Policiers dans les rues : un ras-le-bol compréhensible

Des milliers de policiers offusqués dans les rues. L’Etat reprend ce qu’il avait donné.

Le ras-le-bol des policiers est compréhensible. La perspective, pour certains, de devoir travailler huit années supplémentaires alors qu’ils escomptaient une pension à l’âge de 56 ans, bouleverse leurs plans de vie. Elle découle d’un arrêt de la Cour constitutionnelle qui a aligné le statut des policiers sur le moins offrant. Un coup de massue pour les requérants, le syndicat Sypol et une ASBL proche de la police locale d’Anvers, qui espéraient une décision inverse : un alignement par le haut du statut des ex-péjistes et des ex-policiers communaux sur celui des ex-gendarmes, plus favorable en matière de pension.

Encore une séquelle de l’affaire Dutroux… Une commission parlementaire d’enquête a attribué l’échec dramatique des enquêtes sur les enlèvements d’enfants, au milieu des années 1990, à la guerre des polices : l’expansionnisme de la gendarmerie face à une justice et à une police judiciaire mal organisées. Avec les accords Octopus de 1998, tous les partis démocratiques décidèrent de réunir les polices du Royaume dans un organisme « intégré » organisé à deux niveaux : le fédéral et le local. L’espoir était qu’à la prochaine génération, les policiers ayant bénéficié de la même formation et des mêmes opportunités auraient acquis la même culture de groupe et que c’en serait fini de la guerre des polices. Sans se douter que celle-ci est inhérente à la psychologie policière.

Le ras-le-bol des policiers est compréhensible puisque travailler plus longtemps bouleverserait leurs plans de vie.

Pour vaincre l’opposition plus que déterminée des gendarmes, des policiers communaux et des péjistes, le gouvernement Dehaene et son ministre de l’Intérieur d’alors, le socialiste flamand Luc Vanden Bossche, acceptèrent de gros efforts financiers. Il était entendu qu’on allait garder le meilleur de chaque statut. Tous les policiers devaient sortir gagnants de la réforme, à n’importe quel prix. Le gouvernement acheta littéralement la paix sociale, sans se soucier du fardeau que cela représenterait pour la collectivité. Aujourd’hui, la police intégrée, surtout la police fédérale, est un vaisseau à moitié enlisé. Près de 90 % de ses moyens sont consommés par les frais de personnel. La Belgique détient un record européen : 3,7 policiers pour 1000 habitants. Peu de policiers contestent, en privé, que leur pouvoir d’achat s’est alors fortement amélioré depuis la réforme des services de police, même s’il subsiste des poches d’inégalité entre d’anciens « ceci » ou « cela », des spécificités qui allaient s’estomper avec la nouvelle génération.

On sait que, devant la tornade sociale qui s’annonce (la manifestation de ce jour n’est qu’une répétition), la Cour constitutionnelle comme le gouvernement en affaires courantes sont prêts à « réparer » la décision litigieuse. Mais les policiers sont aussi dans la rue pour d’autres raisons : l’insécurité, le manque de matériel, le manque de recrutement, le rabotage de leurs « inconvénients » (primes), le manque de considération. C’est un grand corps malade au chevet duquel beaucoup de médecins pas toujours doués s’affairent. Les fonctionnaires de police ont la désagréable impression de payer pour une gabegie financière qui a d’abord sévi au sommet de l’état-major de la police fédérale et dans certains corps de police locaux (Anderlecht, Hasselt…). De fait, des enquêtes pour corruption ou abus de bien public sont toujours en cours, au rythme lent de la justice. Il faudrait qu’à tout le moins ces instructions débouchent sur des procès, éventuellement, des sanctions, car si les policiers doivent retrouver une motivation et un cap qui leur fait actuellement défaut, l’exemple doit venir d’en haut.

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