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Philippe Defeyt : « Ecolo doit renouer avec l’agit-prop »

François Brabant
François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

A quelques heures d’une assemblée générale qui s’annonce tendue, Philippe Defeyt, le président du CPAS de Namur et cofondateur d’Ecolo, revient sur la défaite de son parti aux élections du 25 mai.

Ce mercredi soir, à Namur, Ecolo tiendra sa première assemblée générale depuis sa défaite électorale. Les débats s’annoncent intenses, mouvementés, voire houleux. A quelles raisons attribuer la Berezina du 25 mai ? Quelles sont les erreurs stratégiques qui ont été commises ? Le parti, compte tenu de la nouvelle donne politique, doit-il exclure toute participation aux gouvernements régionaux ? Les coprésidents Emily Hoyos et Olivier Deleuze doivent-ils remettre leur mandat en jeu ? Toutes ces questions, et bien d’autres, risquent d’être posées.

Pour mieux comprendre le malaise qui frappe les écologistes, Le Vif/L’Express a recueilli l’analyse de l’une de leurs figures historiques, l’économiste Philippe Defeyt, président du CPAS de Namur. Cofondateur du parti, ancien chef de groupe à la Chambre, celui-ci a dirigé Ecolo de 1999 à 2003. En trente-cinq ans de vie politique, il en a connu des victoires et des défaites. Une défaite, en particulier, l’a marqué : celle de 2003, post-Francorchamps, après quatre ans de participation au gouvernement fédéral. A l’époque, il occupait le poste qu’assume aujourd’hui le duo Hoyos-Deleuze. Il avait démissionné quelques jours après le scrutin.

Le Vif/L’Express : D’après vous, quelle est la raison majeure du ressac subi le 25 mai par Ecolo ?

Philippe Defeyt : A ce stade, je me pose surtout des questions sur ce que souhaite une partie de l’électorat. Malgré le green bashing, malgré des dossiers présentés de façon malhonnête par nos adversaires, on a conservé un nombre relativement élevé d’électeurs fidèles. Par contre, on a perdu beaucoup d’électeurs venus vers nous en 2009, et on n’a pas réussi à attirer de nouveaux électeurs. Dès lors, après trente-quatre ans de combat, je me pose vraiment la question : que veulent les électeurs ? Et comment sont-ils informés ? Je sais bien qu’il est de tradition de dire que l’électeur a toujours raison. La bienséance veut qu’on explique sa défaite en disant : « On a mal communiqué ». Moi, je veux être plus clair et plus direct. On entend de plus en plus de réflexions type café du commerce : les politiques, ce sont tous les mêmes… Non, les partis ne sont pas tous les mêmes !

Vous mettez en cause le niveau d’information des électeurs. Que voulez-vous dire ?

J’étais moi-même candidat le 25 mai et j’ai participé à plusieurs débats pendant la campagne. Plusieurs fois, je me suis demandé : où est-ce qu’on est ici ? Notamment quand j’entendais le représentant d’un parti défendre une position, alors que son parti avait pris des décisions à l’opposé de ce discours. A-t-on demandé une seule fois aux présidents du PS, du MR et du CDH de se positionner clairement sur le Traité transatlantique ? Voilà un débat qui était peut-être le plus important de cette campagne électorale, et ce débat n’a pas été posé. Je conteste violemment le fait que les médias audiovisuels ont bien couvert ces élections. Tout le monde loue l’excellent travail réalisé par la RTBF et RTL. Non, ils n’ont pas fait un excellent travail ! Je suis un peu dépité par le niveau d’information général… A ce stade, je me pose des questions. L’électeur aussi doit balayer devant sa porte. Sur quelle base et à partir de quel niveau d’information se positionne-t-il ? Au fond, que veulent les électeurs qui rouspètent, qui trouvent que les choses ne vont pas comme elles devraient ?

