© Olivier Hanigan pour Le Vif/L'Express

Pauline Marois : « un Québec indépendant ne s’appauvrirait pas »

Le Vif

Gare aux apparences ! Ce petit bout de femme est une pile d’énergie et d’ambition inusable. Après avoir gravi, pendant trente-cinq ans, tous les échelons au sein du Parti québécois, la formation indépendantiste de la province francophone, elle a conduit, en 2012, son mouvement au pouvoir. Une victoire certes étriquée : le parti n’a obtenu qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Et fragile : six mois après, seuls 21 % des Québécois jugent qu’elle est la plus apte à gouverner et 58 % se déclarent insatisfaits. Mais rien ne désarme cette battante. La voici à la tête d’une province de 8 millions d’habitants qui, au sein du Canada, exerce ses compétences dans les domaines de la santé, de la justice, de l’éducation, des ressources naturelles et, en partie, de l’immigration. Et cette sociale-démocrate à la mode nord-américaine entend bien imprimer sa marque sur une société à la fois si proche et si différente de la nôtre.

Le Vif/L’Express : Vous êtes la première femme à occuper le poste de Premier ministre du Québec. Une femme gouverne-t-elle différemment ?

Pauline Marois : C’est aux Québécois de juger. Ce qui caractérise, en tout cas, mon style de leadership, et c’est probablement propre aux femmes, c’est que l’ego, chez moi, n’est pas surdimensionné. Il m’est plus facile de faire un pas de côté si je crois que le résultat politique en sera amélioré. Ainsi, à propos de la nouvelle Charte de la langue française (NDLR : Réforme qui étend le français comme langue de travail obligatoire dans les PME et l’encourage dans les crèches et universités), nous nous étions engagés à ce qu’elle soit appliquée à nos établissements d’enseignement supérieur, les Cegep. Mais, face aux nombreuses objections, j’ai compris que cela pouvait bloquer la révision de cette charte, indispensable à mes yeux. Ce point particulier a donc été mis de côté. On m’a accusée de reculer, mais je considère, moi, que je suis à l’écoute de la population. Par ailleurs, je crois au travail d’équipe et au consensus.

Sur les dix provinces du Canada, six sont désormais gouvernées par des femmes. Cette féminisation nouvelle du pouvoir politique peut-elle faciliter le dialogue, souvent difficile, au sein de la fédération ?

Je ne sais pas si nous parviendrons à des compromis plus facilement. Mais, c’est vrai, il y a entre nous une complicité qui peut aider. Par exemple, j’ai discuté avec Alison Redford, la Première ministre de l’Alberta, qui voudrait évacuer son pétrole par le Québec. Cela s’est passé très simplement entre elle et moi, et nous avons rapidement monté un groupe de travail.

Durant la dernière campagne électorale, votre formation, le Parti québécois, s’est prononcée en faveur d’une « laïcité stricte à la française » et a réclamé une neutralité de la fonction publique dans un contexte marqué par la montée de l’immigration extra-européenne et le retour du religieux. Pouvez-vous préciser vos intentions ?

Ce débat a été lancé chez nous, ces dernières années, avec la question des accommodements religieux : comment faire au sein des institutions publiques pour s’accommoder des croyances et des pratiques particulières ? Nous sommes opposés à une telle démarche. Aussi, dans les prochains mois, le ministre responsable des Institutions démocratiques présentera un projet de loi visant à la neutralité de l’Etat. Je ne souhaite pas, ainsi, que soit autorisé le port de signes religieux ostensibles dans les services publics. Souvent, d’ailleurs, ces signes ont une connotation de domination masculine. Ils ont été nombreux à hésiter avant moi sur ce sujet-là ; je ne tergiverserai pas. Il faudra aussi statuer sur la question des fêtes religieuses et la demande de certains hommes à être servis exclusivement par des hommes. Pour ceux-là, si c’est une femme qui est au comptoir, ils attendront ! La neutralité de l’Etat s’appuie aussi sur le principe fondamental de l’égalité entre hommes et femmes.

Mais peut-on réclamer une laïcité stricte et vouloir conserver le crucifix accroché derrière le siège du président à l’Assemblée nationale, à Québec ?

Oui, parce que nous avons un patrimoine, une histoire, une culture ! Nous avons reçu de nos cousins français le catholicisme en héritage lors de notre installation en Nouvelle-France. Ce crucifix ne nous gêne pas. Nous ne prions pas à l’Assemblée mais nous ne pouvons pas renier ce que nous fûmes à l’origine. Nous n’enlèverons pas non plus la croix plantée au sommet du Mont-Royal et nous continuerons à fêter Noël !

