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Politique : pourquoi tant de haine

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Partis et candidats ne quittent plus le sentier de la guerre. Pensent-ils vraiment les outrances verbales qu’ils sont capables de déverser sur l’ « affreux de service » qui leur fait face ?

L’affaire doit être sérieuse, si même feu Saddam Hussein est de la partie. Cap sur le 25 mai, décrété jour de « la mère de toutes les élections. » La Belgique politique et médiatique ne recule devant rien pour grossir la portée de l’affrontement. Jusqu’à ressusciter le leader irakien et le cri de défi qu’il lançait en 1990 à la face du monde : la guerre du Golfe, la première du genre, devait être « la mère de toutes les batailles. »

Servie en boucle, la formule recyclée de l’ex-maître de Bagdad laisse Jos Geysels songeur. « Qui eût cru que le grand discours d’un dictateur connaîtrait un prolongement dans notre langue ? », s’est étonnée l’ex-figure de proue des Verts flamands. On en est là. 541 jours de guerre de tranchées entre le nord et le sud du pays, en 2010-2011, ont laissé des traces. Et étoffé le répertoire belliqueux des deux camps.

« Make Love, not War », implore sur son blog Sven Gatz au plus fort de l’impasse politique. Le député Open VLD est affligé : « C’est donc cela le paysage politique belge aujourd’hui : un front flamand à l’offensive face à un front francophone érigé en ligne défensive Maginot. Et un cratère bruxellois (Grozny ?) au milieu…. Depuis quand parlons-nous de plus en plus en termes de guerre : fronts, plans d’attaque, stratégie, tactique, bombe atomique, état-major, bazooka, etc. ? »

Paul Magnette, président du PS, invite à la retenue au détour d’une interview : « Les mots, c’est très important ! Le populisme gagne quand plus personne ne remarque qu’on a basculé dans un autre langage politique. » Celui, très répandu, de la provocation, de l’outrance, de l’escalade. « On n’est pas assez attentif, il y a trop de violence verbale. On parle des « Flamands », des « Wallons », des « Bruxellois », on nous enferme dans des catégories », relève Anne Morelli. L’historienne de l’ULB versée dans la critique historique a condensé en quelques « commandements » les mécanismes de propagande de guerre identifiés dans l’entre-deux-guerres par lord Ponsonby, un député travailliste anglais (1.) Pas sûr que les états-majors des partis et les candidats aient pris la peine de potasser ce petit manuel, à l’heure d’entrer en campagne. Inutile d’ailleurs : ils connaissent leurs classiques.
Florilège.

La N-VA charge les socialistes ? Paul Magnette fera front, au nom de tous les siens. « Sans tomber dans la provocation de bas étage, on ne peut pas laisser dire certaines choses. Chaque semaine, une nouvelle provocation. On dit que la Wallonie veut faire un Anschluss sur Bruxelles. Si on laisse dire l’Anschluss, on va laisser le niveau de civilité politique tomber. »

Eric Van Rompuy (CD&V) s’est étranglé en apprenant que les francophones mijotaient un plan B en plein marasme politique de 2011. « Les francophones préparent la fin de la Belgique. Ils utilisent un langage de guerre en s’inscrivant déjà dans la logique du plan B », fulminait le député régional.

Charles Michel préfère la guerre préventive. Le président du MR a mis ses militants en garde : « A gauche, ils vont nous attaquer, ils vont tenter de nous abîmer. » Autant dégainer le premier. Et pilonner à l’arme lourde les positions du PS encore muettes, au cri de « nous ne voulons pas de vos idées bolcheviques ! »

Charles Picqué (PS), ex-ministre président bruxellois, en a froid dans le dos : « La N-VA est un parti infréquentable dont l’attaque frontale contre Bruxelles et ses habitants s’inscrit dans une logique de destruction du pays. »

Bart De Wever, président de la N-VA, est chagriné de se voir rejeter à ce point : « Moi, je n’ai aucune exclusive. Lui, Maingain, m’accuse de racisme. Il refuse des salles à Bruxelles à des associations de familles flamandes. Je ne suis pas là pour humilier les francophones, les mettre à genoux. Je ne suis pas le Milosevic flamand . »

Sur ce dernier point, Yamila Idrissi (SP.A.), députée régionale flamande, a visiblement de gros doutes. Bart de Wever n’est-il pas à la tête d’un parti qui « veut faire de Bruxelles un deuxième Sarajevo » ? Sarajevo, la ville-martyre de la guerre des Balkans, victime d’un siège de trois ans qui a fait plus de dix mille morts entre 1992 et 1995.
Eric Van Rompuy (CD&V) s’est toujours insurgé à l’idée d’un élargissement de Bruxelles à la périphérie flamande. « Ce serait réaliser l’Anschluss d’Hitler. » Autrement dit, rééditer l’annexion forcée de l’Autriche par l’Allemagne nazie en mars 1938.

Olivier Maingain, en 2010, ne comprend plus le refus persistant du ministre flamand de l’Intérieur Geert Bourgeois (N-VA) de nommer trois bourgmestres francophones de la périphérie. A moins d’envisager l’inconcevable : « Ce sont des pratiques dignes de l’occupation allemande, lorsqu’on désignait des bourgmestres parce qu’ils étaient les alliés de l’occupant. »

Charles Michel, avant même de devenir président du MR, arrosait déjà le camp socialiste au lance-flamme. Avec une rare violence. « Que ce soit en Corée du Nord , à Cuba, en ex-URSS ou à Charleroi, l’ultrasocialisme n’a engendré que de la misère et la dénégation de la dignité humaine. »

Didier Reynders (MR) raffole de cette comparaison : « La Wallonie et la Corée du Nord sont les deux dernières régions socialistes au monde. En Wallonie, c’est comme en Corée du Nord : un parti, et même un homme. » Le paradis du socialisme wallon, avec Elio Di Rupo en Grand Timonier, est ainsi assimilé à l’un des pires régimes de la planète, une dictature que la communauté internationale accuse de laisser mourir son peuple de faim.

Tout n’est évidemment pas à prendre au premier degré. Il va de soi que De Wever plaisantait quand le nom de Di Rupo lui vient à l’esprit, à cette question posée sur un plateau télé il y a quelques semaines : « Quel président utilise des armes chimiques contre ses propres citoyens ? »

(1) A. Morelli, Principes élémentaires de propagande de guerre, éd. Labor

L’intégralité du dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Le langage guerrier utilisé en politique est l’objet du Forum de Midi de ce lundi 3 mars, de midi à 13heures sur La Première. Avec Pierre Havaux.

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