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Plus belle la vie sans le MR…

Olivier Maingain et les siens veulent s’en convaincre : le FDF sans le MR, ce ne peut être que du bonheur. En persuader l’extérieur est une autre paire de manches. Désormais mis dans le même sac que les exaltés de la N-VA, pressé de faire son trou en terre wallonne, le parti francophonissime est au pied du mur. Ça passe ou ça casse.

« Comme cela fait du bien de se retrouver entre nous. J’ignore pourquoi, mais il me semble que nous sommes déjà plus nombreux… » Il garde la pêche, Olivier Maingain. Sous des dehors de force tranquille, le dynamisme est communicatif : plus de 600 militants FDF répondent au quart de tour, en ovationnant comme un seul homme leur président. Dimanche 9 octobre, le centre culturel d’Auderghem a fait salle comble : le rendez-vous sent le retour aux sources, après dix-huit ans d’intermède MR. Les Fédéralistes démocrates francophones ont la mine de vieux ados tout étonnés de se retrouver seuls, comme des grands. Un brin excités d’avoir quitté le nid MR et de voler à nouveau de leurs propres ailes. Même pas peur : à la tribune, les pointures du parti, Maingain, Gosuin, Clerfayt, Thiéry, donnent le ton.
En réalité, ça crâne et ça craint un peu au FDF. Ce n’est pas tout de chauffer une salle bruxelloise. Il va falloir aussi assurer sur les bancs de l’opposition. Depuis le dernier rang de l’hémicycle à la Chambre, où le trio de députés FDF a trouvé refuge dans l’espace dévolu aux quinze autres élus MR. Olivier Maingain, Bernard Clerfayt, Damien Thiéry s’y serrent déjà les coudes, mais tardent à faire acter leur divorce avec le Mouvement réformateur : c’est que la rupture officialisée devrait plomber les moyens d’exercer leur fonction parlementaire… Ce sera bientôt le grand oral à la Chambre. Avec ses premières joutes contre le prochain gouvernement et ses accords institutionnels rejetés par le FDF. Dur, dur…

Se déscotcher de la.. N-VA

D’un coup, BHV a rapproché Bart De Wever et Olivier Maingain. Ces deux grands esprits ont fini par se rencontrer dans un refus du sort réservé à l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Le parallèle risque de sauter aux yeux, dans la fièvre des débats : le FDF ne serait somme toute que la réplique francophone de la N-VA. Ni plus ni moins qu’un parti d’exaltés et de dangereux jusqu’aux-boutistes. L’assimilation fait bondir Didier Gosuin : « Respecter les droits des gens, ce n’est pas être extrémiste. Défendre la démocratie et la solidarité intrafédérale, ce n’est pas être extrémiste. Respecter la parole donnée aux électeurs, ce n’est certainement pas être extrémiste. Les FDF ne sont pas des extrémistes ! » a martelé le chef de groupe FDF au parlement bruxellois, au congrès d’Auderghem. Il ne faisait là que prêcher des convaincus. Le danger reste entier : « Le parallèle entre le FDF et la N-VA, établi de longue date en Flandre, gagne subitement du terrain dans le sud du pays depuis la rupture du MR. Alors que le FDF d’aujourd’hui n’est pas différent d’hier, son détachement du MR introduit sur le plan politique une symétrie parfaite entre le nord et le sud du pays : deux partis socialistes ; deux partis libéraux ; deux partis d’origine chrétienne ; deux partis écologistes ; deux représentants d’une droite décomplexée : la LDD et le Parti populaire ; deux formations d’extrême droite : le Vlaams Belang et, quoique moribond, le FN ; enfin, la N-VA avec, en regard, de manière quasi mécanique, le FDF désormais pris isolément », décode Vincent de Coorebyter, directeur général du Crisp. Le voisinage a sa logique : « En se voulant les meilleurs défenseurs des intérêts de leurs communautés respectives, ces deux partis peuvent passer jusqu’à un certain point pour des partis nationalistes. » La formation de De Wever peut s’accommoder de l’étiquette : « Etre un parti nationaliste en Flandre n’a rien d’infamant. » En revanche, la formation d’Olivier Maingain ne peut qu’en souffrir : « Ce profil ne s’inscrit pas du tout dans la tradition du combat francophone, qui ne se veut pas un combat nationaliste. »