Vous-même, vous aviez critiqué la direction d’Ecolo, voici quelques mois, en disant : « On n’est plus assez radicaux. »

Oui, on est probablement trop timorés sur certains sujets. Je pense par exemple à la relocalisation de l’économie, à la réduction du temps de travail, ou à l’allocation universelle, qui tôt ou tard s’imposera comme la seule solution. J’ai été mêlé à la défaite de 2003. Depuis lors, il y a une peur dans le parti… C’est peut-être cette peur qui explique qu’on n’ose plus être radical.

L’immixtion du PTB dans le paysage politique va être compliquée à gérer pour vous. Pendant cinq ans, leurs députés incarneront l’opposition de gauche, tout autant que les élus Ecolo. Comment réagir ?

A mon sens, Ecolo a une grande proximité avec le PTB sur le diagnostic et les réformes à mettre en oeuvre. Par contre, il y a des différences – et il continuera à avoir des différences – entre le projet Ecolo et le projet PTB. Je pense qu’au PTB, si on construisait des routes et des voitures en plus, ils seraient très contents. C’est une différence fondamentale avec nous, et ça restera une différence fondamentale. Je ne pense pas qu’il est utile de critiquer le PTB sur sa supposée idéologie léniniste ou maoïste. Je ne crois pas non plus qu’il est pertinent de dénoncer son manque de démocratie interne. Je ne connais pas beaucoup de partis où les décisions sont prises de façon vraiment démocratique… C’est la question du projet qui nous différencie fondamentalement.

Le PTB a mené plusieurs actions spectaculaires au cours de la campagne électorale, comme l’encerclement de la Bourse ou le « nettoyage » du ministère des Finances. En France, pour promouvoir l’industrie locale, le ministre socialiste Arnaud Montebourg s’affiche dans les magazines vêtu d’une marinière made in France. Il y a quinze ans, votre parti réalisait aussi ce type d’actions-choc. Ecolo n’a-t-il pas perdu son côté subversif ?

Qu’on ait perdu notre capacité à faire de l’agit-prop, j’en suis totalement convaincu. Il faudra impérativement renouer avec ça. Mais, en même temps, qui s’est battu pour assainir les banques et la finance, tant au niveau belge qu’européen ? Ce sont plutôt les verts, notamment les députés Georges Gilkinet et Philippe Lamberts. Marie Arena et le PS ont fait campagne pour l’harmonisation fiscale. Mais ce sont les mêmes socialistes qui ont voté le Traité de Maastricht, qui empêche dans les faits toute forme d’harmonisation fiscale au niveau européen !

On vous sent en colère contre le Parti socialiste…

Depuis vingt ans, vous avez des partis comme le PS qui disent vouloir plus d’harmonisation fiscale, et ils ont voté un traité qui l’interdit. En 1993, j’étais député fédéral. Seul contre tous, les écologistes ont voté contre le Traité de Maastricht. A l’époque, les socialistes et les libéraux nous taxaient d’amateurs. Mais c’était eux, les amateurs ! Le temps nous a donné raison. J’en ai un peu marre de voir des partis comme le PS qui votent des mesures telles que le Traité de Maastricht ou la dégressivité des allocations de chômage, et qui font ensuite compagne contre ces mesures-là qu’ils ont eux-mêmes instaurées. Ils gagnent une première fois en apparaissant comme responsables. Et ils gagnent une deuxième fois en disant qu’ils vont lutter contre la mesure qu’ils ont eux-mêmes adoptée. C’est habile, évidemment. Mais c’est un peu fatigant, à la fin, de voir des gens qui gagnent deux fois.

La position d’Ecolo manquait elle-même de clarté. Après avoir voté contre les traités de Maastricht et d’Amsterdam, les députés écologistes ont ensuite voté pour le traité constitutionnel européen, en 2005. Et lorsque la Belgique a dû ratifier le dernier traité budgétaire européen, voici quelques mois, Ecolo a voté contre à la Chambre, mais pour au parlement wallon et au parlement bruxellois. Cela n’a-t-il pas brouillé l’image de votre parti ?

