Gérald Papy

Pétrole, accises et révolutions

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Sommes-nous à la veille d’un choc pétrolier comparable à celui de 1973, marqué par les emblématiques « dimanches sans voiture » ? La question est posée après le record atteint en Belgique par le prix du litre de super 95 à la pompe : 1,624 euro contre 1,594 euro lors du précédent pic en juillet 2008. Scénario crédible ou crainte démesurée ?

Pour trancher, il est indispensable de cerner les causes de la hausse actuelle. A la fin de 2010, le baril se négociait entre 90 et 95 dollars (selon la cotation du Brent à Londres), aujourd’hui, il avoisine les 110 dollars. Les révolutions en Egypte (petit producteur mais gardien de l’approvisionnement par le canal de Suez) et en Libye (12e producteur mondial avec 1,69 million de barils par jour) sont passées par là. Mais le terreau était favorable à cette tendance avant la chute du premier dictateur arabe : la reprise de la croissance en Chine, en Inde ou au Brésil avait déjà dopé le prix des produits énergétiques. Autre facteur, l’euro reste stable face au dollar ; il s’échange à 1,39 euro pour un dollar. Cette bonne santé de la monnaie européenne pénalise nos achats pétroliers sur un marché libellé en dollars. Les taxes et accises belges enfin ont augmenté ; elles sont passées de 0,597 euro par litre en juillet 2008 à 0,614 euro aujourd’hui.

On le voit, les révoltes arabes ne sont pas, seules, responsables de la flambée actuelle et de sa traduction dans nos stations-services. Elles le sont d’autant moins qu’elles n’ont pas encore touché, ou si peu, les principaux producteurs arabes que sont l’Arabie Saoudite (1er exportateur mondial avec 7,32 millions de barils par jour), les Emirats arabes unis (4e), le Koweït (6e) ou l’Algérie (9e). Pour preuve, en annonçant, en milieu de semaine, qu’il pallierait le déficit de production de la Libye, le royaume saoudien a automatiquement entraîné une accalmie sur les marchés. A contrario, on imagine aussi l’impact qu’une déstabilisation brutale de l’Arabie saoudite, aussi peu démocratique que d’autres Etats arabes, aurait sur les cours du pétrole. En regard de cet enjeu, la situation en Libye, c’est peanuts. Les Américains, qui ont définitivement pris une longueur d’avance sur les Européens dans la gestion de ces révolutions, l’ont bien compris, eux qui se préoccupent tant de la situation à Bahreïn, royaume du Golfe à partir duquel la contestation de l’opposition chiite pourrait faire tâche d’huile dans les régions pétrolifères de l’est de l’Arabie saoudite où vit la minorité chiite du royaume…
Si ces considérations géostratégiques apparaissent fort éloignées de la question du pouvoir d’achat du citoyen belge, nul doute qu’elles le seront moins quand le baril de pétrole atteindra les 200 dollars, comme le prédisent les scénarios les plus catastrophistes. Le gouvernement belge ayant peu de prise en définitive sur les révolutions arabes, sur le cours de l’euro ou sur le développement des puissances émergentes, une réduction des accises par le recours au système dit du « cliquet inversé » ne paraît pas farfelue pour soulager les particuliers et les entreprises, si elle ne grève pas la situation budgétaire. D’autant que cette mesure ponctuelle n’exonère pas nos dirigeants de lancer une réflexion de fond sur l’approvisionnement énergétique à plus long terme de la Belgique. Car les révolutions arabes ne vont pas s’éteindre et les dirigeants qui en émergeront ne seront peut-être pas aussi conciliants avec l’Occident que leurs prédécesseurs.

GERALD PAPY

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