Elio Di Rupo © DR

Pour Di Rupo, Michel n’ose s’opposer à De Wever, même pas pour protéger l’Etat de droit

« On connaissait la faiblesse du MR face à la N-VA. Ici, on se rend compte que même pour défendre notre Etat de droit, le premier ministre n’ose pas s’opposer à Bart de Wever », a réagi vendredi le président du parti socialiste Elio Di Rupo, alors que les nationalistes se sont lancés dans une campagne de remise en cause du pouvoir judiciaire.

Pour le président du PS Elio Di Rupo, la réaction de Charles Michel aux « propos scandaleux de Theo Francken et Bart De Wever » est « extrêmement molle et totalement insuffisante ».

Le secrétaire d’Etat à l’Asile et aux Migrations persiste à ne pas exécuter une décision de Justice obligeant l’Etat belge à octroyer des visas humanitaires à une famille syrienne et le gouvernement se penche actuellement, avec ses juristes, sur l’état de la situation. Pendant ce temps, le président de la N-VA met en garde le pouvoir judiciaire face à la tentation d’un « gouvernement des juges ».

Alors que le secrétaire d’Etat N-VA refuse d’exécuter des décisions de justice, alors que le président de la N-VA critique les juges « militants », « activistes », qui « sont des politiciens » et qui vont « jusqu’à donner un nouveau sens aux lois », le premier ministre « se limite à organiser des groupes de travail », s’indigne Elio Di Rupo.

Un gouvernement a le droit de contester une décision de justice et d’introduire un recours, rappelle le président du PS. Mais ici, le président de la N-VA, premier parti du gouvernement, « s’en prend aux juges en général et les présente comme des adversaires politiques. C’est une attaque inacceptable envers notre Etat de droit », fustige-t-il.

Plutôt que de « condamner sévèrement ces propos », Charles Michel dit « mollement » qu’il va analyser les options juridiques possibles en vue de défendre la politique du gouvernement, observe le président du PS. « Au lieu de rappeler à l’ordre son secrétaire d’Etat et le président du plus grand parti de son gouvernement, le premier ministre cherche des solutions pour les défendre. C’est inacceptable », dénonce-t-il.

Elio Di Rupo appelle Charles Michel à « se reprendre » et à « défendre véritablement la séparation des pouvoirs, notre Etat de droit, notre démocratie en rappelant Bart De Wever à l’ordre » et en exécutant ces décisions de justice.

La présidente de Groen dénonce la posture « dictatoriale » de Bart De Wever

Meyrem Almaci a dénoncé la posture « dictatoriale » de Bart De Wever qui a mis en garde vendredi face à la tentation du pouvoir judiciaire d’évoluer vers un « gouvernement des juges ».

« Bourgmestre, premier ministre de l’ombre, député et président de parti, Bart De Wever veut aujourd’hui également jouer au juge. On commence à percevoir les contours d’une représentation dictatoriale », a-t-elle observé.

Les Verts exigent du premier ministre Charles Michel qu’il vienne s’exprimer d’urgence à la Chambre afin de prendre ses distances avec cette campagne de la N-VA.

Theo Francken met en péril l’état de droit, dénonce l’UPM

L’Union professionnelle de la magistrature (UPM) s’inquiète vivement des propos tenus par Theo Francken, indique vendredi soir le président de l’UPM et procureur du Roi de Namur, Vincent Macq. « L’appel fait au pouvoir judiciaire de respecter la volonté d’un ministre (voire d’un gouvernement) plutôt que la loi est totalement inaudible dans un Etat de droit », affirme-t-il.

« Si le pouvoir judiciaire peut entendre que des décisions de justice provoquent parfois de la frustration dans le chef d’une partie au procès, il est inacceptable que cette frustration génère chez un responsable politique de haut rang des propos populistes et électoralistes indignes de la démocratie. Plus encore, la façon dont cette frustration est relayée par le parti de ce haut responsable, la N-VA, crée un profond sentiment de malaise chez tous les démocrates », déplore l’UPM.

L’UPM fait un rappel à l’ordre en trois points: les décisions judiciaires s’appliquent à tous y compris à l’Etat belge représenté par ses ministres, la séparation des pouvoirs interdit aux juges de prononcer des décisions non conformes à la loi de même qu’elle interdit aux pouvoirs exécutifs et législatifs de s’opposer à l’exécution de décisions de justice, et enfin l’élaboration de la loi est de la compétence du pouvoir législatif mais la résolution des litiges sur base de cette loi est de la compétence du seul pouvoir judiciaire.