Vous vous êtes prononcée pour le gel de l’exploration et de l’exploitation du gaz de schiste. Au Québec, cette question divise. Un de vos prédécesseurs, Lucien Bouchard, regrettait encore récemment ce moratoire, contesté dans les milieux économiques et qui risque, selon lui, de détourner les investisseurs du Québec. Comment justifiez-vous cette décision ?

Le gouvernement précédent avait laissé se dégrader la situation à un point tel qu’une colère énorme avait saisi la population. 50 000 manifestants ont défilé dans les rues de Montréal contre les gaz de schiste. Il faut savoir que ce potentiel gazier se trouve le long du Saint-Laurent dans des zones habitées. Or qu’a-t-on vu ? Des entreprises, livrées à elles-mêmes, débarquer dans les villages et dans les arrière-cours des maisons, prêtes à creuser ! Et ce, sans que le gouvernement donne aucune information ou cherche à rassurer les citoyens. Ces compagnies se sont fait huer et agresser. Dans un tel climat, si j’annonçais, demain, que le gouvernement permet l’exploitation du gaz de schiste, je peux vous dire que je serais honnie. Comme vous le savez, au Canada, les ressources naturelles sont de la responsabilité des provinces, et nous y tenons. Nous allons donc respecter notre engagement de campagne sur le moratoire. Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, l’organisme qui évalue les risques, les enjeux économiques et l’acceptabilité sociale pour ces dossiers, va examiner les études demandées. Si, à l’issue du processus, le bureau nous dit qu’il est possible d’exploiter ce gaz de manière responsable, sans risque pour la santé ni pour les nappes phréatiques, nous réévaluerons la situation. Mais, même si les conclusions sont positives, il faudra se demander si nous avons besoin des gaz de schiste. La moitié de notre énergie est produite par l’hydroélectricité, nous développons l’éolien et nous allons regarder du côté du pétrole. Car la bonne nouvelle, c’est que nous avons identifié trois sites potentiels de réserves pétrolières : en Gaspésie, dans le golfe du Saint-Laurent, sur l’île d’Anticosti. A la différence de ce qui a été fait pour le gaz, nous encadrerons soigneusement le processus et je crois que nous pourrons convaincre la population. En 2011, la balance commerciale du Québec a été déficitaire de 29 milliards de dollars (NDLR : 21,54 milliards d’euros), dont 11 milliards (8,17 milliards d’euros) sont dus à l’importation de pétrole algérien, norvégien, britannique… Si nous pouvons le remplacer par du pétrole québécois, bien sûr que nous le ferons ! En même temps, nous chercherons à réduire notre consommation de gaz à effet de serre : c’est pour cela que j’ai lancé un projet d’électrification des transports.

Vous êtes arc-boutée sur l’objectif du déficit zéro pour l’an prochain. Est-ce parce que vous êtes vertueuse ou parce que Wall Street vous tient à la gorge ?

[Rire.] Non, c’est parce que je veux être capable de disposer de plus de moyens pour investir dans les services publics. Notre déficit, en effet, est souvent lié à des « dépenses d’épicerie » – des dépenses de consommation courante. Or le service de la dette est le poste qui a le plus augmenté l’an dernier, plus de 8 %. Ces 500 millions de dollars, je pourrais les mettre dans la santé, l’éducation, l’environnement, la culture… La question des agences de notation n’est pas négligeable, par ailleurs. Si elles me cotent bien, mon argent me coûtera moins cher. J’économise ainsi l’argent des Québécois !

Il y a un an débutait le « printemps érable », cette contestation estudiantine en réaction à un projet d’augmentation des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur et qui a été suivie avec passion à l’étranger. En arrivant au pouvoir, vous avez annulé cette augmentation et opté pour une indexation de ces droits sur le coût de la vie. Mais les syndicats étudiants la refusent et l’un d’entre eux réclame désormais une totale gratuité. Pourquoi cette fièvre unique dans le monde occidental alors que les études universitaires sont au Québec moins chères qu’ailleurs en Amérique du Nord ?

Nos jeunes ont eu du succès ! Et il est normal qu’à 20 ans ils développent des utopies ! Si on n’est pas utopiste à 20 ans… Cela dit, ceux qui réclament la gratuité sont aussi contre le capitalisme et la société établie… C’est un point de vue qui dépasse le mouvement étudiant. En réalité, nous n’avons pas la capacité d’instaurer la gratuité à l’université.

Craignez-vous une reprise de l’agitation ?

Non. Nous avons été très raisonnables dans nos propositions et, par rapport aux autres provinces, nos droits universitaires restent parmi les plus bas. Rappelez-vous que les libéraux voulaient au total augmenter les frais de 82 % ! Du jamais-vu ! Quels tarifs augmentent de la sorte ?

