Mathilde El Bakri

Place Lumumba : un premier pas vers la reconnaissance du peuple congolais et de son combat pour l’indépendance

Mathilde El Bakri Députée bruxelloise et tête de liste PTB à la Ville de Bruxelles

Le 23 avril, la ville de Bruxelles a voté à l’unanimité pour l’instauration d’un square au nom de Patrice Lumumba. Le PTB soutient cette décision.

Patrice Lumumba a été le premier ministre démocratiquement élu par le peuple congolais en 1960. Ce tout jeune Premier ministre souhaitait que le Congo soit réellement indépendant pour que les richesses de son pays servent la population. Il voulait mobiliser toute cette dernière avec une vision de justice sociale, d’unité du peuple africain et de lutte contre l’ethnicisme tel qu’il l’expliquait lors de son discours inaugural : « Ensemble mes frères, mes soeurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail. Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir lorsqu’il travaille dans la liberté, et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique toute entière. »

Mais malheureusement, le gouvernement belge ne comptait pas se séparer des richesses du Congo. La Belgique acceptait une indépendance politique de façade mais certainement pas de perdre ses intérêts économiques sur place. C’est l’invention du néo-colonialisme. Et pour y arriver, à peine 10 jours après l’indépendance, elle va non seulement s’ingérer dans les affaires du pays en soutenant la tentative d’indépendance du Katanga, la province la plus riche du pays, mais elle va également envoyer jusqu’à 11.000 militaires au Congo.

Dans la situation difficile qui va en résulter, Patrice Lumumba tentera de se battre pour garantir l’indépendance de son pays tout en tentant de sauver des vies comme à Matadi en juillet 1960 où il interviendra sur place pour faire libérer des otages belges alors que dans le même temps l’armée belge bombardera la ville portuaire, et ce après que les otages ait été libérés.

Lumumba finira assassiné quelques mois plus tard avec l’aide des autorités belges. Il sera remplacé par le dictateur Mobutu, soutenu par les USA et la Belgique. Ce dernier mettra en place au service de l’Occident une dictature et un pillage qui plongeront la population congolaise dans la misère.

Cette ingérence et ces tentatives de pillages, émanant notamment de la Belgique, le Congo doit encore s’en défendre encore aujourd’hui, 20 après la chute de la dictature néocoloniale.

Depuis les années 1960, pour tous les peuples opprimés, Patrice Lumumba est devenu une icône. Aujourd’hui encore, il est un héros pour ceux et celles qui luttent contre le néocolonialisme. Une place Lumumba à Bruxelles est d’abord un moyen d’exprimer une vision internationaliste et de solidarité avec les combats de ceux qui s’opposent à l’injustice. Lumumba représente le droit à l’autodétermination de chaque peuple face à la domination coloniale ou néocoloniale.

Mais une place Lumumba c’est aussi une manière de reconsidérer notre passé.

Chez nous l’image de Lumumba qui était cultivée était celle d’un monstre, d’un sauvage, d’un homme violent et anti-blanc. Alors que le gouvernement belge se présentait comme un gouvernement agissant dans la mesure.

Il est donc important que nous abordions l’histoire de la Belgique au Congo avant et après 1960 en nous affranchissant de cette propagande coloniale. Non seulement nous devons rappeler que Lumumba était un militant dévoué à la cause de l’indépendance et de la justice sociale. Mais nous devons également rappeler les violences de l’Etat colonial et des interventions belges après l’indépendance. Par exemple, dans son dernier ouvrage[1], l’historien Ludo De Witte explique que le gouvernement belge a toujours fait passer les intérêts économiques de ses entreprises avant la sécurité des civils. En 1964-65, ce sont les bombardements des villes rebelles par l’armée congolaise, commandée par des officiers belges, qui provoqueront des violences vis-à-vis des Blancs habitant les villes bombardées. De manière générale, la violence et l’ingérence ont été chaque fois utilisées par le gouvernement belge pour garantir ses droits au Congo.

La place Lumumba participera ainsi de la remise en question des décennies de propagande coloniale. Avec d’autres initiatives, une telle place nous permettra de regarder notre histoire droit dans les yeux. Comment est-il encore possible qu’aujourd’hui en Belgique les seuls monuments historiques de la colonisation sont ceux qui glorifient l’oeuvre coloniale, comme la statue de Léopold II, la rue des colonies ou le buste d’Emile Storms.

Enfin, la place Lumumba pourra jouer un rôle dans la lutte contre le racisme qui divise notre société. Le racisme comme idéologie a été développé au 19e siècle pour justifier l’exploitation des pays du Sud. Il fallait considérer les Africains comme des sous-hommes pour justifier toute les violences nécessaires pour les voler. La mise à l’honneur d’un dirigeant de la lutte anticoloniale fait partie de notre combat pour faire disparaître ce racisme. Aujourd’hui, cette idéologie continue de gangrener notre société et de diviser les travailleurs et les communautés. Pourtant c’est ensemble que nous allons construire une société à la mesure des gens et pas à la mesure des multinationales et du 1% le plus riche.

Pour le PTB, le combat et la victoire obtenue pour la place Lumumba reflètent aussi notre vision de la démocratie. Depuis des années, plusieurs associations se battent pour la création de cette place Lumumba. Il y a déjà 10 ans, des rassemblements avaient eu lieu. Le conseil communal d’Ixelles a été interpellé en 2013. Et en 2015 des centaines de personnes sont venues écouter un sosie de Lumumba refaire son célèbre discours du 30 juin 1960. Rappelons également que chaque année, des rassemblements ont eu lieu pour revendiquer cette place Lumumba.

Pourtant, en décembre 2015, le collège de la ville de Bruxelles voulait organiser un hommage à Léopold II, hommage qui passait sous silence tous les morts de l’entreprise coloniale. C’est sous la pression des mêmes associations et de la population qu’ils ont dû faire marche arrière.

Ici aussi, on voit que la mobilisation paie : PS et MR ont dû céder à la pression populaire. C’est la lutte des progressistes et le débat public au sein de la population qui ont fait bouger très concrètement les lignes. Cette place Lumumba est aussi une victoire démocratique.

[1]Ludo De Witte, L’Ascension de Mobutu Comment la Belgique et les USA ont fabriqué un dictateur, ed. investig’action, 2017

A lire : L’imposture Lumumba, par Baudouin Peeters, Managing Director Dynamedia, société de conseils active en Belgique et au Congo

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