Frank Philipsen © Eric de Mildt

Pour le directeur de l’ISI, « les fraudeurs doivent savoir qu’il est presque trop tard »

Kristof Clerix
Kristof Clerix Rédacteur Knack

Les Belges qui n’ont déclaré qu’une partie de leur argent noir au fisc ont intérêt à se préparer au pire. C’est ce que déclare Frank Philipsen, directeur de l’Inspection spéciale des impôts (ISI). « Et la Justice peut aller plus loin que le fisc. Le tribunal peut saisir tout votre capital noir. Et là, vous n’avez plus rien. »

D’après le quotidien De Tijd, 2017 a été une « année record absolue » pour l’ISI, qui réclame 2,12 milliards d’euros de Belges qui ont fraudé. Ce montant monstrueux comprend tant les impôts impayés que les sanctions.

Deux milliards d’euros, cela semble beaucoup d’argent, mais reste à voir si les fraudeurs vont payer.

Frank Philipsen: Cette question se pose depuis la fondation de l’ISI, en 1979. Par le biais de recherches, nous tentons de récupérer un maximum d’argent. L’amélioration du degré de perception figure expressément dans notre plan opérationnel.

Combien de pour cent des sommes réclamées sont payés?

C’est suivi en permanence. Parfois, c’est plus, parfois c’est moins.

Il y a presque deux ans, le ministre des Finances Johan Van Overtveldt avait déjà annoncé un nouvel instrument de mesure.

Une étude précédente révélait que le taux de perception moyen oscille autour des 20%. Quatre personnes sur cinq ne sont donc pas d’accord avec nos demandes, sont insolvables ou bien il s’agit de dossiers traités par la Justice.

Depuis 2004, les Belges peuvent régulariser le capital noir depuis l’étranger, via la déclaration libératoire unique. Un succès ?

Depuis, il y a déjà eu quatre tours de régularisation, chaque fois avec des résultats différents. L’initiative de régulariser doit venir du pécheur repentant. Si un fraudeur dispose d’un capital noir de 100 euros, mais ne régularise qu’à concurrence de 10, il n’achète sa tranquillité d’esprit que pour ces 10 euros. Ni le fisc, ni le parquet ne le poursuivront pour ces 10 euros. Mais les 90 euros restants ne sont pas à l’abri. Celui qui a uniquement régularisé ses revenus noirs de ces sept dernières années – le délai de prescription fiscal – doit se demander s’il peut encore dormir la nuit, car il ne s’est racheté que pour le montant qu’il a déclaré. C’est une nuance importante.

Le ministre Van Overtveldt avertit dans De Tijd que le vieil argent noir n’est plus sûr.

Le ministre explique clairement les possibilités pour récupérer un maximum de capital noir. Si on refuse de régulariser son capital noir complet, on porte plainte auprès de la Justice. Les fraudeurs doivent savoir qu’il est presque trop tard. La Justice peut traiter le blanchiment d’argent noir comme un crime continuel. La Justice peut aller plus loin : elle peut saisir tout votre argent noir. Et là, vous n’avez plus rien.

Faut-il une approche administrative ou pénale pour les dossiers de fraude ?

La concertation préalable entre le procureur et l’administration fiscale, ladite concertation una via, joue un rôle important. L’année dernière, nous nous sommes concertés à 261 reprises avec le parquet. En 2016, c’était encore 347 fois, en 2015 57. En 2015, c’était encore 60 fois, en 2016 124 fois. Et finalement, l’ISI comme « victime » est également impliquée dans des arrangements à l’amiable. En 2017, c’était le cas pour 25 arrangements à l’amiable conclus par les parquets. C’est tout de même une belle part ? L’année d’avant, il y a eu 46 cas.

Depuis peu, l’ISI reçoit systématiquement de l’information sur les Belges qui ont un compte en banque à l’étranger.

