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Pierre Mertens : « J’espère réhabiliter l’existence de Véronique Pirotton »

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

L’épouse de Bernard Wesphael, tragiquement disparue le 31 octobre, était une amie de Pierre Mertens. Dans un texte rédigé d’un trait, pour Le Vif/L’Express, le week-end des funérailles de la jeune femme, l’écrivain dit son chagrin et crie sa colère. Il s’en explique.

Qu’est-ce qui vous a décidé à prendre la plume, dans cette affaire ?

Deux choses. D’abord, et je ne fais pas d’amalgame, j’ai été extrêmement impressionné par l’affaire Cantat-Trintignant. A l’époque, en 2003, beaucoup d’intellectuels, d’artistes et de gens de la scène se sont regroupés autour de Bertrand Cantat pour dire « Bertrand, on est avec toi ; on t’aime bien ; on reste proche, etc. » Et j’ai trouvé ça hallucinant, parce que l’acte avait été d’une brutalité inouïe mais, n’empêche, il fallait « raison garder », il fallait « être nuancé », ou « les torts étaient sûrement partagés », « elle l’avait sûrement cherché »… Qu’est-ce qu’on n’a pas insulté cette pauvre Marie Trintignant ! Et encore, là, les protagonistes étaient à égalité, si vous me permettez l’expression. Egalement célèbres.
Dans le cas de Véronique, c’était plus complexe : elle ne réprésentait rien pour énormément de gens, lui avait un nom, elle pas. Alors, ce déséquilibre et le fait que celui-ci conduise à donner exclusivement la parole, en quelque sorte, à Monsieur Wesphael et à la retirer à cette femme, je trouvais que ça créait un climat totalement malsain. Beaucoup jugeaient sans savoir de qui il s’agissait.

Beaucoup rappellent tout de même la présomption d’innocence dont doit bénéficier jusqu’ici Bernard Wesphael.

Oui, j’en suis fort aise. Mais il y a présomption des deux côtés ! Quand on présume qu’elle pourrait s’être suicidée, c’est aussi de la présomption ! De la présomption d’un meurtre posé sur elle-même. Pourquoi donc la présomption serait admise dans un cas et pas dans l’autre ? C’est essentiellement cet élément-là qui m’a frappé. Deux poids deux mesures. S’ajoutait à cela le fait que je la connaissais, et que je voyais bien qu’on brossait un portrait, de la part de ceux qui la connaissait mal, de quelqu’un qui était peut-être porté à la mélancolie, qui était peut-être dépressive, ou en crise, soit l’opposé de la femme que j’avais connue, il y avait une vingtaine d’années. Elle est toujours restée discrète sur sa vie privée, hors l’amour qu’elle vouait à son fils, mais je peux vous dire qu’en toute occurrence, j’ai eu à faire à quelqu’un d’animé, d’éveillé, d’enthousiaste. D’allègre. Une intellectuelle, drôle, avec beaucoup d’humour. Elle riait beaucoup. Sa joie de vivre transparaissait dans son comportement.
Donc, ce qui a joué dans ma décision d’écrire, c’est un élément objectif : l’évocation de problèmes de société liés à la violence conjugale ; et puis le fait que je connaissais personnellement Véronique Pirotton, qu’elle n’avait pas droit à la parole, que son « portrait-robot » n’apparaissait pas en filigrane de l’opinion, qu’il n’y en avait que pour lui, qu’on ne cessait de souligner la cause politique qu’il incarnait, sa laïcité, son progressisme… A la limite, on prévoyait déjà tous les boucliers dont il allait pouvoir se servir. Véronique, elle, était une femme seule. Elle n’avait pas de bouclier. Pas de protection. Elle était livrée à elle-même. Elle ne pouvait se revendiquer d’aucun club, d’aucune institution, d’aucune médaille.

