Thierry Fiorilli

Philippe, l’homme qui voulait être plus que roi

Thierry Fiorilli Journaliste

L’un n’en pouvait plus. N’en voulait plus. Au point qu’il a fallu faire des pieds et des mains, pendant des années, pour le persuader de ne pas abdiquer.

L’autre en veut plus. Pense qu’il peut bien davantage. Au point qu’il faut déployer des trésors de tact et de fermeté, depuis deux ans, pour l’empêcher de dépasser son rôle.

L’histoire, l’ironie, les circonstances et les individus sont ainsi faits que le trône de Belgique s’est transmis, à l’été 2013, d’un homme fatigué à son fils impatient. D’un roi las des contraintes à un roi affamé de reconnaissances. D’un septuagénaire d’apparence bonhomme à un quinqua d’allure empruntée. De quelqu’un que rien ne prédestinait à coiffer la couronne mais qui a régné durant deux décennies, à quelqu’un qui était premier dans l’ordre de succession depuis quasiment sa naissance mais qui aura passé plus de temps à apprendre son rôle qu’à le jouer.

Pour une petite monarchie en chantier institutionnel permanent, ce passage de témoin entre Albert II et Philippe, entre l’eau et le feu en fait, n’est pas une simple vétille. Puisque la personnalité même de celui qui y occupe le rang du chef de l’Etat pèse toujours plus ou moins directement, plus ou moins lourdement, sur la nécessité et l’urgence d’en redéfinir la fonction. Or, le débat est là, brûlant ou tapi, mais récurrent depuis 22 ans – et le refus de Baudouin de signer la loi dépénalisant partiellement l’avortement. Et amplifié, aiguisé, accéléré tant par la désunitarisation galopante des institutions du pays que par les polémiques, d’ordre pécuniaire notamment, créées par la famille royale elle-même. Le résultat est clair : l’influence, les missions et les dotations accordées au Palais ont chacune été sévèrement rognées et sont toujours plus scrupuleusement encadrées. En attendant ce qui sera, un jour, une authentique monarchie protocolaire. Reconnue comme telle, officiellement, par tous.

S’il est toujours en exercice alors, Philippe risque d’en souffrir. Lui qui semble déjà considérer comme trop étroite la marge de manoeuvre qui est la sienne aujourd’hui. L’enquête que nous publions sur la façon dont l’actuel roi des Belges remplit ses fonctions dévoile ainsi un personnage très éloigné de l’image finalement assez fade qui colle au fils aîné d’Albert II. Un personnage dont on doit en réalité, apparaît-il, freiner les ardeurs et brider les initiatives. Comme si Philippe entendait rattraper le temps perdu. Comme s’il avait une revanche à prendre. Comme s’il visait à démontrer que les doutes émis durant si longtemps sur sa capacité à s’installer sur le trône étaient injustes, infondés, indécents. Comme s’il était investi d’une mission, à la Baudouin – si pas son modèle au moins, en quelque sorte, son mentor. Comme s’il lui fallait laisser une trace dans l’Histoire. Comme s’il voulait être bien plus que ce roi que la réalité et la Constitution belges le contraignent à incarner : celui qui ouvre les portes des marchés, celui qu’on agite comme un symbole, celui qui ne dispose d’aucun pouvoir, celui qu’on a ceint de très solides garde-fous pour éviter toute embardée, tout emportement.

Déconnecté des réalités vécues par le commun des mortels, élevé dans un environnement où l’argent semble être bien davantage le sel de la vie que le nerf de la guerre, Philippe est donc un homme sous constante surveillance, aux ambitions frustrées et au statut en sursis. Puisque, avec la future reprise des hostilités nationalistes flamandes, la fonction royale est condamnée, à moyen terme, à n’avoir plus d’autre sens ni d’objectif que l’apparat.

Dans Le Vif/L’Express actuellement en vente, jusqu’au 30 juillet, le dossier spécial « Philippe, un roi sous haute surveillance »

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