Se faire bien comprendre

Casse-tête : comment éviter que flamingants et francophonissimes ne soient mis dans le même sac, tout en capitalisant sur son core business ? C’est d’abord sur le terrain communautaire que l’opposition FDF est attendue au tournant. Déjà, les ténors donnent le ton : PS, MR, CDH, Ecolo, ces « capitulards » francophones en prendront pour leur grade. La N-VA ne tiendra pas un autre langage, mais ciblé sur le CD&V, le SP.A, l’Open VLD et Groen ! C’est sûr, l’hémicycle de la Chambre regorgera de traîtres : à la cause flamande ou au combat francophone, au choix. Le camp des « vendus » se fera un plaisir de relever la similitude des imprécations. Tout l’art de la rhétorique FDF sera de se donner le beau rôle. « Alors que la N-VA milite pour réduire drastiquement les droits des francophones, le FDF entend les défendre, mais sans vouloir diminuer les droits des Flamands. Seul bémol : la représentation flamande garantie au parlement bruxellois, que le FDF considère comme la rupture du principe démocratique fondamental, un homme = une voix », relève de Coorebyter. Le FDF doit marquer sa différence mais avec délicatesse, sous peine de s’enferrer dans une stratégie d’isolement politiquement suicidaire : avoir raison tout seul est rarement payant. « Il faudra aussi tenir compte des stratégies d’alliances, des positionnements en vue des élections communales de 2012 et du scrutin régional de 2014 », souligne Jean-Benoît Pilet, politologue à l’ULB. Premier test programmé à la Chambre : le FDF devra y gérer au grand jour la rupture toute fraîche avec le MR. Maingain n’entend pas commettre l’irréparable : « On ne va pas renier tout ce qu’on a fait avec le MR et tirer un trait sur 18 ans de vie commune. » On n’est jamais trop prudent.

Se faire adopter des wallons

Voler au secours des droits des 150 000 francophones de Flandre, faire corps avec trois bourgmestres francophones non nommés en périphérie flamande : c’est très joli, mais un peu court. Et fort éloigné des préoccupations du Wallon moyen. Député- bourgmestre non nommé de Linkebeek, Damien Thiéry en a fait l’expérience sur le terrain : « 99 % des gens en Wallonie n’ont pas trop compris le problème BHV. » Gênant pour une formation qui ambitionne de déborder son pré carré bruxellois pour aller labourer en terre wallonne. Parler d’autre chose, avoir et dire son avis sur tout : le réflexe va devenir vital. Conseillère communale et présidente du FDF de Sambreville, Monique Félix a fait passer le message en faisant ses premiers pas à la tribune du parti : « Le FDF devra convaincre les Wallons qu’il n’est pas seulement un parti bruxellois et de la périphérie. En Wallonie aussi, il devra casser l’image d’un parti amalgamé à la N-VA. »
Maingain prend donc son bâton de pèlerin. Mardi 18 octobre : le président du FDF a quitté son biotope naturel pour s’aventurer un soir en terre montoise. BHV, la périphérie, le FDF, expliqués aux nuls ? Surtout, il faut dissiper l’impression de l’homme de la capitale qui vient éclairer les provinciaux. Maingain s’y emploie. « Je ne fais pas partie de ces Bruxellois qui snobent la Wallonie ou donnent des leçons aux Wallons. » Un quidam s’amuse : « Le FDF en Wallonie, c’est un peu comme le Rassemblement wallon qui aurait débarqué à Bruxelles. » Ce soir-là, une cinquantaine de personnes, plutôt d’âge mûr, se laisse bercer par les classiques du président : nationalisme flamand, main basse de la Flandre sur Bruxelles, les thèmes parlent à l’auditoire manifestement averti et chatouilleux sur le sujet. Pas sûr que cet échantillon montois soit représentatif du pays réel en Wallonie. C’est à peine si le président du FDF est titillé sur le grain de sel qu’il compte concrètement apporter dans les affaires wallonnes. « Tout ce qui nous séparerait nous appauvrirait. » Son message est tout trouvé : Wallons et Bruxellois, même combat dans l’adversité.
« Le FDF doit impérativement habituer les médias à sa crédibilité, et à se faire entendre sur des terrains où on ne l’attend pas forcément. Il doit casser son image réductrice dans un espace territorial, la Wallonie, qui lui est encore largement étranger », constate Vincent de Coorebyter. Maingain fixe un premier rendez-vous aux Wallons : janvier 2012, pour un congrès doctrinal. Mais la mue sera longue, et le retard du FDF sur la N-VA est criant : « Le parti de Bart De Wever n’est pas seulement un parti au profil communautaire mais aussi un parti généraliste, conservateur de droite. Côté FDF, c’est nettement moins clair : quel est son point de vue exact par rapport à la Région wallonne ? On ne perçoit pas encore le degré de cohérence du FDF dans ce contexte : il doit redéfinir son profil, notamment socio-économique et budgétaire. Et cela prendra du temps », prévient Jean-Benoît Pilet.

