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« Philippe n’est pas De Wever : il n’a aucune légitimité démocratique »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Politologue à la KUL, le républicain Bart Maddens invite le nouveau Roi à ne pas suivre son père Albert II dans ses mises en garde contre le séparatisme. « La Flandre n’acceptera plus un roi interventionniste. »

Le Vif/L’Express. Qu’attend la Flandre du nouveau Roi ?

Bart Maddens. Je m’attends à ce que Philippe soit très prudent, certainement au début de son règne. Il ne jouit pas du crédit qu’Albert a su acquérir. Philippe ne peut se permettre aucune erreur, vu la confiance limitée qu’il inspire, surtout en Flandre. Sinon, sa popularité plongera rapidement. Tenir des propos communautairement chargés et donner ainsi l’impression qu’il s’oppose à la N-VA seraient une faute grave, dans la perspective des élections de 2014.

Quelle est l’image de Philippe au nord du pays ?

On rit beaucoup de lui, il n’est pas pris au sérieux. Ses bévues passées continuent de le poursuivre. Beaucoup de Flamands ont du mal à voir en lui un véritable roi qui dégage une autorité. Il apparaît très crispé en Flandre, il n’a pas « l’aisance » d’un Willem-Alexander. C’est surtout une question de langue. Philippe parle un néerlandais convenable mais cela reste laborieux. On entend que ce n’est pas sa langue maternelle. C’est pourquoi les Flamands ont du mal à s’identifier à lui. En Flandre existe le sentiment que la monarchie est quelque chose qui lui est étrangère, qui « n’est pas de chez elle ». J’ai l’impression que les francophones sous-estiment cette sensibilité flamande.

Le nouveau roi ne mérite-t-il pas le bénéfice du doute ?

Cette question n’a pas de sens. Soit on est monarchiste, et l’on doit accepter Philippe tel qu’il est, comme des parents doivent accepter leur enfant, qu’il ait ou non beaucoup de talents. En tant que monarchiste, on ne peut douter de lui, parce qu’il est le successeur légitime. Soit on est républicain, comme je le suis : on ne peut alors accepter que Philippe devienne chef d’Etat sur une base purement héréditaire, même s’il a du talent pour cela.

Philippe, « roi des belgicistes », inévitablement anti-flamingant ?

Le conflit communautaire est un conflit politique comme un autre. Il n’y a rien de moralement répréhensible à militer pour l’indépendance flamande. Il est essentiel pour un monarque sans aucune légitimité démocratique de rester au-dessus de tout conflit politique, y compris du conflit communautaire. En aucune manière, il ne peut créer la perception de figurer personnellement dans un camp déterminé. Philippe pourrait à ce sujet prendre exemple sur Elizabeth II, la reine d’Angleterre : elle ne se mêle pas de la question de l’indépendance de l’Ecosse.

Il ferait bien aussi de prendre exemple sur son père, Albert II ?

Le roi Albert a commis un certain nombre d’erreurs. On ne lui en a pas trop tenu rigueur en Flandre, grâce à son grand crédit. Mais si Philippe, à l’instar de son père, devait mettre en garde contre le « séparatisme feutré » et s’impliquait de ce fait contre Bart De Wever, beaucoup de Flamands prendront leurs distances. Je le répète : Philippe n’a aucune légitimité démocratique, à l’inverse de Bart De Wever. Le président du plus grand parti de Belgique est actuellement l’homme politique qui dispose de la plus grande légitimité démocratique.

Comment cette N-VA triomphante doit-elle aborder ce nouveau roi ?

Le pays va être submergé dans les semaines qui viennent par une vague de royalisme et de patriotisme belge. Les nationalistes flamands vont devoir se tenir à carreau. Eviter de se voir affubler d’une étiquette de rabat-joie extrémiste, ou d’être poussés dans le coin du Vlaams Belang. Mais en même temps, le parti ne peut renier ses positions. C’est un dilemme, un exercice d’équilibre délicat.

Ce 21 juillet, Philippe va jurer de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire. La formule du serment constitutionnel que prête un Roi est forcément anti-flamingante…

Certains l’interprètent ainsi, peut-être le roi lui-même. Mais cette interprétation est moyenâgeuse. Elle signifierait que le Roi, en prononçant ce serment, y puiserait une sorte de pouvoir politique pour combattre le séparatisme. Imaginons qu’en 2014 une majorité des deux tiers se dégage au Parlement pour faire de la Belgique une confédération d’Etats souverains. Le roi devra-t-il refuser d’apposer sa signature en raison de son serment ? Non. Il devra toujours respecter les règles du jeu démocratique, point à la ligne.

Quelle sera la condition de survie de Philippe sur le trône?

Toute la question est de savoir s’il réussira à rester prudent lors d’une crise politique persistante, s’il pourra résister à la tentation d’être un roi « missionnaire » qui se mêle de politique. Sinon, il jouera avec le feu. La Flandre politique n’acceptera plus un retour à une monarchie plus « interventionniste ».

Le dossier « Philippe et la Flandre » dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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