Un membre du gouvernement insatisfait du contenu d’une loi peut enclencher un processus qui, au terme d’un débat démocratique, permettra le cas échéant de modifier cette loi. Mais « dans l’attente de cette éventuelle modification, la mission du pouvoir judiciaire est d’appliquer cette loi sous peine de faillir à ses missions et de mettre la démocratie en danger. Lorsqu’un membre d’un des deux autres pouvoirs lui conteste cette mission, c’est lui qui met alors en péril l’état de droit. »

Le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration Theo Francken persiste à ne pas vouloir octroyer de visas humanitaires à une famille syrienne d’Alep, malgré une décision de la Cour d’appel de Bruxelles condamnant l’État belge sous peine d’astreintes.

L’avocat de la famille n’a « pas d’autre choix » que d’exiger le paiement des astreintes

L’avocat de la famille syrienne à qui l’État belge refuse de délivrer des visas humanitaires, Me Thomas Mitevoy, exigera dès la semaine prochaine le paiement d’astreintes, a-t-il indiqué vendredi à l’agence Belga. « Theo Francken (le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration N-VA, NDLR) ne nous laisse pas le choix », a-t-il insisté, espérant encore que celui-ci soit fermement rappelé à l’ordre par le Premier ministre Charles Michel (MR).

Mercredi, la cour d’appel de Bruxelles a condamné l’État belge à exécuter une décision du Conseil du contentieux des étrangers du 20 octobre 2016 qui condamne les autorités à délivrer des visas ou laissez-passer à une famille syrienne qui veut fuir Alep. La condamnation est assortie d’une astreinte de 4.000 euros par jour de retard.

Theo Francken a cependant déclaré qu’il n’accorderait pas de visas humanitaires à cette famille, estimant que la décision de la cour d’appel de Bruxelles entrave son pouvoir discrétionnaire.

« L’arrêt est immédiatement exécutoire, quels que soient les recours introduits. A un moment donné, il faut être sérieux. On peut ne pas être d’accord avec une décision de justice, mais on l’exécute », réagit Me Mitevoy.

Les avocats du gouvernement fédéral ont pu défendre leur point de vue au cours de la procédure, et les arguments invoqués par Theo Francken pour ne pas se conformer à la décision ont été pris en compte, souligne-t-il aussi. « On dépasse les limites des fondements de l’État de droit. Je ne peux pas imaginer que le gouvernement puisse avaliser, se rendre complice d’une telle situation. Car c’est l’ensemble de l’État belge qui a été condamné. »

D’après lui, la décision judiciaire rendue mercredi n’est pas la première à obliger les autorités à délivrer des visas humanitaires. Le gouvernement fédéral a, dans d’autres cas, déjà exécuté de telles décisions grâce à la pression des astreintes.

Mais Theo Francken semble vouloir « engager l’argent des contribuables pour mener une croisade incompréhensible », déplore-t-il.

La famille syrienne en question, un couple et leurs deux enfants de 5 et 8 ans, vit actuellement dans l’attente à Alep. « Ces dernières semaines ont été extrêmement éprouvantes pour eux », rapporte leur conseil. Qui précise que ses clients veulent seulement venir en Belgique, et « n’ont rien à faire des astreintes ». « Ils m’ont dit que l’argent pouvait être versé à une association de charité en Belgique. »

L’idée envisagée par le gouvernement de placer le montant des astreintes sur un compte bloqué jusqu’à la décision de la cour de cassation n’a pas de sens, estime par ailleurs Mieke Van den Broeck, l’avocate flamande du ménage originaire d’Alep. « Ce n’est juridiquement pas possible. Le but d’une astreinte est d’exercer une contrainte. Il s’agit ici de l’argent des contribuables, donc pour Francken la pression n’est déjà pas très élevée. Mais si l’argent peut être placé sur un compte bloqué, il n’y a plus de pression du tout. »

Theo Francken a peu de chance d’obtenir gain de cause devant la cour de cassation, considère en outre Me Van den Broeck. « Je ne suis pas avocate de cassation, mais j’ai examiné avec soin l’arrêt et je ne vois pas d’erreur de droit. La cour de cassation devra déterminer si un jugement exécutoire peut être exécuté et s’il peut être assorti d’une astreinte. Si la réponse est non, alors je me demande ce que nous faisons encore ici! »

La cour de cassation a en effet uniquement la compétence de vérifier la légalité de l’arrêt. Or cet arrêt se borne à juger que la décision du Conseil du contentieux des étrangers du 20 octobre s’impose à l’Etat belge. Cette dernière décision, elle-même rendue à la suite d’un recours contre l’Office des étrangers, impose au gouvernement de délivrer des visas ou laissez-passer de trois mois aux membres de la famille. Elle a été contestée devant le Conseil d’Etat, qui fait office de cassation pour les juridictions administratives. Le conseil d’Etat non plus ne pourra pas se prononcer sur le fond du dossier, mais uniquement sur la légalité de la décision.

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