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Paul Ficheroulle, « je me suis senti lâché par Magnette »

En février dernier, l’Union socialiste communale locale choisissait Eric Massin, plutôt que Paul Ficheroulle, pour succéder à Jean-Jacques Viseur au maïorat de Charleroi. Depuis, Paul Ficheroulle est en préretraite politique et se prépare à devenir consultant informatique. Mais il a encore le temps de régler certains comptes.

Paul Ficheroulle s’est longtemps vu bourgmestre de Charleroi. Ses camarades, Paul Magnette en tête, l’avaient désigné premier échevin et chef de file socialiste au collège tripartite PS-MR-CDH qui dirige la métropole du Pays Noir depuis 2006. Cela faisait-il de lui le candidat légitime et naturel à la succession de Jean-Jacques Viseur ? L’ancien député wallon – il a abandonné son siège en 2009 pour se vouer entièrement à son échevinat carolo – le pense. C’est pourquoi il en veut un peu à son rival Eric Massin de l’avoir supplanté en février dernier, notamment avec l’appui des anciens pontes locaux, Jacques Van Gompel et Jean-Claude Van Cauwenberghe, ceux qu’il appelle « des gens » dans l’entretien. Et beaucoup à Paul Magnette, auquel il souhaite bien du courage ces six prochaines années, de n’avoir rien fait pour éviter son éviction.

Le Vif/L’Express : Avouez, vous en voulez encore plus à Paul Magnette qu’à Eric Massin…


Paul Ficheroulle : Massin avait son ambition, luttait pour prendre le pouvoir. Magnette était au-dessus de la mêlée. Fatalement, c’est lui qui, in fine, est responsable des choix.


Avouez, vous pensez que Paul Magnette vous a trahi…


Les grands mots sont dangereux. Restons réaliste. Magnette n’a pas, en 2011, ou début 2012, assumé ses options de 2008. Peut-être en fonction des rapports de force. Magnette est un homme intelligent. En 2007, sa force était de faire tourner la page, et donc de présenter un PS renouvelé. Ça a été son réel succès. Sa faiblesse, c’était sa non-légitimité électorale. Il aborde les élections de 2009 en prenant l’option de refaire l’unité du parti, et je ne peux pas le critiquer jusque-là. Mais cette volonté d’unité fait que ceux qui agonissaient Magnette d’injures, comme dans le journal Rebelle de Van Cau, tout d’un coup, le portent au pinacle. Ceux qui avaient toujours été avec Magnette, comme moi évidemment, le soutiennent. Tout le monde est content. Mais qu’avait-il promis ? Et puis, petit à petit, il est plusieurs fois mis en position de minorisation potentielle en interne du PS carolo par les anciens. Pourquoi ? Il triomphe aux législatives de 2010 aussi. Grand, beau succès ! Et à l’Union socialiste communale, il se fait limite injurier ! Et puis, là où ça m’a fait un grand choc : en 2011, le collège communal décide d’une attitude dure dans le dossier des plaines de jeux, vis-à-vis d’une fonctionnaire très liée à l’ancien régime. Le collège est minorisé par le conseil communal. Et Magnette a une attitude de Ponce Pilate. Moi, je me suis senti lâché ! A partir de ce moment-là, je suis devenu le punching-ball des anciens. Alors, certes, Magnette n’a pas apprécié ça, il ne l’a pas organisé. Mais il n’a pas pu ni voulu l’empêcher. Il n’a pas voulu prendre le risque. Et ça a culminé en février dernier. Evidemment, il y a eu des indications, je ne suis pas aveugle : déjà en 2011 je me suis fait liquider, un peu comme un malpropre, du bureau du parti, sans même une petite négociation. Alors, la décision de Magnette de prendre le maïorat est salutaire. Normalement, ça signifie l’impossibilité du retour des parvenus. Enfin, la page sera tournée. Mon échec, c’est que je ne pouvais pas faire ces compromis avec des gens qui pensaient que parce que j’étais socialiste depuis des années, j’allais les excuser ou dire partout que c’étaient des victimes de l’acharnement de la justice, et que finalement leurs responsabilités étaient mineures. Je ne pouvais pas faire de compromis. J’ai échoué. Magnette ne fera pas de compromis avec eux, et il tournera la page. J’espère…


Avouez, vous vous êtes dit « c’est bien fait pour Massin », lorsque Magnette a annoncé vouloir exercer le maïorat…


Je me suis dit « tant de déchirements, de haines, de règlements de comptes, au final pour peu de choses ». Maintenant, j’ai surmonté ça grâce à ma famille et mes amis. Je pense que tout le monde voit que je suis bien dans ma peau, qu’il y a une vie après la politique. Pour ce qui est de la Ville de Charleroi, Magnette a un avantage. Ce n’est pas qu’il est plus malin, plus beau, plus jeune, plus ceci ou plus cela. C’est qu’il aura le soutien et la légitimité pour prendre des décisions difficiles. Ni Viseur ni moi n’avions cette légitimité. Lui va pouvoir les prendre. Et comme c’est un homme intelligent, je pense qu’il va les prendre.


