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Planification de l’offre médicale: techniquement performant, mais finalité peu claire

Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) publie ce jeudi une évaluation du modèle de projection des effectifs médicaux utilisé par la Commission de planification de l’offre médicale, effectuée à la demande de la Cellule de planification des professions de santé (du SPF Santé publique).

Dix ans après sa première évaluation du système, il pointe quelques éléments d’amélioration mais s’interroge surtout sur la finalité d’une planification stricte alors que les projections devraient plutôt définir des tendances.

La Commission de planification effectue ses projections grâce à un modèle mathématique couplant les données « PlanCAD », soit celles du cadastre du SPF Santé publique (médecins diplômés et en ordre d’exercice en Belgique), de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami, remboursements) et du Datawarehouse marché du travail et protection sociale (données variées telles que le lieu de pratique ou le statut social).

Le KCE a recueilli les avis et critiques de 40 représentants des institutions du monde politique (fédéral et communautaire), du secteur (organisations professionnelles, syndicats, mutuelles, associations de patients) et de l’enseignement supérieur sur ce modèle.

La principale difficulté avancée par ces parties prenantes (stakeholders) concerne le calcul d’équivalents temps pleins (ETP), utilisés pour pondérer les résultats du modèle mathématique. Les médecins étant généralement indépendants, le niveau d’activités correspondant à un ETP est extrapolé à partir des données de l’Inami. Le problème? L’activité des 45-54 ans est prise comme référence, « ce qui ne constitue pas un reflet suffisamment nuancé du temps de travail réel des professionnels », selon le KCE. Il n’est pas prouvé que cette activité soit la plus optimale. « Elle peut refléter une sursollicitation de certains médecins ou une production élevée d’actes médicaux non justifiés. »

Par ailleurs, cela occulte les nouveaux modes d’organisation du travail, comme les cabinets collectifs, et d’importantes variations en fonction de la population prise en charge (urbaine ou rurale, milieux défavorisés, patients âgés ou chroniques…).

L’obligation de solliciter une autorisation à chaque couplage et analyse des données est aussi à déplorer. Cela « retarde le processus ». Les données utilisées pour le PlanCAD doivent au contraire être « les plus récentes possibles et le couplage (doit être) plus fréquemment effectué, tous les ans de préférence ».

La répartition territoriale des relevés pourrait aussi être affinée. Les réalités peuvent varier entre les communes d’une même région ou province. Le rapport recommande également de distinguer le domicile du médecin et son lieu de pratique, qui ne sont pas toujours les mêmes.

Autre critique, le modèle se base sur la consommation de soins passée pour estimer l’offre de médecins nécessaire pour répondre à la future demande. Or, cela ne tient pas compte, notamment, des soins qui n’ont pas été consommés, par exemple pour des raisons financières ou d’accessibilité.

Dans sa planification, la Commission propose un scénario de base, fondé sur une politique inchangée et des tendances historiques et plusieurs scénarios alternatifs, au cas où une tendance se romprait. Ces derniers gagneraient à injecter des « tendances en évolution rapide » comme l’intensification de la mobilité européenne ou des évolutions liées au vieillissement de la population et à la migration, suggèrent les parties prenantes.

Enfin, les objectifs poursuivis par le modèle mathématique, techniquement performant, sont globalement remis en cause. Les projections devraient avoir pour but « de définir ou prédire des tendances actuelles et émergentes afin de permettre aux décideurs politiques de les anticiper ». Or, elles sont plutôt utilisées pour livrer des estimations quantitatives exactes, constate le KCE.

La méthode scientifique n’a de sens que si « les objectifs (…) à atteindre sont explicites, si l’on se donne les moyens de les atteindre et si les avis scientifiques sont effectivement suivis par les décideurs politiques ». Ce qui ne serait pas toujours le cas. La finalité peut alors être remise en question. « Y a-t-il encore un sens à essayer de planifier de manière aussi stricte à l’intérieur de nos frontières, dans un monde aussi ouvert et mobile que celui de l’Union européenne? « , s’interroge le KCE pour qui il « n’existe pas un nombre idéal de médecins à atteindre ».

Planifier l’offre médicale, comment ça marche ?

La planification de l’offre médicale sert notamment à fixer chaque année les quotas des numéros Inami, qui contingentent le nombre d’étudiants admis à suivre des études en médecine ou en dentisterie.

La Commission de planification de l’offre médicale, organisme consultatif créé en 1996, axe ses projections mathématiques sur l’offre. Elle part de l’effectif actuel (stock) de professionnel pour prédire le stock futur, tout en tenant compte des flux entrant et sortant. Le modèle mathématique intègre également une composante « demande » incluant l’évolution de la population belge et de la consommation des soins.

Un scénario de base est ainsi constitué, fondé sur les tendances historiques et une politique inchangée. Des scénarios alternatifs sont également imaginés. La longue formation des futurs médecins couplée aux avancées technologiques, l’évolution de la démographie ou des réglementations rendent l’exercice de planification très difficile.

Pour le KCE, cela doit « définir ou prédire des tendances actuelles et émergentes afin de permettre aux décideurs politiques de les anticiper ». Or, ces derniers en attendent plutôt des estimations quantitatives exactes, relève-t-il.

Les projections sont notamment utilisées pour fixer les quotas, soit le nombre d’étudiants en médecine qui obtiendront un numéro Inami à l’issue de leurs études. Le gouvernement fixe donc ce nombre six ans à l’avance et les Communautés peuvent, depuis la sixième réforme de l’Etat, l’adapter à leur situation.

Pour le KCE, « la garantie d’une offre adéquate de professionnels de santé est un facteur crucial de la politique des soins de santé. » Une offre insuffisante conduirait à limiter l’accessibilité aux soins de santé ou à solliciter davantage les effectifs, avec éventuellement une baisse de la qualité des soins prodigués et de la vie des professionnels. Une offre excédentaire conduirait, elle, à des dépenses inutiles en formation ou à une baisse de la qualité des soins à cause d’un manque de pratique.

Le KCE reste toutefois critique par rapport à la finalité de ces projections, qui doivent être accompagnées d’objectifs « à atteindre explicites, (de) moyens pour les atteindre et (être) effectivement suivies par les décideurs politiques ».

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