Tout à fait. Je regrette ce vote. Moi, j’ai été clair, j’ai dit et écrit qu’Ecolo aurait dû voter contre le traité budgétaire. Là, Ecolo a fait une erreur… Mais ce n’est pas cette erreur qui explique notre défaite. Au contraire, si on avait voté contre tout en participant aux gouvernements régionaux, la presse aurait dit : Ecolo refuse de prendre ses responsabilités. Par ailleurs, l’honnêteté commande de dire que l’impact concret de ce traité est relativement limité. Le péché originel, c’est le traité de Masstricht, qui empêche toute harmonisation fiscale et sociale.

N’y a-t-il pas un autre problème, plus fondamental, pour votre parti : le fait que la majorité de la société belge est en désaccord avec les idées défendues par Ecolo ?

Les idées écologistes, dans leur globalité, sont très minoritaires dans la société. C’est un fait. Peut-être est-ce là le noeud du problème pour Ecolo. Tout le monde tape sur les cumulards, et à la fin, les gens votent pour eux. L’immense majorité des électeurs n’a pas l’air tracassée par cette question du cumul des mandats. Au contraire, ils semblent apprécier les gens qui cumulent. On est un peu démunis par rapport à ça. Ce que j’observe, c’est que les différences politiques recouvrent aussi, souvent, des différences culturelles. Aujourd’hui, on sait bien que la seule manière – la seule ! – de résoudre les problèmes de mobilité en centre-ville, c’est de réduire la place de la voiture. Ce débat-là, il est très difficile à mener… Parce que, culturellement, le rapport à la voiture d’une grande partie de la population rend les solutions écologistes inaudibles. De nombreux électeurs ont peur de ne plus disposer de leur voiture en centre-ville. Pourtant, les mesures s’imposeront, parce que le système est arrivé à sa limite. Même réflexion concernant la viande : on observe actuellement, partout en Europe, un mouvement de fond appelant à réduire la consommation de viande. Par peur d’apparaître une fois encore comme trop radical, Ecolo a jusqu’à présent évité de mettre en avant ce débat-là. Néanmoins, on sent bien qu’une partie de la population a peur d’être privée de viande. Et cette peur rejaillit sur Ecolo. Là encore, il ne s’agit pas d’une question politique, mais d’une question plus profonde, culturelle.

Cela vous inquiète-t-il pour l’avenir d’Ecolo ? Autant les désaccords politiques peuvent être résolus par le débat argumenté, autant les différences culturelles sont profondément ancrées. Il faut au minimum une génération pour les résorber.
Oui, et cela m’amène à évoquer un méta-problème, qui complique encore un peu plus notre travail : sur de très nombreux sujets, la Wallonie est systématiquement à la traîne. On le voit sur les thématiques liées à l’aménagement du territoire, la mobilité, les réseaux d’enseignement, l’énergie… Nous sommes toujours une longueur en retard quand il s’agit d’intégrer des innovations.

Pour vous, le fameux « mal wallon » n’a pas disparu ?

Il y a en Wallonie une sorte d’incapacité à suivre la marche du monde. La Wallonie a ainsi été la dernière région d’Europe – la dernière ! – à construire une éolienne. On sera bientôt la région où le développement du vélo est le plus lent, de toute l’Europe. Il existe des tas de villes en Europe qui ont décidé d’expérimenter des centres urbains sans aucun panneau routier. Cela donne de bons résultats… Mais pas une ville wallonne ne s’est dit : peut-être qu’on pourrait essayer ça chez nous. En tant que citoyen, je suis choqué par la manière dont on a rembarré Paul Magnette, le président du PS, quand il a proposé des repas de midi gratuits pour tous les écoliers. Cela se pratique pourtant en Finlande, le pays qui obtient les meilleurs résultats dans toutes les études Pisa. Je ne dis pas que l’idée de Magnette allait tout résoudre, mais il y avait à tout le moins matière à un débat intéressant. Or ce débat n’a pas eu lieu. Pourquoi ? Parce qu’en Wallonie, il est devenu très difficile, pour ne pas dire impossible, de débattre d’idées nouvelles.

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