Vous voulez relancer le projet d’indépendance du Québec, depuis quinze ans en perte de vitesse. Selon le plus récent sondage, seulement 34 % des Québécois estiment pertinent le débat sur un Québec indépendant et le mouvement indépendantiste est plus que jamais divisé en chapelles…

Oui, mais lorsque le moment sera venu de tenir un référendum, toutes ces formations se retrouveront autour de la question qui nous conduira à l’indépendance et à la liberté. J’ai demandé à mon parti de revoir notre argumentaire, et cela devrait réveiller un certain nombre de nos concitoyens. Je crois que ce projet – la souveraineté, choisir la liberté – est tout aussi moderne en 2013 qu’il l’était voilà vingt ans. On a vu des Etats naître, ces dernières décennies. Si, demain matin, le Québec devient indépendant, nous conserverons nos ressources naturelles, notre capacité de taxation, nos 17 universités, des gens formés dans tous les domaines… Et nous éliminerons les doublons actuels avec le niveau fédéral : les deux ministères des Finances, de l’Environnement, de la Justice, de la Santé… Ce qui nous donnera la capacité de retrouver une marge d’action et permettra de nous passer de la péréquation dont nous bénéficions au niveau canadien. Un de mes adversaires, François Legault, avait déposé il y a une quinzaine d’années un projet de budget de l’an I d’un Québec indépendant, et il démontrait qu’un Québec indépendant ne s’appauvrirait pas.

Il a, depuis, changé d’avis… Malheureusement pour lui.

Selon un sondage, 42 % des anglophones du Québec ont songé à quitter le Québec après votre victoire électorale, en septembre… … Mais ils sont restés ! Je ne veux pas les provoquer. Un Anglo-Québécois est à mes yeux aussi québécois qu’un Franco-Québécois. C’est une communauté qui a fait progresser le Québec, que nous respectons et qui n’a rien à craindre d’un gouvernement du Parti québécois.

Le Canada est un Etat officiellement bilingue et un acteur clé de la francophonie. Pourtant, le 10 février, devant les militants de votre parti, vous déclariez que « pour la langue, le Canada est un risque », « pour les valeurs et l’identité québécoises, le maintien du Québec au sein du Canada n’offre rien de rassurant ». Que vouliez-vous dire ?

Dans les faits, le Canada n’est pas un pays bilingue. Essayez de vivre en français à Toronto ! Nous sommes plus bilingues ici que nulle part ailleurs dans le reste du Canada, sauf peut-être au Nouveau-Brunswick. On sert mieux notre minorité anglophone que les minorités francophones sont servies dans les autres provinces, à quelques exceptions près. Chez nous, un enfant reconnu comme ayant droit à l’école anglaise y aura accès quels que soient les moyens à mettre en oeuvre. Mais le risque est réel, aujourd’hui, de recommencer à s’angliciser. Avec notre nouveau projet de loi sur la langue, nous allons relever ce défi. Car la reconnaissance du français fait partie intégrante de notre patrimoine, comme nos institutions et nos lois spécifiques. Nous sommes un pays riche où la richesse est mieux partagée que dans le reste du Canada et aux Etats-Unis. Nous voulons continuer à vivre notre différence.

Justement, la preuve est faite chaque jour que l’exception québécoise est préservée en demeurant au sein du Canada…

Mais quel gaspillage d’énergie ! Quand le gouvernement fédéral décide de mettre de l’argent dans nos universités sans tenir compte de nos priorités, il faut se battre pour qu’il entende nos demandes. Quand le gouvernement Harper annonce une réforme de l’assurance-retraite qui va toucher les emplois saisonniers (tourisme, pêche), nous expliquons que certaines régions du Québec vont être frappées, mais il ne nous écoute pas. Ces batailles n’en finissent pas !

Vous étiez à Edimbourg à la fin de janvier. Quels enseignements tirez-vous des deux référendums d’autodétermination qui se préparent en Ecosse et en Catalogne ? Peuvent-ils influer sur votre décision de lancer un référendum à votre tour ?

Cela se pourrait. Nous allons d’abord regarder leurs stratégies et constater les résultats. Les Ecossais ont négocié avec Londres le libellé de la question. Nous ne négocierons rien avec Ottawa. Le moment venu, nous présenterons la question à l’Assemblée nationale du Québec.

Serez-vous le premier Premier ministre d’un Québec indépendant ?

En tout cas, je vais travailler fort afin que nous y parvenions.

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-MICHEL DEMETZ

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