Avouez, vous vous sentiez plus proche de Jean-Jacques Viseur que d’Eric Massin…


Oui et non. Oui parce que Viseur voulait tourner la page, et que Massin a toujours été muet sur les responsabilités du passé, et s’est toujours, en interne, revendiqué de Van Gompel. Non parce que politiquement, Massin est socialiste, et que sur toute une série de choix, j’étais en accord, comme socialiste, avec Massin. Et je n’ai pas peur de le dire !


Avouez, cette législature, pour Charleroi, ça a été une cata-strophe quand même…


Non. C’est une grande déception, compte tenu de nos ambitions. Mais ce serait vraiment idiot de jeter le bébé avec l’eau du bain. On a fait tourner le moteur communal dans les règles. Il a tourné en cahotant, mais il respecte les règles. On a évité les dérapages financiers. Pas de dérapage dans les frais de personnel, pas de dérapage dans les frais de fonctionnement. Et doublement du taux moyen des investissements réels par rapport à la législature précédente ! Alors, bon, il fallait peut-être les tripler, ces investissements… Encore un mot : aucune ville n’a jamais connu un tel assaut de suspicions, de dénonciations et d’attaques. J’en suis mort de rage ! Nous défendions, c’est à mettre au crédit de Viseur, le bon droit de la Ville dans des décisions tout à fait correctes, prises à l’époque. Certains ont voulu continuer à punir cette Ville, et la punition est tombée sur une équipe. En interne : déstabilisation totale, et à l’extérieur, on ne nous a rien pardonné. Les économies, on en a fait tellement qu’on ne peut plus continuer. La Région doit changer son fusil d’épaule : elle ne doit plus traiter Charleroi comme l’Union européenne a traité la Grèce jusqu’à maintenant. L’Europe change d’attitude sur la Grèce. Ça ne veut pas dire qu’elle absout ses fautes. Je demande qu’on fasse la même chose à Charleroi.


Avouez, à l’été 2007, vous avez cru devenir bourgmestre de Charleroi à la place de Jean-Jacques Viseur…


Non. En 2007, c’était impossible. Mais fin 2008-début 2009, on s’était accordé pour qu’après les élections, le cumul député-échevin soit interdit. J’ai cru à ce moment-là, avant la constitution des listes régionales, que le PS, ou en tout cas son chef de file et une majorité, approuvant mon choix de ne plus rester député et de me consacrer entièrement à Charleroi et à mon rôle de premier échevin, serait derrière moi pour les années qui venaient. Je n’ai pas été candidat aux régionales de 2009. J’ai fait le choix de la ville. Mais en faisant ce choix, j’espérais que mes amis me soutiendraient.


Avouez, vous avez cru jusqu’au bout pouvoir devenir bourgmestre à la place d’Eric Massin, après Jean-Jacques Viseur…


Je voyais venir une dégradation de la situation. Je pense que le tournant, ça a été l’affaire des plaines de jeu, où les affrontements internes ont été très durs. La candidature de Massin m’est confirmée le soir de l’annonce officielle de la démission de Viseur, et donc la veille de la réunion de l’Union socialiste communale, par Magnette en personne, dans mon bureau. Il me dit : « L’USC va trancher. » Là, je me dis : je vais me battre jusqu’au vote. Je n’allais pas retirer ma candidature ! Et le lendemain en fin de matinée, après des contacts, je me suis dit que c’était mal barré, et que si j’étais ratiboisé, je m’en irais. J’ai voulu me battre jusqu’au bout. Dans mon plaidoyer devant l’USC, je n’ai pas demandé de fleurs. J’ai signalé que les circonstances avaient fait de moi le chef de file socialiste pendant cinq ans et le bourgmestre faisant fonction pendant une demi-année. Je demandais qu’on me laisse terminer la législature et je demandais que l’électeur puisse être juge en octobre. La décision de partir si j’étais battu, je l’avais prise une demi-journée avant. Ce qui n’a pas empêché mon émotion. C’était too much.


Avouez, votre carrière politique se termine moins bien que ce que vous auriez espéré…


Oui. Mais je ne regrette rien. La vie continue.


ENTRETIEN : NICOLAS DE DECKER

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