© Frédéric Pauwels

Paul Lannoye : « Le délire pro-nucléaire de la N-VA la rend infréquentable »

Retiré de la vie politique depuis 2004, Paul Lannoye sort de sa réserve pour attaquer la N-VA. Deux mois après Fukushima, vingt-cinq ans après Tchernobyl, l’ex-député européen Ecolo fait rimer nucléaire

De tous les partis démocratiques, c’est le plus radical sur les questions communautaires, le plus à droite sur le socio-économique et le plus dur par rapport à l’immigration. Mais ce n’est pas tout : la N-VA se distingue aussi par sa passion pour le nucléaire. La formation de Bart De Wever souhaite abroger la loi de 2003, qui prévoit de fermer les réacteurs de Tihange et de Doel entre 2015 et 2025. Elle réclame également la construction de nouvelles centrales – ce qu’aucun autre parti ne demande. Tout cela ne pouvait qu’hérisser Paul Lannoye, père fondateur de l’écologie politique en Wallonie.

Le Vif/L’Express : Qu’a fait la N-VA pour que vous ressentiez l’impérieux besoin de réagir ?

Paul Lannoye : Je reste stupéfié par sa proposition de loi du 18 février 2011. Ils se sont mis à cinq députés pour la rédiger [NDLR : Bert Wollants, Peter Dedecker, Peter Luykx, Karel Uyttersprot et Flor Van Noppen]. Preuve que ce ne sont pas des francs-tireurs. C’est bien la voix du parti qui s’exprime là. Je suis surpris que personne n’en parle.

Pourquoi cette proposition de loi vous choque-t-elle tant ?

Ils veulent annuler la loi de sortie du nucléaire dans les plus brefs délais. Admettons. C’est une option politique. Mais quand on lit l’exposé des motifs, on constate que leur principale source est le centre d’énergie nucléaire situé à Mol. Puisque Bart De Wever est historien, il devrait savoir que ce centre a été créé pour promouvoir l’énergie nucléaire. La N-VA reprend notamment cette affirmation selon laquelle les réacteurs belges pourraient durer quatre-vingts à cent ans. Qu’un Professeur Tournesol prétende ça, je veux bien. Mais ça ne résiste pas à l’analyse plus de deux minutes. Non seulement les installations vieillissent, mais il faut aussi prendre en compte le vieillissement des choix faits à l’époque. Si vous interrogez des sismologues belges, ils vous diront qu’ils n’ont pas été consultés quant à l’emplacement de la centrale de Tihange.

Mais la Belgique n’est pas exposée aux mêmes risques que le Japon…

Liège a tout de même été victime d’un tremblement de terre en 1983. J’ai interrogé la ministre de l’Intérieur Annemie Turtelboom sur le sujet. Elle m’a répondu que Tihange résisterait à un tremblement de terre de la même intensité que celui de Liège. Je crois que c’est vrai. Mais on ne sait pas du tout si Tihange résisterait à une secousse plus forte que celle de 1983. Or un très violent tremblement de terre a frappé Verviers en 1692. Et la ville de Bâle, qui se trouve à 40 kilomètres de la centrale de Fessenheim (Alsace), a été quasi rasée en 1356.

En démocratie, chacun a le droit de défendre ses idées. Pourquoi diaboliser la N-VA ?

Son plaidoyer pro-nucléaire relève de la folie, du délire. Aucun autre parti ne va aussi loin. Avec cette proposition de loi, la N-VA est disqualifiée. En voulant baser la politique énergétique d’un pays sur de telles inepties, elle a perdu tout crédit. A moins que Bart De Wever et les siens n’aient changé d’avis… Cela m’intéresserait de savoir ce qu’ils pensent de leur propre position de février. Depuis Fukushima, personne ne peut plus prétendre que le nucléaire est une question secondaire.

Sur un plan politique, qu’en concluez-vous ?

Que les gens de la N-VA ne sont pas des interlocuteurs sérieux. Ils ont maintenant annoncé, par la voix de Siegfried Bracke, qu’ils voulaient prendre l’initiative. D’abord, ils l’ont déjà eue. Ensuite, ils disent non à tout, alors que les francophones ont fait des pas importants. Ce n’est pas le moment d’en faire un de plus. Au contraire, il faut leur renvoyer leurs absurdités dans la figure. Les partis francophones devraient exiger de la N-VA de clarifier sa position sur le nucléaire.

Et si elle ne bouge pas ?

Arrêtons de discuter avec elle, tout simplement. Je ne comprends pas le silence du SP.A et de Groen !. Olivier Deleuze [NDLR : chef de groupe Ecolo-Groen ! à la Chambre] devrait sauter là-dessus.

Peut-être ne veut-il pas envenimer encore plus les négociations.

De toute façon, il n’y a plus de négociations. Et il ne pourra y avoir aucune négociation saine tant que la N-VA n’aura pas mis fin à ses ambiguïtés. Tout en disant ça, je précise que le Mouvement flamand mène un combat légitime à mes yeux. Bruxelles qui s’étend continuellement, la périphérie qui perd son identité flamande, ça ne va pas. J’ai toujours eu beaucoup de respect pour Hugo Schiltz, un nationaliste intelligent et civilisé. Malheureusement, les dirigeants de la N-VA ont bâti leur popularité en dénigrant les Wallons.

Curieusement, la Volksunie a été au début des années 1970 le premier parti à consacrer un congrès à l’environnement. Et Jan Peumans, le président N-VA du parlement flamand, est un opposant de longue date au nucléaire.

La Volksunie défendait une position assez critique vis-à-vis du nucléaire. C’est aussi pour cette raison qu’il faut attaquer la N-VA sur ce terrain-là. Les citoyens néerlandophones doivent savoir ce que disent les représentants qu’ils ont élus… Je suis sûr que ces positions sont insupportables pour une bonne partie des militants nationalistes, mais aussi pour le CD&V.

ENTRETIEN : FRANÇOIS BRABANT

DU RÉGIONALISME À L’ÉCOLOGIE

De 1968 à 1972, Paul Lannoye milite au Rassemblement wallon, dont il préside la fédération namuroise. Il £uvre ensuite à la création d’Ecolo. Sénateur de 1988 à 1989, il se distingue par ses interventions au sein de la commission « Tchernobyl ». Dans les années 1990, il préside le groupe des Verts au Parlement européen. En 2003, candidat à la présidence d’Ecolo en duo avec Bernard Wesphael, il échoue face à Jean-Michel Javaux et Evelyne Huytebroeck.

En 2004, il quitte Ecolo.

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