Vous écrivez que la victime n’est pas à la mode…

Oui. Il y a une fascination aujourd’hui plutôt pour le coupable, ou celui qui pourrait l’être. On s’intéresse beaucoup plus aux coupables qu’aux victimes. Les victimes n’ont pas la cote, aujourd’hui. La victime, « c’est trop simple ». Lorsqu’on montre son intérêt pour quelqu’un qui, éventuellement, pourrait se montrer brutal, qui, éventuellement, pourrait avoir céder à la violence, alors, avec plaisir, on exhibe sa complexité, ses ambigüités, et cela devient passionnant ! On est un paladin de l’intelligence lorsqu’on trouve des excuses, des mobiles… J’ai toujours été frappé par l’indulgence des cours d’assises pour les crimes passionnels. Moi, je trouve que les crimes passionnels, ce n’est pas si remarquable que ça ! Cela révèle un sordide égoïsme, une brutalité parfois inhumaine… La passion, ce n’est d’ailleurs pas toujours si beau à voir. L’antisémitisme est une passion, le racisme est une passion aussi. Donc, il y a passion et passion. Tout ce qui relève du crime passionnel m’inspire, au moins, de l’inquiétude. De la circonspection.

Vous vous voyiez souvent ?

Non, mais nous étions en contact depuis longtemps. C’était une amie fidèle et attentive, bien que lointaine, dans la mesure où nous vivions dans deux villes différents. Mais nous nous écrivions, nous nous téléphonions. Même si nous n’avons jamais parlé des rapports qu’elle avait eu avec sa famille, ses parents. Je suis d’ailleurs un peu frappé par l’extrême discrétion, si non la mollesse, de son entourage, à son égard. Les amis ne se font guère entendre.

Qu’est-ce qui vous frappe dans cette affaire, en ce qui concerne les interrogations sur ce qui s’est passé dans cette chambre d’hôtel d’Ostende ?

Qu’on n’évoque que deux possibilités : le suicide ou l’assassinat. Jamais l’homicide sans intention de donner la mort, en d’autres termes la dispute qui tourne mal. C’est étonnant. On devrait y réfléchir.

Qu’attendez-vous, désormais ? Qu’espérez-vous, maintenant que vous avez écrit ce texte ? Que craignez-vous, le cas échéant ?

Ce que j’espère, c’est que les gens pensent un peu à elle. C’est-à-dire que cette femme ne soit pas seulement un fantôme. Un spectre qui passe en filigrane de toute cette affaire. J’espère réhabiliter un peu l’existence de cette jeune femme. Qui ne demandait qu’à vivre, qui était un être lumineux, qui avait des tas de vertus, une très belle plume, elle aurait peut-être pu devenir un écrivain. J’espère qu’elle ait enfin le droit à une existence posthume. Qu’elle sorte de l’ombre, enfin. C’est mon espoir, même si je sais qu’il ne risque guère d’être couronné de succès.
Ce que je crains, c’est qu’on me croie a priori malveillant à l’égard de Monsieur Wesphael,qui m’est plutôt indifférent. Je ne nourris aucune acrimonie contre lui, je n’ai aucune raison d’en avoir. Aucun ressentiment. Mais surtout, je reste fidèle à l’image d’une femme qui n’a pas eu « sa chance ». Et dont le destin vient tragiquement de se fracasser.


Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, le chagrin et la colère de Pierre Mertens : « Et la victime dans tout ça ? »

Extraits : « Bien plus qu’une affaire Wesphael, il y a une affaire Pirotton. Davantage que la question d’une immunité parlementaire, il y a celle de la mort d’une femme. Mais on le sait depuis quelque temps : les victimes ne sont guère à la mode, elles le sont même doublement à partir du moment où ce n’est pas d’elles qu’il s’agit prioritairement. Camus n’avait-il pas écrit que si on ment, on se tait sur le mal, on le dédouble ? »

« Mais alors, on entend le plus beau :  »Peut-être ne connaîtra-t-on jamais la vérité que recèle la chambre 602 de l’Hôtel Mondo à Ostende. » A-t-on le droit d’en désespérer si vite ? Si le cynisme était reconnu comme un délit, en voilà un flagrant exemple. »

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