Se faire une place

« Nous avons beaucoup à dire, aussi, sur les thèmes sociaux et économiques », assure le président du FDF. Au congrès d’Auderghem, le maïeur de Schaerbeek, Bernard Clerfayt, a annoncé la couleur : le toujours secrétaire d’Etat aux Finances, mais déjà les pieds dans l’opposition, prend une option sur le terrain de la fiscalité verte et de la rigueur budgétaire à visage humain. Le FDF a quitté le MR en emmenant le libéralisme social dans ses bagages. Maingain esquisse la touche finale : haro sur la malgouvernance publique en Wallonie. « Le FDF va pouvoir davantage s’exprimer sur des terrains que s’appropriait jusqu’ici le MR : le socio-économique, le budgétaire, l’immigration. Le FDF retrouve une liberté de parole, plus large même que celle de la N-VA qui reste au pouvoir dans le gouvernement flamand. Le parti d’Olivier Maingain peut profiter d’une opposition franche et d’une entière liberté de critique », considère Vincent de Coorebyter.
La tuile : éjectés de la partie au fédéral, les Ecolos viennent obstruer la fenêtre de tir qui s’ouvrait sur le prochain gouvernement. Le boulevard que le FDF rêvait d’emprunter seul dans l’opposition se rétrécit. A ses côtés, les verts donneront aussi de la voix sur l’environnemental, le socio-économique, l’immigration. Consolation pour le FDF, Ecolo devra se modérer dans ses propos : son apport à la réforme de l’Etat, sa présence dans les majorités en Wallonie et à Bruxelles l’obligeront à une certaine retenue.

Se faire entendre

Pour paraître crédible, il faut être d’abord audible. La lutte s’annonce inégale, sous les projecteurs de la Chambre, tant la supériorité numérique de l’adversaire est écrasante. Vingt-sept députés N-VA vont peser de tout leur poids sur les débats. Eclats de voix, chahuts organisés : les Jambon, Weyts et autres Bracke seront en force pour assurer le spectacle. Le FDF, combien de divisions ? A distance respectable de la force de frappe nationaliste flamande, les trois députés FDF devront chercher à exister. « Le rapport de force est différent. La N-VA pèse neuf fois plus que le FDF, elle s’exprimera au nom du premier parti de Flandre et pourra se présenter comme son porte-parole légitime », relève le directeur général du Crisp. Pas question pour Maingain et ses deux compagnons de prétendre à un tel statut côté francophone. Il faudra qu’ils se distinguent sans outrance, sans tomber dans le piège de la provocation qui pourrait leur être tendu. Une chance dans ce malheur : le maître du genre, Bart De Wever, sénateur de son état, brillera par son absence à la Chambre pour narguer et faire sortir de ses gonds son meilleur ennemi. Maingain en tête, le FDF sait qu’on ne lui fera pas de cadeaux.

PIERRE HAVAUX

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