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Pour l’historien Lode Wils, « la Belgique va s’écrouler »

En ce 11 juillet, l’historien spécialiste de la Flandre, Lode Wils nous dresse l’état des lieux du Mouvement flamand. Depuis le 26 mai, ce mouvement semble plus fort que jamais. Wils ne laisse pas de place au doute. « La Belgique doit être détruite parce que les Flamands veulent se venger. »

Lode Wils est non seulement l’historien le plus influent du Mouvement flamand, comme le dit son collègue gantois Bruno De Wever, mais aussi le plus productif. Il a également très mauvais caractère. Au cours de l’entrevue, Wils, âgé de 90 ans, nous regardera avec sévérité, élèvera la voix, s’excitera à quelques reprises et deviendra même tout rouge. Il a aussi très bien préparé l’interview.

Wils prend une pile de coupures de journaux. « Je vais vous lire ce que Bart Maddens, politologue, a écrit dans De Standaard deux jours après les élections. « Si la tendance de l’après-guerre se poursuit en 2024 (ou avant), les nationalistes flamands obtiendront facilement une majorité de sièges au Parlement flamand. Alors ils pourront proclamer leur indépendance. » Il nous lance un long regard. « À mon avis, il s’agit d’un désastre absolu. »

Il nous montre ensuite une interview de l’ancien chef de cabinet de Jan Jambon (N-VA) qui a la fin de l’année dernière déclare « J’espère que le pays deviendra ingouvernable »

Wils :  » Si le pays devient ingouvernable, vous ne pouvez pas appeler ça autrement qu’une catastrophe, n’est-ce pas ? Je ne sais vraiment pas comment vous pouvez y voir quelque chose de positif, sauf si vous êtes obsédé par l’idée que la Belgique devrait être détruite. J’étudie le Mouvement flamand depuis 67 ans. J’ai donc une vague idée du pourquoi certaines personnes seront heureuses quand la Belgique deviendra ingérable.

Pourquoi certains Flamands veulent-ils détruire la Belgique ?

Je vais vous lire ce que Hugo Schiltz, le leader de la Volksunie, a déclaré au Sénat le 2 juin 1993 en présentant son rapport sur la loi spéciale sur l’achèvement de la structure de l’Etat fédéral : « Quand on me demande si la Belgique continue à exister et si cette réforme n’est pas la salle d’attente du séparatisme, je réponds : « Je ne sais pas ». En ce qui concerne les Flamands, je sais que dans la mémoire collective d’une partie de notre peuple, il y a l’envie de se venger, de présenter la note pour plus d’un siècle de mauvais traitements digne d’une belle-mère, d’humiliation culturelle et parfois de punitions physiques. La Belgique doit donc être détruite parce que les Flamands veulent se venger. »

De quoi veulent-ils se venger exactement ?

Ce désir de vengeance s’est manifesté chez un certain nombre de militants, flamingants qui ont collaboré avec les Allemands pendant la Première Guerre et la Seconde Guerre mondiale. Ils furent punis pour cela après la guerre.

Pendant longtemps, il y a eu un mythe selon lequel l’État belge était impitoyable dans ce domaine.

C’est un mythe, comme vous le dites. Les collaborateurs n’ont pas été sévèrement punis parce qu’ils étaient trop nombreux. Dans d’autres pays et en Wallonie, les sanctions envers les collaborateurs ont été beaucoup plus sévères. En Flandre, ils ont également bénéficié d’une réhabilitation beaucoup plus rapide. Il n’y a pas d’autre pays en Europe où autant de collaborateurs qui ont été reconnus comme tel sont devenus des représentants du peuple, des sénateurs et même des ministres comme en Flandre après la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, les nationalistes flamands veulent  » se venger  » de cela.

Les 1,8 million d’électeurs de la N-VA et du Vlaams Belang ont-ils exprimé un vote nationaliste flamand ?

Je ne vise pas les électeurs lorsque je parle de vengeance, je parle des centaines de cadres qui sont la force motrice de la N-VA et du Vlaams Belang. De nombreux nationalistes flamands ont été poussés vers la politique, car ils veulent une révision du statut de leur famille.

Le Vlaams Belang et le N-VA appartiennent-ils à la même famille ?

