Ettore Rizza

Plus d’un million de soutiens au bijoutier niçois. Et toi, et toi, et moi ?

Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

Qui sont ces 1,5 million de personnes qui ont cliqué  » j’aime  » sur une page Facebook qui glorifie la justice privée ? Nos amis, vos amis. Parfois parmi les plus modérés. Troublant.

A l’heure d’écrire ces lignes, la page Facebook créée en soutien au bijoutier niçois qui a abattu mercredi dernier l’un de ses braqueurs comptait très exactement 1 557 356 mentions  » J’aime « . Plus d’un million et demi de personnes, donc, se sont émues que la justice française puisse s’intéresser à un commerçant, sans doute honorable, mais tout de même soupçonné d’avoir abattu un garçon de 19 ans. Manifestement dans le dos, alors que l’adolescent en question s’enfuyait sur un scooter. Tuer volontairement, sous le coup de la colère, un être humain qui ne menace pas votre vie, cela s’appelle une vengeance, cela s’appelle un meurtre. Que le parquet de Nice s’intéresse à l’affaire et tente de démêler le vrai du faux, cela s’appelle une enquête et c’est le fondement même d’une saine justice. Pourtant 1,5 million de personnes semblent s’en offusquer et clament (ou plutôt cliquent) par avance leur soutien à l’un des protagonistes de ce drame.

Sur le principe, rien de neuf. Chaque fait divers de ce type entraine son lot de réactions sur les réseaux sociaux. Les positives émanent souvent de personnes empathiques, déjà victimes elles-mêmes d’une agression. Parfois de citoyens sans histoire qui s’expriment sous le coup de la colère. De partisans d’une justice plus dure, d’adeptes de la peine de mort, de la loi du Talion ou encore de groupements d’extrême droite revendiqués. Sur Facebook, rien de plus facile que de  » liker  » distraitement une cause pour laquelle on n’éprouve qu’une sympathie nébuleuse et mal renseignée. Tout cela ne dépasse jamais le millier de réactions, en tout cas pas pour une affaire somme toute si tragiquement banale. La Belgique (sans parler de la France) en a déjà connu bon nombre.

Et donc 1,5 million de  » j’aime  » en quelques jours. Comme le souligne le site Rue 89, c’est plus que ceux récoltés jusqu’ici par les pages officielles d’une émission comme Le Petit journal de Canal + ou encore de l’ancien président français Nicolas Sarkozy. On a beaucoup glosé autour de ces chiffres. Se fiant aux statistiques que l’on peut trouver sur certains sites comme Social Bakers, certains ont mis en doute la réalité de ces clics. Vendredi, lorsque la page Facebook a connu son pic d’activité, le site spécialisé Social Bakers semblait indiquer qu’à peine 21 % de ces mentions  » j’aime  » provenaient de France, ce qui laissait planer de forts soupçons de supercherie. On le sait, il suffit désormais d’une poignée de dollars pour s’acheter des fans Facebook ou des « followers » Twitter par dizaines de milliers.

D’autres spécialistes des réseaux sociaux sont intervenus à leur tour pour souligner les limites de Social Bakers, et estimer au contraire que la grande majorité de ces  » j’aime  » proviennent de France. Ce qui ne prouve pas pour autant qu’ils soient tous l’oeuvre d’humains, certes. Qui croire ? Et que penser de ces 944 408 personnes qui  » en parlent  » ? Les programmes informatiques conçus pour cliquer automatiquement sur une page Facebook ne s’expriment guère en général. Troublant.

Tout aussi troublant que l’identité de ces  » amis  » dont Facebook nous apprend qu’ils apparaissent parmi la nuée de soutiens au bijoutier. Certains parmi les nôtres sont bien connus pour leurs positions dures en matière de sécurité. D’autres, en revanche, ont toujours montré dans leurs commentaires une certaine modération. Les rangers dans le camp des  » fous de la gâchette  » ou des électeurs de l’extrême droite serait absurde. Pas comme pour cette dame dont nous tairons l’identité qui s’est fendue de ce tweet délicat :  » Moi j’ai liké jusqu’à ce que j’ai vu que le bijoutier était en fait un bougnoule qui a tué un mec qui s’appelait Anthony  » (le bijoutier niçois est d’origine libanaise)…

Non, il y a là un phénomène étrange qui mérite d’être étudié, décortiqué, décodé. A tête reposée. Certainement pas à chaud sur les réseaux sociaux.

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