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Philippe, allié rêvé du roi de la N-VA

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

« Si le prince Philippe, avec sa  » mission » autoproclamée, devient roi, doté de véritables pouvoirs constitutionnels, la scission du pays pourrait être plus rapide », écrivait en 2010 Bart De Wever. Le fils aîné d’Albert II lui fera- t-il ce plaisir ? La balle est dans son camp.

Il a commenté à chaud le changement de règne, à sa manière : par la politique de la chaise vide sur les plateaux télé. Les Saxe-Cobourg ont volé la vedette à Bart De Wever. Moralité : service minimum à la N-VA. Tout juste un communiqué succinct de son président, pour prendre acte du retrait d’Albert II : respect « pour la personne du Roi, pour l’homme jovial et sympathique qu’Albert a toujours été ». Et petite perfidie glissée pour conclure : « Il est regrettable que l’affaire Boël ait à la fin terni sa réputation. »

A quoi bon s’épuiser devant le rouleau compresseur médiatique déclenché depuis le Palais. D’ici au 21 juillet, la Belgique, indifférente ou enthousiaste, sera saturée de monarchie. Toute voix outrancièrement discordante, au mieux se perdra, au pire fâchera. Y compris au sein de l’électorat N-VA, qui n’est pas peuplé que de républicains.

Surtout, ce serait faire trop d’honneur à la couronne que de la gonfler d’importance. Eric Defoort, historien et cofondateur de la N-VA, hiérarchise les priorités : « Après Albert, voici Philippe : c’est sympa. A part ça, le Roi ne nous fait ni chaud ni froid. Nous ne passons pas des nuits blanches à broyer du noir. C’est un épiphénomène en marge de la politique. Les francophones vont être déçus, mais nous avons d’autres chats à fouetter : la lutte contre le chômage, la réflexion sur le confédéralisme, etc. »

La N-VA, la tête volontairement ailleurs, attend des temps meilleurs. Jan Jambon, chef de groupe à la Chambre, a planté le décor à la tribune du Parlement : « Nous sommes légalistes, nous respectons les us et coutumes, le protocole et le décorum qui font partie de ce cadre. Mais n’exigez pas de nous que nous fassions preuve d’un enthousiasme débordant. »

C’est dit : une délégation de députés et sénateurs N-VA (le sénateur De Wever compris ?) fera acte de présence à la prestation de serment de Philippe, le 21 juillet. Une façon sage de se distinguer du Vlaams Belang, qui snobera la cérémonie comme il l’avait fait vingt ans plus tôt pour Albert II.

Inutile de s’appesantir dans l’immédiat sur l’intronisation. La N-VA préfère cogiter sur le fond. Et bouillonne d’idées : placer le chef de cabinet du Roi sous « monitoring » gouvernemental et parlementaire, écarter le Roi de la formation du gouvernement fédéral en confiant son rôle au président la Chambre.

Philippe attendu au tournant Mais Philippe ne perd rien pour attendre. Bart De Wever et ses troupes se réservent pour la suite. Pour les premiers faux pas du nouveau roi. Qu’ils vont guetter, espérer. Pourquoi pas ? Provoquer.

La tactique est éprouvée : s’introduire dans les moindres failles de l’institution monarchique pour saper ses fondements. Laurent, Fabiola, Albert II y sont déjà passés. Theo Francken, le « monsieur monarchie » du parti nationaliste flamand, ne boude jamais son plaisir de le claironner à la tribune de la Chambre, comme il l’a encore fait en février dernier : « Nous épinglons ces dossiers depuis des années et nous continuerons à le faire. » Celui du roi Philippe pourrait rapidement rejoindre le haut de la pile.