C’est évident ! Il y a-t-il quelqu’un qui en doute ? Bien sûr qu’il n’y a pas une muraille de Chine entre les deux partis. Il existe des différences, mais il y a aussi des similitudes substantielles. Ils pensent tous les deux qu’ils servent la Flandre en divisant la Belgique. Ils ont tous le même objectif : parachever la Flandre, comme ils le disent eux-mêmes. J’appelle ça autrement : détruire la Belgique.

Que pensez-vous du fait que De Wever a parlé plusieurs fois au Vlaams Belang le mois dernier lors de la formation d’un gouvernement flamand ?

Bart De Wever est le meilleur politicien que nous ayons, et de son point de vue, il est surtout très agile. Sauf qu’il ouvre la porte au flanc droit et même à l’héritage moins bon, surtout fasciste, du nationalisme flamand. Les conversations entre la N-VA et le Vlaams Belang ne sont pas d’une nature telle qu’elles provoquent un grand ménage dans le Mouvement flamand.

Êtes-vous en faveur d’un cordon sanitaire ?

Le cordon est une bonne chose, je ne pense pas qu’on puisse gouverner avec les gens du Vlaams Belang. Entre-temps, ils se sont adaptés à plusieurs reprises. Le président Tom Van Grieken est devenu salonfähig, mais en même temps il demande à Dries Van Langenhove de venir. Je préférerais ne pas voir ça.

Les partis traditionnels perdent élection après élection.

Exactement, et ça ne me rend pas heureux. D’un autre côté… Quand je vois ce que fait le CD&V, je n’ai pas à regretter qu’il tombe, … parce que ce ne serait pas une grosse perte.

Revenons à la N-VA. Ce parti exigeait autrefois l’indépendance de la Flandre, mais il prétend aujourd’hui s’orienter vers le confédéralisme.

Mais c’est de la propagande ! Je suis d’accord avec Frank Vandenbroucke (SP.A) : le confédéralisme est un mirage. Quelque chose dont on parle, mais qui n’existe pas. Je vais citer Carel Gerretson, défenseur de l’idée d’une Grande Hollande : on indique seulement le premier arrêt de train au gens et non où l’on souhaite se rendre. La première gare de De Wever est le confédéralisme, mais bien sûr c’est l’indépendance flamande qui est le terminus. Le fait que la ministre présidente flamande Liesbeth Homans (N-VA) qualifie le drapeau belge de « chiffon belge », et que c’est ensuite qualifié de « blague », montre à quel point la haine contre la Belgique est forte. À cause de cette haine de la part de certains de nos concitoyens, devrions-nous rendre notre pays ingouvernable ? Et rêver que nous pouvons « compléter la Flandre » par une réforme définitive de l’État, pour laquelle nous avons besoin d’une majorité dans chaque groupe linguistique et des deux tiers de l’Assemblée entière ? Où proposons-nous plutôt une guerre civile de libération ?

Le Vlaams Belang a obtenu 18 % des voix, le N-VA 25 %. C’est 43% ensemble. Le séparatisme est devenu un mouvement de masse », dit Bruno De Wever.

Je n’y crois pas. Le séparatisme n’est pas un mouvement de masse, mais apparemment beaucoup de gens sont capables de choisir pour un parti qui le prône. En tant qu’historien, j’ai une explication à cela: La propagande du mensonge flamand a fait un excellent travail. La vision de l’histoire propagée par le Mouvement flamand s’est déjà répandue à tel point que toute notre population croit que la Belgique est née en 1830. Mais qui prétend que la France est née en 1789 ? Nous savons tous que la France est née au Moyen Âge et que cette proto-nation s’est transformée en nation par la révolution de 1789. Pendant 400 ans, la Belgique a été formée par Philippe le Bon en 1430 et transformée en nation par la Révolution brabançonne (1789) et la Révolution belge (1830). Ce fut le cas de tous les pays d’Europe, mais c’est seulement ici que l’on pense que la Belgique est sortie du ciel en 1830, a été créée de nulle part par les grandes puissances. C’est la meilleure illustration de la manière dont notre vision historique a été affectée par la propagande nationaliste flamande. Dans la propagande, l’histoire est toujours soigneusement déformée.

