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Pour Eric Van Rompuy, Geluck montre le vrai visage d’un certain milieu intellectuel francophone

Sa récente prise de bec télévisuelle avec « l’humoriste » Philippe Geluck conforte Eric Van Rompuy : l’impérialisme francophone, qui prend la Belgique pour « sa chose », est toujours vivant. Le député CD&V raille sa « bête noire » : « Que Joëlle Milquet arrête de nous féliciter : elle aggrave notre cas en Flandre. »

Le Vif/L’Express : Lors d’un débat politique sur un plateau télé francophone, le dessinateur Geluck a proposé de scinder la côte belge sur le ton de la plaisanterie, mais cela a eu le don de vous faire sortir de vos gonds. Votre jour de gloire est arrivé ?


Eric Van Rompuy : Ce clash verbal a engendré 1 250 hits sur Google. En Flandre, l’incident n’a soulevé aucun intérêt. Personne ne connaît ce monsieur Geluck. Et c’était mon cas. Cela prouve le fossé entre francophones et Flamands sur le plan culturel.


Que retenez-vous des réactions suscitées du côté francophone ?

Le sentiment de supériorité d’intellectuels francophones et le mépris affiché pour les Flamands et le néerlandais. Dans son spectacle inspiré par l’incident, Philippe Geluck explique qu’ « à peine 0,04 % de la population mondiale parle le néerlandais et que cette langue n’a d’autre but que d’emm… les francophones ». Ailleurs, on me qualifie de « personnage parmi les plus désopilants de notre théâtre politique », incapable de comprendre l’humour, de saisir les subtilités du français. Ce qui fait de nous, Flamands, des « domme boerkes » [NDLR : de « bêtes paysans »]. Cette façon de traiter les gens est comparable à ce psychiatre qui en vient à dire qu’il faudrait colloquer Bart De Wever. Cela ressemble aussi à ce qu’Yves Leterme déclarait à propos de francophones intellectuellement incapables d’apprendre le néerlandais…

On n’a pas beaucoup progressé depuis 1830 ?


On retrouve la vieille mentalité du « La Belgique appartient aux francophones », qui était le mot d’ordre du FDF dans les années 1960. Elle dégage une haine anti-flamande. Je passe pour le rédacteur d’un chapitre de Mein Kampf parce que je suis l’auteur, en tant qu’échevin de l’Aménagement du territoire, d’un règlement communal qui lie la vente de lotissements publics à Zaventem à des conditions linguistiques.

C’est le genre de mesures qui vaut à la Flandre de se faire épingler par l’ONU pour discrimination !

En quoi le refus francophone d’accepter de parler la langue d’une Région pour s’y intégrer aurait-il un lien avec les droits de l’homme ? Les Nations unies n’ont-elles à s’occuper de rien d’autre dans le monde ? Pour nous, Flamands, c’est énorme !


Francophones et Flamands ne sont pas près de vivre l’entente cordiale…

Le malaise est beaucoup plus profond qu’une crise politique. Philippe Geluck montre le vrai visage d’un certain milieu intellectuel francophone : il considère que le français est une langue mondiale, donc que c’est aux autres à s’y adapter. On peut y voir une frustration liée à l’émergence d’une puissance nationaliste flamande à l’échelle belge.

A vous entendre, même Charles Picqué (PS), ministre-président bruxellois, verserait dans le langage de guerre…

Il accuse la Flandre d’utiliser sa frontière linguistique pour empêcher les flux migratoires venus de Bruxelles de s’installer en périphérie flamande. « La Flandre est occupée à se racrapoter », dit Charles Picqué. C’est très dur à entendre, et c’est totalement injuste : en dix ans, 40 000 personnes ont quitté la Région bruxelloise pour s’installer en périphérie flamande. Vilvorde et Zaventem accueillent, chaque année, de 1 200 à 1 300 Bruxellois dont la moitié d’origine étrangère. Comment négocier un accord de paix communautaire dans un tel climat de guerre verbale ?

Vous n’y croyez plus ?

Même si on finira par avoir un gouvernement, une cassure s’est opérée. Faut-il encore rappeler que ce sont les francophones qui ont fait la N-VA, par leur refus total d’envisager une réforme de l’Etat en 2007, et par leur obsession sur le maintien de BHV ?

Cette obsession n’est-elle pas partagée du côté flamand de la frontière linguistique ?

Mon parti, le CD&V, n’a jamais été obsédé. Que la N-VA le soit, c’est autre chose : c’est un parti nationaliste, dont la finalité est le séparatisme.

Mais le CD&V emboîte le pas à la N-VA : Yves Leterme, Premier ministre sortant, ne montre-t-il pas l’exemple en ranimant le cartel à Ypres pour les communales de 2012 ?

Nous n’avons pas d’autre choix que de nous associer à la N-VA : on gouverne avec elle à la Région flamande, bientôt peut-être au fédéral. Je ne pardonnerai jamais à Joëlle Milquet d’avoir dit non au CD&V. Quand la présidente du CDH nous félicite pour la rupture du cartel avec la N-VA ou pour notre refus de voter l’urgence sur la scission de BHV au Parlement, elle nous rend suspects en Flandre. Voilà le résultat !

Comment s’en sortir ?

Que les francophones nous donnent une réforme de l’Etat sérieuse pour permettre au CD&V de survire et de retrouver sa crédibilité. C’est le seul moyen pour que les Flamands arrêtent de voter massivement pour la N-VA et disent : « Maintenant, c’est assez. »

Mais la Flandre donne l’impression de ne jamais en avoir assez. Pourquoi cette sixième réforme serait-elle la dernière ?

Je peux comprendre ce sentiment. Mais une réforme de l’Etat profonde, assortie d’une grande responsabilisation financière, de transferts importants de compétences et d’une scission de BHV, devrait éviter qu’on ouvre encore la boîte de Pandore. Même si cette réforme ne sera pas copernicienne.

N’est-ce pas ce que réclame le ministre-président flamand, le CD&V Kris Peeters ?

On n’arrivera pas au big bang fixé par les cinq résolutions du parlement flamand adoptées en 1999. Et qui réclament notamment la régionalisation de l’impôt des sociétés. Mais il faut atterrir. Ramener l’équilibre en Belgique par un grand accord communautaire qui pourra tenir six ou sept ans.

ENTRETIEN : PIERRE HAVAUX

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