Notre plus grand défi, c’est de traiter toutes ces informations à temps et de manière valide. Quand nous utilisons des informations de l’étranger, l’enquête doit être clôturée dans les deux ans. C’est un catalyseur qui évite de laisser traîner les dossiers. Et nous ne les laissons pas traîner, c’est une priorité absolue de l’ISI.

Les informations de l’étranger – pareil pour les infos des fuites – ne sont que le début de l’enquête. Nous les confrontons à toutes les informations dont nous disposons en interne. Nous vérifions l’historique du contribuable : avons-nous déjà traité des dossiers sur lui ? Nous vérifions dans quelles entreprises il est impliqué. Nous confrontons aussi les informations à toutes les sources ouvertes que nous retrouvons sur internet. Ensuite nous tentons d’aboutir à une conclusion via notre enquête préliminaire : tel dossier vaut-il la peine d’être vérifié ? Il faut évidemment qu’il s’agisse de fraude grave. Notre tâche n’est pas de passer chaque année chez l’épicier du coin.

Entre-temps, combien ont rapporté les fuites et les informations étrangères?

En dix ans, il s’agit exactement de 611,23 millions d’euros. En 2008, nous avons reçu des informations relatives à des Belges ayant un compte en banque à la LGT Bank au Liechtenstein, ce qui a rapporté plus de 101 millions d’euros de demandes fiscales. Ensuite, il y a eu les dossiers HSBC qui représentent 492 millions d’euros. Et après, il y a eu les Offshore Leaks, UBS, les LuxLeaks, les Panama Papers, les Bahamas Leaks, et les Paradise Papers. 166 dossiers Panama Papers sont en cours de traitement. Pour les Paradise Papers, nous sommes en phase d’enquête préliminaire. Ce n’est pas parce qu’un nom paraît dans un article de journal que pour nous la taxation est prête. Je ne peux pas encore coller de montant sur ces dossiers.

Que pensez-vous des révélations publiées par le Consortium des Journalistes d’Investigation ?

J’en suis vraiment content. Je serais encore plus content si nous avions accès aux pièces sous-jacentes.

L’ISI dispose-t-elle de suffisamment de personnel pour accomplir ses tâches ?

En 2005, les services extérieurs de l’ISI comptaient 451 collaborateurs. Aujourd’hui, il y en a 596. Une hausse de 30% alors qu’au cours de la même période, le nombre de fonctionnaires aux Finances a baissé de 32 000 à 22 000.

Cela signifie-t-il que le gouvernement trouve la lutte contre la fraude grave vraiment importante?

J’ai travaillé pour les secrétaires d’État et ministres de cinq couleurs politiques: le MR, le FDF, la N-VA, le sp.a et le CD&V. Mes treize ans d’expérience m’apprennent qu’il y a une constante : renforcer l’ISI. Et je ne parle pas seulement de lui donner plus de personnel. Le gouvernement a souvent tenu compte de nos remarques et nous a permis d’améliorer nos possibilités légales.

Vous avez exercé deux mandats comme directeur de l’ISI. Qu’est-ce qui vous rend fier ?

Je suis fier des gens de mon équipe, du travail qu’ils font dans des circonstances ingrates, car tout le monde a un avis sur la fraude et comment il faut l’endiguer : dans le train, au café, au football, au parlement, dans le journal. C’est inimaginable. C’est comme pour l’équipe de foot nationale : il y a pour ainsi dire onze millions de coaches en Belgique.

Je suis fier aussi que les personnes de notre service ne cèdent pas aux difficultés des dossiers et à la pression procédurale exercée par les conseillers de la partie adverse. Mais c’est de bonne guerre.

Votre fonction a-t-elle changé votre regard sur la société?

Évidemment. Savez-vous ce qui me rend cynique? Que malgré toutes les possibilités offertes par différents gouvernements pour se réconcilier avec son passé fiscal, beaucoup de Belges n’ont pas jugé utile de le faire. Et ce sont généralement les mêmes Belges qui trouvent que l’état faillit au niveau de son organisation et de ses dispositions sociales.

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