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Personnalité de l’année 2011 : Albert II a été royal dans la crise

Albert II a bien mérité de la patrie. L’heureux dénouement, au bout de 541 jours d’impasse politique, c’est aussi au roi que le pays le doit. Une infinie patience, une sacrée résistance, la dose d’humour qui décoince, l’accès public de colère qui détonne : le roi a puisé dans ses ressources pour couronner de succès sa modeste mission de décrispateur. Ce titre de personnalité de l’année 2011, il ne l’a pas volé.

Cette année encore, il en aura vu de toutes les couleurs : rouge, orange, bleue, verte. Une fois de plus, « ils » lui en auront fait voir de toutes les couleurs : socialistes, démocrates-chrétiens, libéraux, écologistes. Lui infliger pareille épreuve à 77 ans : pas très sympa pour le roi.

Rien de neuf sous le soleil en 2011. Météo politique toujours aussi pourrie. Une vraie purée de pois, qui plonge le locataire du château de Laeken dans le désarroi. Le conciliateur Vande Lanotte (SP.A) a clôturé 2010 et inaugure 2011. Mais fin janvier, le socialiste flamand rend son tablier. Albert II le prend très mal : « Il était vraiment fâché. Pas sur moi personnellement, mais parce qu’une nouvelle tentative de formation de gouvernement échouait », raconte Vande Lanotte (1).

C’est à nouveau « tournez manège » à Laeken : l’informateur Didier Reynders (MR) sonne le retour en grâce des libéraux, le négociateur Wouter Beke signifie que le CD&V se dégèle enfin. Mais rien de décisif avant le retour de Di Rupo, désigné formateur à la mi-mai. Il sera enfin le bon, qui ira jusqu’à prendre la tête du gouvernement qu’on n’espérait plus.

Mais avant la délivrance, encore des mois d’errance. Albert II les endure stoïquement, en permanence aux premières loges. C’est là son principal mérite : ne pas baisser les bras, relancer sans cesse la mécanique actionnée par les partis, tenir la boutique au milieu de la tempête. Et, en prime, devoir gérer les frasques de son fils cadet, Laurent, rattrapé par sa « diplomatie parallèle » en Libye et au Congo. Rien ne lui aura été épargné.

Si le roi subit les événements, il tente aussi comme il peut de peser sur le cours des événements. Pour l’avoir vu à l’£uvre, Johan Vande Lanotte peut en témoigner. « Le roi a accompli un parcours fantastique. Dans cette crise, il a lui-même beaucoup décidé. » Jusqu’à s’émanciper au besoin de la tutelle de son chef de cabinet, l’omniprésent Jacques Van Ypersele de Strihou. « Il est arrivé que je disais : « Nous ferions mieux d’envisager ceci. » Le chef de cabinet hésitait, mais le roi disait : « OK, nous allons faire ainsi. » »

Voilà qui fait un sort à une réputation de dilettante : « Ne vous laissez pas abuser par les histoires autour de son yacht ou de ses vacances, le roi connaît ses dossiers et suit la situation politique de près. Je pense qu’Albert II a été quelque peu sous-estimé. Il a grandi dans sa fonction. Je l’ai connu dans les années 1990, quand j’étais ministre de l’Intérieur, et je le vois aujourd’hui. Une énorme différence. On ne lui fait plus rien gober, vous savez. » Et ce n’est pas un inconditionnel de la monarchie qui s’exprime de la sorte.

Temps fort de cet investissement royal dans la crise : le 20 juillet, à la veille de la Fête nationale. Albert II se lâche en public, y va d’un discours royal bien senti à l’adresse de la classe politique, et ce souverain que l’on connaissait débonnaire joint de façon inattendue les gestes à la parole pour souligner son ras-le-bol.
Un peu feinte ou vraiment sincère, la royale colère aura-t-elle été bonne conseillère ? Le jour même, six partis se mettent pour la première fois à table autour du formateur Di Rupo. La sauce prend enfin. Péniblement. Non sans de multiples rebondissements. Ils forceront encore Albert II à veiller tard au château de Ciergnon, où il se remet d’une intervention chirurgicale au nez.

La crise n’a pas du tout fait rire le roi. Elle n’a jamais eu raison de son sens de l’humour. Au conciliateur Vande Lanotte tout confus de s’apercevoir, mais un peu tard, que la cravate et le pantalon qu’il portait pour se rendre en audience étaient tout sauf assortis, Albert II lui renvoie la faute de goût vestimentaire avec le sourire : « Je pensais que c’était la nouvelle mode, Monsieur Vande Lanotte. » Le bon mot, même au fond du trou.

(1) Johan Vande Lanotte, dagboek van een politieke crisis, par Jörgen Oosterwaal.

PIERRE HAVAUX

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