Le fait est que le vote en Flandre est très différent de celui en Wallonie. Pourquoi la Flandre vote à droite et la Wallonie à gauche ?

On doit chercher l’origine du côté de la Révolution française. Sous Napoléon, il était déjà établi que les désertions de l’armée et les refus d’obéissance à la conscription, à l’inscription et au tirage au sort pour le service militaire obligatoire étaient plus nombreux chez les néerlandophones que dans la partie francophone de la Belgique. En d’autres termes, la propagande révolutionnaire était plus appréciée par les francophones. En Flandre catholique, il y avait plus de démocratie chrétienne et de coopération entre les classes sociales, en Wallonie libérale, il y avait plus de socialisme et de syndicats belliqueux. Cette différence n’a cessé de croître.

Bart De Wever appelle cela les deux démocraties.

Dans un certain sens, c’est le cas, même si je préfère parler moi de deux cultures. Actuellement, les églises sont aussi vides en Flandre qu’en Wallonie, mais culturellement, la Flandre est beaucoup plus marquée par l’église et la démocratie chrétienne que la Wallonie. À mon avis, les deux ne sont pas à ce point éloignés que nous ne pourrions pas vivre ensemble. Mais tout le monde ne partage pas mon opinion. (rires), Mais la question est : comment vont-ils parachever la Flandre ? Que sont-ils prêts à abandonner pour y parvenir? J’ai lu dans le livre Vlaanderen voltooid de Hendrik Vuye et Veerle Wouters qu’ils veulent abandonner Bruxelles. Je pense que ce ne sera pas suffisant.

La Flandre devra payer plus que Bruxelles pour son indépendance ?

Écoutez, si la Flandre demande l’indépendance, elle devra donner quelque chose en échange pour que les francophones soient prêts à donner leur accord. En ce qui me concerne, il est tout à fait clair que Bruxelles ne suffira pas. Ne doutez pas qu’on demandera les six communes à facilités, où la grande majorité de la population est francophone. Il est aussi fort à parier que les francophones demanderont encore plus, comme une partie du Brabant flamand en cadeau.

Pour l'historien Lode Wils,
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Du Brabant flamand ?

Oui. L’Union des francophones est présente avec 36 candidats de tous les partis francophones, non seulement des six communes à facilités, mais aussi de Halle, Beersel, Sint-Pieters-Leeuw, Dilbeek, Vilvoorde, Zaventem, Tervuren et Tienen ! Cela signifie que les francophones adhèrent toujours à leurs anciennes exigences. Ils ont d’abord essayé de refranciser la Belgique, et quand cela n’a plus été possible, ils ont voulu garder au moins le Brabant flamand. Et ils s’y tiendront. Les négociateurs flamands devront non seulement céder de terres, mais cela coûtera aussi de l’argent. De Wever admet déjà que même avec le confédéralisme, nous devrons quand même payer pour les francophones. J’ai 90 ans, pour moi, cela n’a plus beaucoup d’importance. Mais je suis désolé pour mes petits-enfants que nous devions abandonner tant de terres et d’argent pour pouvoir parachever la Flandre, comme on dit.

Est-il inévitable que la Belgique s’effondre ?

J’espère toujours, avec la force du désespoir, qu’un certain nombre de Flamands deviendront plus sages, mais je prévois bel et bien que la Belgique va s’écrouler. Cela n’est pas une obligation, bien sûr. Il n’y a que la propagande nationaliste flamande qui présente cette indépendance flamande comme inéluctable. On dit, par exemple, que les Flamands devraient aspirer à l’indépendance, comme les Catalans, les Écossais et les Québécois. Omnis comparatio claudicat, toute comparaison est imparfaite, mais celles-là sont très imparfaites. La Catalogne date du IXe siècle, l’Écosse du Xe siècle, le Québec du début du XVIIe siècle. Il y a une Belgique protonationale depuis 1430, mais pas de Flandre. La Flandre, partie néerlandophone de la Belgique, n’est devenue un concept que par l’association, depuis 1830, dans le royaume unitaire de Belgique de l’ancien duché du Brabant, de l’ancien comté de Flandre et de Loo. La conscience d’un peuple flamand n’a donc été possible que dans l’Etat unitaire belge. La Flandre date d’après 1830 ! La Flandre est une création du Mouvement flamand !

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