Le fils aîné d’Albert II a déjà un casier qui est loin d’être vierge, au Q.G. du parti de De Wever. Si la N-VA s’abstient aujourd’hui de jouer l’homme, elle l’a fait en d’autres temps. En d’autres occasions, offertes sur un plateau d’argent l’héritier du trône. Car Philippe sait aussi se lâcher quand il le veut. Il l’a prouvé en 2004 par une attaque frontale contre le Vlaams Blok alors au faîte de sa puissance, lors d’une mission commerciale en Chine. « Il y a dans notre pays des gens et des partis qui, comme le Vlaams Blok, sont contre la Belgique, qui veulent détruire notre pays. Je peux vous assurer qu’ils me trouveront sur leur route. »

Il récidive en 2007, par une belle prise de bec avec deux rédacteurs en chef de la presse flamande, lors de la réception de Nouvel an au Palais. « Vous ne m’aimez pas, mais je vous le dis, vos articles critiques ne m’empêcheront pas de remplir ma mission. »

Tout ce qu’il ne fallait pas faire : se mettre à dos la Flandre politique et médiatique. De Wever, président d’une N-VA encore lilliputienne, n’a alors qu’à se baisser pour ramasser les miettes : « Philippe n’a toujours rien compris, il n’a aucun contact avec la société dans laquelle nous vivons, nous Flamands ordinaires. Il se prend pour un drôle de despote. »

Vieilles histoires rabâchées, bien sûr. Il y a prescription. Ces gaffes à répétition, ponctuées de rappels à l’ordre par le Premier ministre Verhofstadt (Open VLD), ont sans doute eu du bon. Philippe a bonifié, a appris à tenir sa langue et à se contrôler. Mais la N-VA a ses archives qui ne demandent qu’à resservir. Elle sait que ces incidents montés en épingle ont achevé d’asseoir une réputation.

Baudouin II ou Philippe I

« Philippe le Beau, Philippe le Bon ont leur place dans l’Histoire. La N-VA n’attend rien d’un Philippe le Dur. » La formule a eu le temps de percoler et de mûrir dans les esprits. Elle laisse des traces. Début mai, Bart De Wever boit du petit lait : « Presque aucun parti ne veut de Philippe sur le trône. » Il exhibe, en guise de preuves, les lettres ouvertes adressées au prince héritier par les autres présidents de partis flamands (SP.A excepté), à la demande du magazine Knack. Douche froide pour Philippe : du CD&V à Groen en passant par l’Open VLD et Jean- Marie Dedecker, la perspective de le voir monter sur le trône ne déclenche pas un fol enthousiasme.

A moins que le roi Philippe ne soit réduit à faire de la figuration. Qu’il soit empêché de devenir la réincarnation de Baudouin. C’est la grande peur de la Flandre politique, qu’exprime le rédacteur en chef du Morgen, Yves Desmet, en titrant son éditorial : « Sera-t-il Baudouin II ou Philippe I ? »

Baudouin, « le roi-prêtre », devenu une fâcheuse référence pour un souverain belge du XXIe siècle. Philippe a-t-il saisi ? Lui a-t-on fait comprendre ? Il maintient le suspense, au bout de son interminable parcours de prince héritier. Peut-être l’oncle Baudouin n’est-il pas loin. Après tout, Philippe lui doit son premier apprentissage au métier de Roi. C’est peut-être aussi de lui qu’il tient ce sens de la « mission », à laquelle le prince a fait un jour dangereusement allusion.

Sueurs froides dans les milieux politiques, au nord comme au sud du pays. Sauf dans la grande mouvance indépendantiste flamande, N-VA et Vlaams Belang confondus. Le roi Philippe pourrait devenir rapidement un bon client, s’il confirme le point faible qu’on lui prête : sa difficulté à maîtriser ses émotions. Une proie rêvée pour un De Wever, souverain dans l’art de la formule qui brocarde, dégrade, assassine. « Si Philippe a faim, il recevra à manger. Tout le monde est bienvenu dans cette ville », a commenté un De Wever irrévérencieux à la sortie de l’hôtel de ville d’Anvers, devant des micros en quête du premier bon mot.

En 2010, Bart De Wever se mettait à rêver tout haut dans un de ses billets d’humeur sur la monarchie : « Si le prince Philippe, et sa mission autoproclamée, devient roi doté de véritables pouvoirs constitutionnels, la scission du pays pourrait devenir plus rapidement réalité, plutôt que d’user du consensus politique presque général pour limiter le pouvoir royal à un rôle purement protocolaire. » Secrètement, le président de la N-VA doit espérer que « Philippe le Dur » ne le décevra pas. Qu’il fera honneur à sa réputation.

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