Alexander De Croo et Charles Michel à New York © BELGA

Politique : le poids (en voix) des  » fils de « 

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Une étude de la prestigieuse London School of Economics a chiffré un phénomène que la Belgique politique connaît bien : les  » fils de « . Et, vous savez quoi ? L’électeur semble préférer les héritiers…

Ils sont bleus, ils sont orange, ils sont rouges, ils sont jaune et noir, ils sont amarante, mais ils sont beaucoup plus rarement verts. Eux, ce sont ce Charles pour ce Louis, cet Alexander pour cet Herman, ce Mark pour ce Gaston, ce Melchior pour ce Melchior, ce Benoît pour ce Guy, ce Bert pour ce Vic, ce Frédéric pour ce Michel, cet Alain pour ce Guy, cette Laurette pour ce Gaston, ce Georges pour ce Bernard, ce Fabian pour cet Olivier. Ce sont ces héritiers qui colorent la Belgique politique depuis sa naissance, qui l’ont même pour certains fondée, et qui l’ont souvent réformée. Une preuve ? Des huit présidents de parti réunis autour d’Elio Di Rupo, à l’automne 2011, pour annoncer un accord sur la sixième réforme de l’Etat, « six d’entre eux disposaient de parents actifs en politique, le plus souvent au premier plan » relevait l’ancien conseiller de l’Institut Emile Vandervelde Jérémie Tojerow dans une carte blanche publiée par nos confrères de L’Echo en avril 2015. Une autre ? Selon le décompte entrepris par Le Vif/L’Express à partir des sites Internet des intéressés, au moins 33 députés sur les 150 – près du quart des Flamands, et plus du cinquième des francophones – que compte la Chambre des représentants peuvent se prévaloir d’ascendants élus à un niveau ou l’autre. Le phénomène est donc bien ancré dans nos habitudes politiques.

Il ne semble pas spécialement bien vu, dès lors qu’il pose la question du renouvellement de nos élites démocratiques, mais aussi qu’il suggère une forme de favoritisme dont profiteraient les « fils de ». « A l’instar de la concentration toujours plus grande du capital au fil des générations, un tel phénomène « d’accaparement » des fonctions politiques ne constituerait-il pas un retour en arrière, à l’époque où quelques familles se transmettaient l’essentiel du pouvoir de manière dynastique, puis par le biais du suffrage censitaire ? », s’interrogeait ainsi Jérémie Tojerow. C’est la question que s’est posée Brenda Van Coppenolle, aujourd’hui assistante au département de science politique de l’université de Leyde, au Pays-Bas. Sa thèse de doctorat, soutenue en 2014 à la fameuse London School of Economics s’intitulait « Les dynasties politiques et les élections ». Un chapitre y était spécifiquement consacré à la Belgique, et en particulier aux élections législatives de 2010, dont elle a examiné le profil de 1 271 candidats. 3 % de ceux-ci, soit une quarantaine, étaient des « membres junior » d’une dynastie politique, c’est-à-dire qu’un membre de leur famille avait été parlementaire avant eux. Sont-ils privilégiés ou pas ? Le pourcentage d’héritiers passe en tout cas significativement à 10 % de ceux qui ont été élus ce 13 juin 2010… « Un candidat dynastique a environ 3,25 fois plus de chances d’être élu qu’un candidat non dynastique », pose-t-elle.

Politique : le poids (en voix) des
© DR

Est-ce, se demande Brenda Van Coppenolle, l’effet d’un népotisme de mauvais aloi ? Pas nécessairement : les héritiers ne sont pas tendanciellement mieux placés sur les listes que leurs homologues sans pedigree. Ou bien d’un nom connu ? Pas plus. Car l’électeur ne s’y trompe pas : les candidats qui portent un patronyme qui compte ne sont plus populaires que lorsqu’ils partagent bien un lien de parenté. Pas de chance pour les simples homonymes…et tant mieux pour les fils et petit-fils d’une mère ou d’un grand-parent maternel. Serait-ce la conséquence d’une attention médiatique attirée par des jeunes héritiers d’une grande tradition politique ? Toujours pas, selon l’analyse de la presse flamande à laquelle s’est livrée la politologue : « le statut dynastique n’a aucun effet sur le nombre d’articles consacrés à un candidat, ni même sur le nombre de mentions de son nom dans la presse », dit-elle.

Quoi, alors ? C’est qu’au-delà du nom, l’électeur moyen semble tout platement attribuer spontanément sa confiance au représentant d’une famille qu’il connaît, et dont il estime qu’elle a fait ses preuves. Et cette confiance se traduit au moment du dépouillement, lorsque l’on compte les voix de préférence. Indépendamment de la place sur la liste, « l’avantage électoral des candidats dynastiques est important : ils reçoivent entre 17 et 25 % de voix depréférence supplémentaire », explique Brenda Van Coppenole « L’électeur », conclut-elle, « considère le statut d’héritier comme un indicateur de qualité du candidat ». Non sans avoir préalablement rappelé que, quel que soit leur âge, ces héritiers ont une plus longue expérience parlementaire que leurs concurrents sans ascendance, « en moyenne, de trois ans ». Et que ceux-ci ont 3,4 fois moins de chances d’avoir exercé un poste de ministre. L’avenir des enfants de Charles, de ceux d’Alexander, de ceux de Mark, de ceux de Melchior, de ceux de Bert, de ceux de Frédéric, de ceux d’Alain, de ceux de Laurette, de ceux de Bernard, de ceux de Fabian, et de ceux de tous leurs confrères n’est donc pas trop menacé. Qu’ils se rassurent.

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