répondants, une bonne moitié s’est livrée personnellement. Certains s’assurant parfois que ce serait bien « en off ». « Parce que, sinon, je devrai suivre la consigne du parti. » D’autres s’énervant de ce conformisme. « Vous recevez des copier-coller ? C’est glorieux ! Mais bon, ce n’est pas simple d’affirmer sa position, dans le système dans lequel on évolue. » Pourtant, selon notre sondage, 77 % des élus considèrent que les formations politiques doivent se réformer. 83 % estiment même qu’elles doivent (re)faire émerger de nouvelles idées. Quant à les exprimer soi-même…

« Nous, les « petits », on a bien conscience de n’être que des presse-boutons », reconnaît un parlementaire.© FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI/ISOPIX

Hello, Joe

Pas de généralité : le poids de la particratie ne pèse pas sur tout le monde. Pas sur cette ministre qui participe sans langue de bois. Pas sur ces députés qui multiplient les propositions originales. Bien que certains le vivent mal. « Nous, les « petits », on a bien conscience de n’être que des presse-boutons. Et quand on ne veut pas respecter la consigne de vote, ça fait toute une histoire. » « Aujourd’hui, ce ne sont plus les députés, élus par le peuple, qui décident […] de ce qui est bien ou mal pour la population, mais quatre présidents de partis dans le cadre d’un éventuel programme gouvernemental… » Dernier morceau choisi : « Je comprends que les gens soient épuisés et démoralisés par rapport à l’action publique. Au Parlement, quand on voit l’immaturité, les postures… Comment autant d’intelligence politique peut aboutir à un débat aussi vide et caricatural ? »

Caricaturale, l’expérience l’a parfois été, démontrant par l’absurde des reproches adressés aux hommes et femmes politiques. Ils seraient déconnectés des citoyens ? En tout cas, certains sont injoignables. Prenant soin de ne renseigner aucune coordonnée dans l’onglet « contact » sur les sites du Parlement. Ou juste un numéro de fixe que personne jamais ne décroche. Ou juste un e-mail dont la boîte de réception n’est jamais consultée (« Ah, vous avez envoyé sur cette adresse ? Je n’y vais pas ! »), ou qui se révèle invalide. Combien de messages d’erreur ! L’un d’entre eux conduira même aux… Etats-Unis. « I don’t know who think for, but it isn’t for me. Joe. » Sorry, Joe. Effectivement, ce n’est pas vous qu’on essayait d’atteindre.

Les politiques auraient besoin de décumuler ? En tout cas, beaucoup sont fort occupés. « Désolée, le temps me manque pour vous répondre. » « J’ai bien transmis votre demande au ministre, mais il n’a pas le temps pour ça. » Même pas un quart d’heure à consacrer sur plus d’un mois, c’est ballot. Sans doute les édiles qui ne nous ont toujours pas fait signe cherchent-ils encore quelques minutes dans leur agenda. Quelques-uns se sont montrés plus francs : pas envie de donner suite. Ou de mauvaise grâce. « Questions inutiles », écrira un humaniste en marge du tableau. « Je trouve vos propositions très orientées », se plaindra un socialiste. « Ces interrogations sont réductrices et unidirectionnelles, je trouve dommage que vous n’ayez pas envisagé d’autres pistes de réflexion », critiquera un libéral. C’est bien pour cela qu’une case « autre proposition » avait été prévue. Et laissée vide, dans le cas présent.

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