Nicolas De Decker

Paul Magnette, une certaine idée de la gauche

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Il y a, disait Baudelaire, « grand mérite à faire un livre sur la Belgique. Il s’agit d’être amusant en parlant de l’ennui, instructif en parlant du rien ». Dans un pays si flou qu’une bite sur un mur fait une pièce de musée, un intellectuel qui milite est nécessairement un idéologue et un politique qui fait brocher une conférence sur un poète en devient lui-même un poète. Or Paul Magnette est un intellectuel et un politique. Il n’est pas un poète ou un idéologue.

Son dernier livre, La Gauche ne meurt jamais, n’est pas un roman mais un recueil des – brillantes – chroniques qu’il livre à un excellent quotidien flamand.

Paul Magnette n’est ni un idéologue, ni un poète, et n’est pas, non plus, ni romancier ni écrivain.

Il est un intellectuel qui fait de la politique.

Mais il milite en Belgique francophone, où l’on élève un livre d’entretiens au rang de dissertation doctorale, et au Parti socialiste, que certains observateurs, flamands mais pas seulement, érigent en dernier bastion de l’albano-communisme d’Enver Hoxha. Et puisqu’il a publié La Gauche ne meurt jamais après Le Bel avenir du socialisme, Paul Magnette passe pour l’écrivain-poète-idéologue d’une gauche dure et qui dure puisqu’elle ne meurt jamais.

C’est un malentendu. Un énorme malentendu. Il est de gauche, Paul Magnette.

Mais il n’est pas d’une gauche dure et même pas un idéologue de la gauche antilibérale. Il en est même presque le contraire : Paul Magnette, en fait, est un libéral de gauche.

D’ailleurs, l’auteur pas encore auteur de La Gauche ne meurt jamais mais déjà intellectuel écrivait ceci du libéralisme, en 2002 : « Dans une large mesure, l’hostilité que le seul terme  »libéral » suscite de nos jours dans certaines franges des opinions, tient à son assimilation au conservatisme. Le  »libéralisme » voué aux gémonies par les mouvements sociaux qui s’opposent à la mondialisation, à la construction européenne, aux nouvelles politiques économiques… est en fait un libérisme, plus souvent allié des partis conservateurs que médiateur des scènes politiques. »

D’ailleurs, l’auteur pas encore auteur de La Gauche ne meurt jamais, jamais romancier mais à jamais intellectuel écrivait en 2005 un bel essai sur une grande philosophe politique libérale, Judith Shklar. Il l’intitulait Le Libéralisme des opprimés et sous sa plume intelligente ça n’avait rien d’un paradoxe ricaneur.

D’ailleurs, la référence politique ultime de l’auteur de La Gauche ne meurt jamais, c’est Jacques Delors.

D’ailleurs, en janvier 2009, l’auteur pas encore auteur de La Gauche ne meurt jamais mais déjà ministre socialiste et presque auteur du Bel avenir du socialisme se faisait huer dans une ville où la gauche n’est jamais censée mourir. C’était à l’Université du Travail, à Charleroi, et il avait expliqué à un débat sur l’état de la gauche en Europe à ses interlocuteurs verts et rouges, syndicaux et politique, « qu’il y a des fraudeurs au chômage, il faut le reconnaître quand on est de gauche ».

D’ailleurs, depuis octobre 2012 que l’auteur de La Gauche ne meurt jamais est bourgmestre de la ville où la gauche n’est jamais censée mourir, les services communaux font tant d’économies qu’il faut trois heures de guichet pour recevoir le plus anodin document et que les commissariats vont fermer la nuit.

D’ailleurs, en septembre 2016 lorsqu’une multinationale unilatérale décide de quitter sa ville où la gauche ne mourra jamais, l’auteur de La Gauche ne meurt jamais demande l’instauration d’une zone d’exemption fiscale, pour y attirer des multinationales espère-t-il moins unilatérales.

D’ailleurs, début octobre 2016, l’auteur de La Gauche ne meurt jamais se plaint du secrétaire d’Etat le plus à droite que la Belgique ait connu, le fort peu libéral et encore moins de gauche Théo Francken. Pas parce qu’il n’est pas assez libéral ou pas assez de gauche, non. Parce qu' »il fait de grands discours mais que ça ne suit pas sur le terrain », lance l’auteur de La Gauche ne meurt jamais au principal journal carolorégien à propos d’une fusillade ayant impliqué des personnes en séjour irrégulier.

D’ailleurs, depuis quelques mois, lorsque l’on interroge l’auteur de La Gauche ne meurt jamais sur la bonne santé de la gauche dure et antilibérale d’un autre parti que le sien, l’idéologue de l’albano-communisme wallo-marxiste répond que « LE PTB N’EST PAS UN SOUCI D’AILLEURS C’EST LE CADET DE MES SOUCIS JE M’EN FICHE DU PTB D’AILLEURS CE NE SONT QUE DE SALES COMMUNISTES STALINIENS DES POURRIS COMME VOUS D’AILLEURS POURRIS POURRIS POURRIS JE M’EN FICHE POURQUOI VOUS N’ARRÊTEZ PAS DE M’EN PARLER RHAAAAAAAAAAAA »- fin de la communication

C’est dire si Paul Magnette n’est ni un écrivain ni un poète ni un idéologue ni un communiste ni un eurosceptique ni un albano-marxiste, ni un altermondialiste, ni même un antilibéral.

Et pourtant toute la Belgique le croit, et même un petit bout d’Europe, et même si c’est un malentendu.

Mais aujourd’hui Paul Magnette est peut-être celui qui a mis un terme politique à l’hégémonie du libre-échange et de la dérégulation économique. C’est peut-être un événement de grande ampleur.

Et aujourd’hui, Paul Magnette est devenu le héros de la gauche antilibérale, rouge, verte, syndicale et politique.

Et aujourd’hui son parti, dont l’auteur de La Gauche ne meurt jamais sera s’il le veut, c’est consacré par ces derniers jours, le prochain président, repasse pour un interlocuteur crédible de la gauche antilibérale rouge, verte, syndicale et politique.

Y compris de celle qui comptait sur une énième signature d’un énième traité de libre-échange et de dérégulation pour dénoncer une énième capitulation de l’auteur de La Gauche ne meurt jamais et de son parti.

Et aujourd’hui, le PTB, qui va finir par devoir imprimer le visage de Paul Magnette sur les affiches de Manifiesta, pourrait finir par en devenir un souci plutôt cadet.

Paul Magnette n’est ni écrivain, ni poète, ni communiste, ni tout ce qu’on veut.

Mais c’est un politique. Dont les circonstances servent cette intelligence qui lui confère une stature de grand homme de la gauche qui ne mourra jamais. Fût-ce seulement sur le petit échiquier belge francophone.

Fût-ce sur un malentendu.

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